France. A propos de la Loi travail XXL: «La population la plus touchée par le stress, la tension est celle des métiers où le risque économique est fort»

Les conditions de travail dans l’automobile

Entretien avec Marie-Christine Soula
conduit par Martin Dumas Primbault

Dans son projet de loi travail XXL, le gouvernement prévoit notamment la fusion des instances représentatives du personnel. Une mauvaise nouvelle pour la santé des travailleurs, dénonce la médecin du travail Marie-Christine Soula. Encore faut-il préciser, avant de lire cet entretien, que le docteur Marie-Christine Soula travaille dans le cadre du MCS, un «groupe» qui «aide les décideurs à articuler trois axes de leur performance globale (sic): 1° les dispositifs et les modes de gouvernance et de prise de décision; les pratiques et les outils de management des activités et des ressources humaines; la préservation de la santé des hommes et le développement de la Qualité de Vie au Travail (QVT)». Marie-Christine Soula est une ex-praticienne en pathologies professionnelles à l’hôpital Cochin (Paris).

On pourrait faire une hypothèse: les liens entre le groupe Alpha de Pierre Ferracci et des consultants de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, issus de cette «structure» (Alpha) proche de la CGT annoncent-ils une position soft de la direction de la CGT face aux ordonnances mettant en œuvre la contre-réforme du Code du travail? Néanmoins, des constats effectués par Marie-Christine Soula ont le mérite de mettre en relief les risques psychosociaux qui vont croissant et ne sont pas seulement «toujours présents». (Réd. A l’Encontre)

Quelles évolutions récentes constatez-vous sur la santé des travailleurs?

Marie-Christine Soula. Malgré les efforts de certaines entreprises, les RPS (risques psychosociaux) sont toujours présents. Elles ont surtout essayé de soigner les personnes touchées, mais elles ne sont pas allées suffisamment loin dans la prévention. En termes d’organisation du travail et en termes relationnels, je constate dans toutes les entreprises, quelle que soit la taille ou la branche, une dégradation très importante des relations de travail. Par ailleurs, les travailleurs ont de moins en moins de temps pour faire le même volume de travail.

Cela entraîne ce qu’on appelle dans mon jargon la «qualité empêchée». C’est-à-dire que les personnes ressentent un mal-être lié au fait qu’ils n’ont plus le temps de faire leur travail bien, ou comme ils aimeraient le faire. L’autre constat, c’est que les TMS (troubles musculo-squelettiques) ne diminuent pas, alors que beaucoup d’efforts ont été réalisés. Des dépenses importantes sont réalisées dans les entreprises pour améliorer telle ou telle machine mais sans tenir compte de ce que le salarié voulait et de l’ambiance de travail dans l’atelier. Même si la machine est plus ergonomique, le stress, les tensions peuvent provoquer une tendinite ou un problème de dos. Le dernier volet important, ce sont les nouvelles technologies. Elles ne sont pas forcément suffisamment connues et prises en compte. Il y a certaines évolutions professionnelles liées aux nouvelles technologies qu’il va falloir réguler dans les années à venir.

Vous pointez la communication comme le principal facteur de déclenchement des RPS…

M-C. Soula. Je constate des défauts de communication dans toutes les entreprises dans lesquelles je travaille. Avec mes trente-cinq ans de métier en entreprise je l’ai vu monter d’une façon très importante. Aujourd’hui, les pratiques managériales se rigidifient du fait de la pression constante liée aux risques économiques. La population la plus touchée est celle des métiers où il y a un risque économique fort, les gens ont peur de perdre leur emploi. On constate que les managers intermédiaires ou de proximité ont les mêmes ­difficultés que leurs collaborateurs ou les personnes qu’ils ont dans leur équipe. Tout cela entraîne des relations de concurrence et des conflits entre les employés et leur manager. Un grand nombre d’incivilités nous revient de manière très importante. Auparavant, dans l’entreprise, on considérait ces relations comme normales. Maintenant, les salarié·e·s ne supportent plus ces incivilités, ou plutôt ils ont compris que ce n’était plus supportable.

Quelle mesure préconisez-vous?

M-C. Soula. Mettre en place des groupes de parole afin que les personnes puissent s’exprimer sans avoir peur de leur chef ou de leur manager. Chose que les travailleurs n’osent pas faire. Quand nous en organisons, de l’extérieur, pour les entreprises, nous remarquons des relations managériales très dégradées. Mais, en discutant, les travailleurs comprennent que leurs managers ont souvent la même pression qu’eux, c’est très important. Aujourd’hui, on met souvent en cause la charge physique et mentale du travail que les personnes n’arriveraient pas à absorber. Mais si cette charge est associée à un soutien informationnel et relationnel, on arrive à l’absorber.

Emmanuel Macron souhaite fusionner les instances représentatives du personnel (IRP), n’est-ce pas un mauvais coup porté à la santé au travail?

M-C. Soula. Les confédérations syndicales ont formé de façon remarquable leurs personnes de terrain, les délégués du personnel, les membres du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Ils arrivent à détecter les signaux, mais n’arrivent pas toujours à orienter vers la bonne personne. Mais les contre-pouvoirs au sein de l’entreprise ne sont plus suffisamment forts et ce qui se profile avec la volonté de fusion des IRP ne va pas être en faveur des travailleurs mais des entreprises. (Publié dans L’Humanité, le 14 août 2017)

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