Brésil. Bolsonaro licencie le ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta

Jair Bolsonaro et Luiz Henrique Mandettam ministre de la Santé «licencié»…

Par Andrew Fishman
(The Intercept)

Les Brésiliens «ne savent pas s’ils doivent écouter le ministre de la Santé ou s’ils doivent écouter le président», a déclaré le ministre de la Santé Luiz Henrique Mandetta dans un entretien accordé à TV Globo dimanche 12 avril, en référence au président d’extrême droite Jair Bolsonaro, l’un des principaux négateurs du Covid-19 dans le monde.

Luiz Henrique Mandetta a préconisé à plusieurs reprises une approche scientifique qui comprend des mesures de distanciation sociale et de quarantaine, ainsi que le confinement d’une grande partie du Brésil. Ces positions n’étaient pas en accord avec celles de Bolsonaro. Le même jour, Mandetta a déclaré que le pire est à venir et que le pic du coronavirus devrait se produire en mai et juin 2020. Jair Bolsonaro, lui, a déclaré aux chefs religieux [évangélistes]: «Il semble que cette question du virus commence à disparaître.»

Bolsonaro s’est donné beaucoup de mal pour faire des visites très médiatisées dans les supermarchés et les boulangeries, serrant des mains, visites effectuées sans gants ni masques. «En raison de mon passé d’athlète, si j’étais infecté par le virus, je n’aurais pas à m’inquiéter», a déclaré Bolsonaro, 65 ans, dans un discours télévisé national à la fin du mois dernier [mars]. Il a qualifié à plusieurs reprises le Covid-19 de «petit rhume».

Le ministre de la Santé de Bolsonaro est devenu la voix publique la plus importante pour contredire le déni total du président, mais Mandetta parle au nom d’une majorité écrasante de gouverneurs et d’experts de la santé, ainsi que du public. Dans un récent sondage, 76% des personnes interrogées ont approuvé la manière dont le ministre de la Santé a géré la crise, contre 39% pour Bolsonaro.

Bolsonaro a cependant trouvé une solution nette et claire à ce problème: renvoyer le ministre de la Santé. Bolsonaro s’est énervé de devoir partager les projecteurs des médias avec un subordonné qui désapprouvait ouvertement ses déclarations. Bolsonaro avait menacé à plusieurs reprises de démettre le ministre de ses fonctions. Jeudi 16 avril, Mandetta a été démis de ses fonctions.

Il n’est pas certain que le nouveau ministre de la Santé de Bolsonaro sera meilleur pour le président d’extrême droite. Jeudi après-midi, Bolsonaro a remplacé Mandetta par Nelson Teich, un oncologue et responsable de services de santé, qui ne partage apparemment pas non plus la vision du président sur la manière de gérer la crise du coronavirus. Dans des articles récemment publiés, Teich a approuvé des mesures de confinement à grande échelle et a déploré la nature polarisée du débat. Teich a écrit: «C’est comme s’il y avait un groupe axé sur les personnes et la santé et un autre sur le marché, les entreprises et l’argent, mais cette approche divisée, antagoniste et peut-être radicale n’est pas celle qui aidera le plus la société à surmonter ce problème.»

Néanmoins Teich sait aussi que le chemin qui mène au cœur de Bolsonaro est la flatterie, et le nouveau ministre de la Santé n’a pas manqué à l’appel sur ce terrain. Dans un essai publié le 2 avril, Teich a écrit: «Heureusement, malgré tous les problèmes, la gestion [de la crise du coronavirus] a été parfaite, jusqu’à présent.»

Quarantaine et démantèlement des systèmes de santé

Avec Bolsonaro qui s’enfonce la tête plus profondément dans le sable, les faits sur le terrain continuent de s’aggraver. Selon les statistiques officielles, 30’425 Brésiliens ont été diagnostiqués avec le coronavirus et 1924 sont morts de la maladie. Toutefois ces chiffres sont nettement inférieurs aux chiffres réels. Le secrétaire à la santé de Rio de Janeiro, Edmar Santos, a déclaré que pour chaque cas signalé, il y a probablement 50 à 100 autres personnes infectées qui n’ont pas été testées. Mandetta a également reconnu que les statistiques officielles sous-estiment le nombre total de décès dus à la maladie.

