Etat espagnol-Catalogne. Le 26 juin en Catalogne: peu de changements et un grand nombre de tâches à venir

Ada Colau, le 26 juin
Ada Colau, maire de Barcelone,  le 26 juin

Par Marti Caussa

Il existe peu de changements en termes électoraux entre le 20 décembre et le 26 juin [en Catalogne]. Les tâches pour tous les acteurs qui aspirent à un changement politique et/ou social ne sont pas non plus nouvelles, mais elles sont désormais plus urgentes et plus claires.

Si on observe uniquement le nombre de députés, le changement est minime: le PSC [Parti socialiste de Catalogne] perd un député alors que le PP en gagne un. Si nous observons le nombre de suffrages et les pourcentages, le changement est légèrement plus important et nous permet d’analyser certaines tendances.

Il importe toutefois d’émettre un double avertissement afin d’éviter une quelconque traduction mécanique des résultats du 26 juin à d’éventuelles élections catalanes. La CUP [Candidature d’unité populaire, coalition de différentes formations de la gauche radicale indépendantiste catalane] ne s’est pas présentée alors qu’elle avait obtenu 336’375 voix lors des dernières élections au Parlament [le 27 septembre 2015]. Ces votes se sont fondamentalement répartis entre ERC [Gauche républicaine catalane, un parti social-libéral favorable à l’indépendance], En Comú Podem [liste de Podemos et de diverses formations de gauche dont la figure la plus connue est la maire de Barcelone, Ada Colau] et l’abstention. En deuxième lieu, lors des élections du 20 décembre, l’existence d’un vote dual a été observée, un vote en faveur d’ERC ou de la CUP lors des élections au Parlament et vers En Comú Podem lors des élections générales qui pourrait être, s’il se confirme, une sorte de répétition du vote dual qui existait historiquement entre CDC [Convergence démocratique de Catalogne, parti de la droite «nationaliste» catalane] et le PSC [sur ce «vote double», voir les deux articles publiés sur A L’Encontre ici et ].

L’abstention en Catalogne a été supérieure de 3% par rapport au 20 décembre et 300’000 personnes de moins ont voté. Tous les partis ont perdu des suffrages, à l’exception du PP qui en a gagné 44’268 et d’ERC (27’512). Ciudadanos (C’s) est le parti qui a perdu le plus grand nombre de suffrages: 112’427. Il se situe tout derrière, après le PP. En Comú Podem a de nouveau gagné avec autorité, revalidant ses 12 députés, suivi par ERC (9), CDC (8) et le PSC (7).

Le bloc En Comú Podem+ERC+PSC obtient 58,8% des suffrages face au 38,21% du bloc de droite formé par le PP et C’s. Avec ses 848’526 voix, En Comú Podem (ECP) est cependant la composante majoritaire (42%, 44% le 20 décembre). Au sein du bloc indépendantiste, ERC accroît légèrement son nombre de suffrages par rapport à CDC: elle représente 53% du vote indépendantiste contre 51,5% le 20 décembre.

Les partis souverainistes (ECP), unis aux indépendantistes (ERC+CDC) dépassent de 540’000 voix les unionistes [partisans de l’union avec l’Espagne] (PSC+PP+C’s), soit 56,6% contre 40,4%. Les indépendantistes représentent 32,1%, EPC 24,5.

En résumé, le déplacement de voix vers la gauche et l’hégémonie d’ECP se maintient (malgré un léger déclin); ce déplacement à gauche est plus clair au sein du bloc indépendantiste. Les partis indépendantistes unis représentent toujours le bloc majoritaire, mais la majorité absolue des votes n’est atteinte que si l’on additionne les indépendantistes et les souverainistes.

Les causes du déplacement du vote catalan vers la gauche sont les mêmes que dans le reste de l’Etat: le rejet des politiques néolibérales, mise en œuvre par CDC en Catalogne, dont la charge est placée sur les épaules des couches populaires. Les causes d’une montée de l’option favorable à un référendum négocié à l’Etat [défendue par ECP] face à la feuille de route défendue par les partis de Junts pel Sí (CDC et ERC) s’expliquent par: 1° la faiblesse des avancées [vers l’indépendance] du gouvernement Puigdemont [membre de CDC, président de la Generalitat]; 2° les espoirs d’ouvrir un chemin plus aisé pour le droit à décider: réussir une grande victoire d’Unidos Podemos et des listes de convergences qui permettra la formation d’un gouvernement de gauche, lequel convoquera le référendum promis sur l’avenir politique de la Catalogne.

L’option référendaire est là pour rester

Ces espoirs sont-ils fondés? A mon avis non, mais il faut être ouvert au débat et écouter autant les arguments en faveur que contre. Dans tous les cas, malgré le fait que les résultats des élections au niveau de l’Etat se sont révélés très différents de ceux espérés par les partisans d’ECP, la réalité est qu’il existe en Catalogne deux types d’options principales pour savoir si l’indépendance dispose du soutien majoritaire du peuple catalan: 1° le chemin unilatéral, représenté par la résolution du Parlament de Catalogne du 9 novembre 2015, désormais dans l’attente d’une reformulation dans le sillage du vote de confiance de Puigdemont en septembre; 2° la voie d’un accord d’Etat pour la tenue d’un référendum, tel que défendu par ECP.