Les tests sont terriblement rares et même ceux qui ont la chance d’être testés doivent attendre longtemps les résultats, car les laboratoires sont débordés. Le ministère de la Santé ne sait pas combien de tests ont été administrés à l’échelle nationale.

A São Paulo, la plus grande et la plus riche métropole du pays, 62% des travailleurs de la santé publique n’avaient pas accès à des équipements de protection individuelle, appelés EPI, selon une étude examinée exclusivement par The Intercept.

D’autres régions sont encore plus mal loties. La moitié des 4 millions d’habitants de l’État d’Amazonie vivent dans la capitale, Manaus, un petit coin de béton et d’asphalte au milieu de l’immense forêt amazonienne. Dans un État presque aussi grand que l’Alaska, où la plupart des voyages longue distance se font par bateau, chacun des 293 lits de l’unité de soins intensifs est situé dans la capitale; 95 % d’entre eux étaient déjà pleins lundi dernier. Mercredi 15 avril, l’État comptait 1554 cas confirmés et 106 décès confirmés, y compris dans des réserves indigènes isolées.

La crise des coronavirus

En mars dernier, le Brésil a enregistré 2239 décès de plus, dus à une insuffisance respiratoire et à une pneumonie, que l’année précédente, dont beaucoup, selon les spécialistes, sont probablement des victimes non confirmées de Covid-19. Plus de 41’000 Brésiliens ont été hospitalisés à partir de mardi pour des cas de Covid-19 ou de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) suspectés ou indéterminés, dont seulement 15% ont été diagnostiqués officiellement comme étant des Covid-19. Une étude récente considère que le service de santé publique universel du Brésil a besoin de plus de 40’000 lits de soins intensifs supplémentaires pour faire face à la crise, soit une augmentation de 273% par rapport à sa capacité actuelle.

La crise atteint également les structures du pouvoir brésilien. Les gouverneurs de Rio de Janeiro et du Pará, un État du nord qui borde l’Amazonie, ont tous deux annoncé mardi qu’ils ont été testés positifs au Covid-19. Près de deux douzaines de personnes qui ont voyagé avec Bolsonaro aux États-Unis le mois dernier, dont des aides de haut niveau, ont également contracté la maladie. Le président a déclaré que son test était négatif, mais qu’il ne publierait pas ses résultats.

Malgré ces terrifiants indicateurs d’une crise sanitaire croissante, les mesures de quarantaine n’ont pas été strictement respectées dans le pays de 211 millions de personnes. Les données des téléphones portables ont montré que 41% de la population de São Paulo ne s’est pas isolée chez elle pendant le week-end des vacances de Pâques.

Dans chaque grande ville étudiée, les chercheurs ont constaté que seulement 53% des habitants du pays étaient restés chez eux pendant les premiers jours d’avril, soit une baisse de 2 à 3% par rapport à la mi-mars et à la fin mars, lorsque des mesures de distanciation sociale ont été mises en place dans la plupart des régions.

L’effet Bolsonaro

Bolsonaro a tenté à plusieurs reprises de saper les efforts de mise en quarantaine. Il a tenté d’invalider certaines parties des ordonnances de quarantaine de divers gouverneurs, mais il a été bloqué par les juges fédéraux. Il a trouvé d’autres moyens d’influencer le public, par exemple en utilisant sa position dominante depuis son bureau présidentiel.

«De nombreuses entreprises non essentielles ont même rouvert leurs portes. «Tout le monde a parlé de coronavirus et du discours du président. Jusqu’à hier, peu de magasins avaient ouvert ici», a écrit Bruno Sousa.»