La deuxième voie a été présentée ainsi par Xavier Domènech (activiste et professeur) lors d’un entretien récent: «En 2016 une force qui peut être le second parti le 26 juin a émergé. Le référendum sur la Catalogne figure à son programme. Le discours du manque d’interlocuteurs au sein de l’Etat commence à vaciller». Le 26 juin, le second parti reste le PSOE et il est très improbable qu’émerge un gouvernement dont le référendum figure à son programme, mais il est vrai que le nombre de personnes qui défendent dans l’Etat espagnol un référendum pour la Catalogne a beaucoup crû au cours de la dernière période, en grande partie grâce à Podemos.

Lors du même entretien, Domènech expliquait qu’En Comú Podem n’est pas une force indépendantiste, mais «une tentative de représenter la majorité souverainiste du 80% des Catalans qui sont favorables au droit à décider. Sur notre liste figure des personnes qui misent sur un Etat indépendant, d’autres pour un Etat confédéré ou plurinational – soit la proposition qui figure dans le programme – ainsi que des personnes qui considèrent qu’un référendum doit avoir lieu mais qui ne font peut-être pas figurer ce thème au rang de priorité.»

La grande majorité des indépendantistes ne partage pas l’objectif d’un «Etat plurinational», mais elle est d’accord qu’un référendum clair constitue un instrument magnifique pour tenter d’aboutir à l’indépendance. D’un autre côté, le référendum négocié n’a jamais été rejeté par aucune force indépendantiste, il a simplement été considéré comme étant très improbable. Si une force comme Unidos Podemos défend cette revendication dans tout l’Etat, il convient de considérer cette force comme une alliée du mouvement souverainiste; à plus forte raison En Comú Podem, qui est une force catalane clairement souverainiste. Josep Ramoneda (journaliste, écrivain) expliquait ainsi la nécessité d’une alliance: «les partis souverainistes observent les podemistes avec méfiance, certains pour des motifs idéologiques et tous parce qu’ils sont en train de leur conquérir du terrain. Mais lorsqu’il n’est pas suffisant d’aller seul et que la difficulté d’avancer génère des signes d’épuisement, c’est en forgeant des alliances que l’on progresse.»

L’alliance des souverainistes et des indépendantistes est-elle possible?

Pour qu’elle soit possible, la conscience de sa nécessité doit exister, tout comme la volonté politique d’une majorité suffisante des deux côtés. Si cette dernière condition était remplie, les bases politiques ne me semblent pas difficiles à voir. Je me permets ici une première approche.

En premier lieu, faire du référendum pour l’indépendance un objectif commun, quelque chose à atteindre en toutes circonstances. Cela implique de se montrer disposer à appuyer la formation d’un gouvernement de gauche qui a inscrit cette revendication dans son programme, bien que cette possibilité se soit très éloignée après le 26 juin. Il ne faut cependant pas se résigner à l’attendre indéfiniment: si le référendum négocié n’est pas possible dans un délai raisonnable, il faudra débattre avec En Comú Podem sur les modalités de le tenir unilatéralement en Catalogne et exiger qu’Unidos Podemos l’appuie dans tout l’Etat. En même temps et indépendamment, aboutir à des accords pour impulser la mise en œuvre de mesures importantes figurant dans la résolution du 9 novembre 2015 du Parlament et qui peuvent être partagées par En Comú Podem. Par exemple:

Un plan d’urgence social, aboutissant à une véritable discussion (et non une ineptie ainsi que cela a été tenté avec la CUP) sur ce qui figure au point 9 de l’Annexe de la résolution.

«Blinder» les droits fondamentaux qui pourraient être affectés par les institutions de l’Etat espagnol (point 8 de la résolution), en particulier pour ce qui a trait aux mesures sociales envisagées dans l’Annexe. De fait, En Comú Podem a participé à la manifestation du 29 mai pour défendre les lois annulées par le Tribunal constitutionnel.

L’ouverture d’un processus constituant citoyen et participatif pour jeter les bases de la future Constitution catalane (point 3 de la résolution). Il n’est pas nécessaire d’être d’accord sur le fait que la Catalogne doit être indépendante ou non pour participer à ce processus constituant, surtout s’il y a un accord qu’une telle décision sera tranchée par un référendum. Le programme d’En Comú Podem (p. 75-76) défend la nécessité de «processus constituants dans tout l’Etat respectant les multiples souverainetés et formulations des nationalités historiques […] Nous considérons ces processus comme étant liés, mais sans qu’aucun ne détienne une position de départ subordonnée aux autres.» 

Il ne s’agirait pas d’une alliance pour l’indépendance, mais pour la souveraineté, pour la défense des revendications sociales urgentes ainsi que pour un processus constituant populaire. Comme il a été dit auparavant, la question de l’indépendance sera tranchée démocratiquement lors d’un référendum, négocié si c’est possible dans un délai raisonnable, ou unilatéral dans le cas contraire. Une alliance de ce type n’est pas aisée, mais elle permet d’éviter que la fenêtre d’opportunité d’une rupture avec le régime de 1978 ne se ferme et signe le début d’un changement sur les terrains sociaux et nationaux. Autant en Catalogne que dans l’Etat espagnol. (Article publié le 27 juin sur le site VientoSur.info. Traduction A l’Encontre)

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