Ainsi, le 24 mars, Bolsonaro a prononcé un discours télévisé à l’échelle nationale, dans lequel il a attaqué la distanciation sociale comme une tactique de «terre brûlée». Il a fait l’apologie de la chloroquine comme traitement prometteur et a blâmé la presse pour avoir créé une «hystérie». Il a insisté pour que le Brésil «revienne à la normale». Le lendemain matin, Bruno Sousa, de The Intercept, a écrit sur l’impact que ce discours a eu sur son quartier ouvrier de Rio de Janeiro, décrivant des scènes où certaines personnes ont commencé à mener une vie normale à la suite de ces remarques présidentielles. De nombreuses entreprises non essentielles ont même rouvert leurs portes. «Tout le monde a parlé de coronavirus et du discours du président. Jusqu’à hier, peu de magasins avaient ouvert ici», a écrit Bruno Sousa.

Le lendemain de son discours, Bolsonaro a doublé la mise: «Ce qu’ils font au Brésil, quelques gouverneurs et quelques maires, c’est un crime. Ils rompent avec le Brésil, ils détruisent des emplois. Et ces types qui disent: “Oh, l’économie est moins importante que la vie”».

De petites manifestations de rue des partisans de Bolsonaro qui s’opposent au confinement se sont tenues dans plusieurs villes et, dans certains cas, ont été interrompues par la police d’État et les tribunaux.

Paulo Guedes, le ministre de l’austérité

La Banque mondiale estime que l’économie du Brésil va se contracter de 5% cette année, selon de nouvelles estimations publiées dimanche 12 avril, ce qui place la plus grande économie d’Amérique du Sud derrière le Mexique, l’Équateur et l’Argentine sur la liste des pays de la région qui devraient être les plus touchés. «Pour aider les personnes vulnérables à faire face à la perte de revenus due aux fermetures, les programmes de protection sociale et d’assistance sociale existants devraient être rapidement renforcés et leur couverture étendue», a soutenu la Banque mondiale.

Pourtant, le ministre de l’Economie de Bolsonaro, Paulo Guedes, a résisté à de telles mesures. Il souhaite plutôt poursuivre son programme de réformes néolibérales qui ont vidé de leur substance les services sociaux, les lois de protection du travail et les prestations de retraite depuis l’entrée en fonction de l’administration Bolsonaro, l’année dernière. «La meilleure réponse à la crise, ce sont les (contre) réformes», a déclaré Paulo Guedes aux journalistes la semaine dernière, en évoquant les propositions en cours visant à privatiser les entreprises publiques, à réduire les dépenses publiques, à restructurer le système fiscal et à encourager les entreprises privées.

Ce n’est pas que le Congrès ne tente rien. Le législatif a rapidement adopté un plan très reconnu visant à fournir aux travailleurs à bas salaires du secteur informel entre 114 et 228 dollars par mois pendant trois mois. Mais le projet de loi est resté sur le bureau du président pendant trois jours jusqu’à ce qu’il soit finalement signé et promulgué. Paulo Guedes n’avait initialement proposé qu’un tiers de ce montant et avait combattu cette mesure. Toutefois, il l’avait publiquement soutenue après qu’il est devenu évident que le projet de loi serait adopté. L’administration a attribué ce retard à des «problèmes bureaucratiques». Or, pendant ce temps, Guedes tentait de retenir la signature du président pour négocier d’autres lois de sa liste de (contre) réformes.

Après l’approbation finale du programme d’aide d’urgence, The Intercept a rapporté que la Caixa, une grande banque publique, prévoyait de conserver les versements de secours fédéraux adressés à des titulaires de comptes ayant des dettes ou des soldes de comptes négatifs. Les représentants du gouvernement ont déclaré qu’un accord avait été conclu avec les banques pour éviter cette décision, mais n’ont pu produire aucune preuve pour corroborer l’accord.

Paulo Guedes s’est ensuite battu contre un plan d’aide fédéral aux gouvernements des États et des collectivités locales, plan qui a été approuvé par la Chambre basse lundi 13 avril. Le gouvernement a fait savoir qu’il opposerait son veto au projet final.

Sur les 227,7 milliards de dollars de mesures d’aide économique liées au coronavirus prévus par le gouvernement, seuls 40 milliards sont de nouvelles dépenses, ce qui représente environ 3% du produit intérieur brut national. En comparaison, le plan de relance américain de 2000 milliards de dollars représente 10% du PIB.

«La question centrale est que toute l’équipe économique est en conflit», a déclaré Antonio Corrêa de Lacerda, économiste de renom, au quotidien Valor Econômico. «Ils ont toujours prêché l’austérité comme un instrument pour rétablir la confiance qui nous permettrait de sortir de la crise. Maintenant que les pays les plus concernés ont adopté des politiques d’intervention forte de l’État, ils sont obligés de le faire. Bien que de manière timide, tardive et hésitante.»

Cependant, le public, ainsi que certains des alliés du président, perdent de plus en plus confiance dans le leadership de Bolsonaro. Ces changements ne sont pas dus à sa timidité ou à son retard, mais en grande partie au fait que la réponse de Bolsonaro à la crise manque de cohérence. Par exemple, Bolsonaro a souligné l’importance de l’économie, et pourtant ses fils et le ministre de l’Education ont lancé des attaques répétées – et parfois racistes – contre la Chine, le plus important partenaire commercial du pays et la principale source de fournitures médicales essentielles.

Pendant des semaines, à 20h30, presque tous les soirs, les quartiers du Brésil s’animent au son des casseroles et des poêles, ponctués par des cris de «Bolsonaro dehors!», agrémentés d’une série d’épithètes de plus en plus créatives. Une autre série de protestations cacophoniques a retenti dans tout le Brésil lorsque Bolsonaro a annoncé le licenciement de Mandetta. (Article publié par The Intercept en date du 16 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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Avec la destitution de Mandetta, Bolsonaro avance dans son plan criminel

Editorial de Esquerda Online

L’orientation de Bolsonaro pendant la crise sanitaire a été largement critiquée, un fait prouvé par toutes les recherches sur le sujet. En effet, le président était en première ligne d’une politique négationniste et criminelle, qui ne reconnaissait pas l’importance du confinement et des tests de masse comme principales mesures pour éviter une contagion massive du Covid-19.

Dans cette crise, Mandetta [ministre de la Santé] oscille entre des positions en faveur de l’isolement social et l’adaptation à la politique de Bolsonaro. C’est pourquoi, même avec ses hésitations, Mandetta a obtenu la meilleure note d’approbation parmi les responsables gouvernementaux pendant cette crise.

Cette destitution montre que Bolsonaro n’accepte dans son gouvernement personne qui défende, même très partiellement, les mesures de confinement indiquées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Nous n’avons aucun accord politique avec Mandetta – un politicien de la DEM [Démocrates, nommé auparavant Parti du front libéral], un partisan de la privatisation de la santé publique et jusqu’alors un allié de l’extrême droite – mais nous dénonçons sa destitution comme représentant un pas en avant dans la politique de massacre de Bolsonaro. Ce gouvernement a choisi de radicaliser le génocide de la population noire dans un pays où 80% des utilisateurs du Système unique de santé se déclarent noirs et noires.

Le Brésil est confronté à deux menaces mortelles: le nouveau coronavirus et le président génocidaire qui contribue à la propagation de la maladie, de la pauvreté et du chômage. Il est nécessaire d’éjecter Bolsonaro du pouvoir, dès que possible, comme première condition pour préserver les vies, les emplois, les droits et les salaires. Une fois de plus, nous devons retourner aux fenêtres avec nos casseroles pour crier haut et fort: «Dehors Bolsonaro!»

Nous considérons également qu’il est nécessaire de convoquer de nouvelles élections présidentielles directes et libres dès que possible. Le vice-président, Hamilton Mourão, un général d’extrême droite qui a toujours défendu la dictature, n’est pas une alternative. Nous ne devons faire confiance à aucun général. Le peuple brésilien doit exercer le droit démocratique d’élire un nouveau gouvernement pour faire face à cette très grave crise sanitaire, économique et sociale.

Nous pensons que la gauche unie doit présenter une alternative politique indépendante, pour avoir un gouvernement de et pour les exploité·e·s et les opprimé·e·s. Tant les néofascistes bolsonaristes que la droite traditionnelle (PSDB et DEM), bien que de manière différente, veulent faire payer la facture de cette crise à la classe ouvrière.

Sauvez les gens, pas les profits! Dehors Bolsonaro! (Editorial publié le 16 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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