Tribune: «Ils privent la société d’une arme contre l’antisémitisme»

A propos de l’ouvrage cité plus bas; entretien sur Médiapart avec Jospeh Confavreux

Par François Burgat

La «lutte contre l’antisémitisme», qui devrait demeurer un instrument parfaitement légitime et indispensable, est très régulièrement détournée de sa fonction au profit d’intérêts corporatistes ou sectaires. Fût-ce à tout petits pas, il est vrai qu’ici et là, la réflexion progresse parfois. Ainsi, le chroniqueur de France Inter, Claude Askolovitch, après avoir été pendant de longues années l’un des plus complaisants adeptes et promoteurs de ce dévoiement (par exemple contre Tariq Ramadan lors du forum social européen de 2003, ou encore contre Siné, dont il a contribué à obtenir le licenciement de Charlie, etc.) a pris conscience, en 2013, qu’il maniait une arme à double tranchant. Il a réalisé qu’à force d’associer cette lutte contre l’antisémitisme à la dénonciation de mouvements qui n’avaient aucune raison d’en être accusés, le risque était grand de… la discréditer. Et donc, de priver non point tant la communauté juive que la société tout entière d’une arme qui, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, demeure absolument essentielle. La lucidité dont Askolovitch a commencé à faire preuve à partir de son ouvrage Nos mal-aimés: ces musulmans dont la France ne veut pas (Grasset, Paris, 2013) s’est manifestée plus récemment dans une mise au point. Dans «La défense des juifs, ultime morale des pouvoirs que leurs peuples désavouent». Il raconte sa prise de conscience du danger à laisser cette accusation d’antisémitisme être mobilisée par le pouvoir macronien en déroute pour discréditer un mouvement social aussi puissant que celui des Gilets jaunes (GL). Même si sa lucidité demeure à géométrie variable, d’utiles vérités y sont également reconnues enfin comme telles.

Mais cette sagesse retrouvée est hélas encore loin d’être générale, bien au contraire! Ce qui est très franchement inquiétant c’est que, très récemment L’Obs, faute de trouver les preuves qui l’autoriseraient à brandir l’invective infamante et à mettre fin à un débat où il était cruellement à court d’arguments, n’a pas hésité, comme d’autres avant lui, à les fabriquer! L’«enquête» de Matthieu Aron – rarement le terme «enquête» aura été aussi clairement dévoyé – tente d’abord de m’amalgamer à ceux que l’on accuse, en tordant il est vrai le plus souvent les faits, de «racialiser» les différends politiques. Même si je respecte leur combat et que, plus encore, j’exècre la cohorte de leurs ennemis, je me suis, sur ce point très précis, explicitement et publiquement démarqué de certaines des catégorisations du Parti des indigènes de la République.

Mais l’essentiel est ailleurs: les «racialistes» ne peuvent bien évidemment être qu’«antisémites». La démonstration requérait donc une seconde série de mensonges; qu’on en juge: les jours suivants le meurtre à Paris, le 23 mars 2018, d’une vieille dame juive du nom de Mireille Knoll, l’un de ses auteurs étant de culture musulmane, a donné lieu à une délirante flambée d’insinuations sectaires toutes plus virulentes les unes que les autres. Un sommet a été atteint par Robert Badinter, souvent mieux inspiré, qui a cru pouvoir qualifier ce crime de «Shoah dans un appartement». L’enquête de police a pourtant très vite permis d’entrevoir la réalité d’un forfait plus banalement crapuleux.

Dans ce contexte, sur Twitter, j’ai ironisé, non point sur un meurtre parfaitement odieux et moins encore sur la Shoah, mais bien sur l’imprudente interprétation péremptoire du crime par un ténor de la scène publique. Je l’ai fait en des termes qui, sur le sens de mon commentaire, ne laissaient pas la plus infime place au doute:

 

 

Pour le détourner de sa signification parfaitement explicite et parvenir à insinuer que mon ironie ciblait le meurtre de Mireille Knoll, le «journaliste d’investigation» a d’abord amputé purement et simplement mon tweet – ce n’est pourtant pas si long que ça, un tweet… – de toute sa seconde partie. Mais cela ne suffisait pas. Aron a donc supprimé la référence explicite à l’auteur (Badinter) de la formule incriminée. Il a ensuite retranché également la mention «Oh l’erreur» qui portait trace elle aussi d’un sens interdisant l’interprétation qu’il entendait dénoncer. Puis il a supprimé les guillemets montrant que je n’étais pas l’auteur de la formule «Shoah dans un appartement», avant, pour masquer sa grossière intervention, d’en remettre sur l’ensemble de la phrase. On est donc là bien loin de la faute d’inattention, sur le terrain de la fabrication d’une infox (fake news). La fabrique des infox, ce dangereux sport du moment dont L’Obs va avoir l’impudeur de faire le thème de l’un de ses numéros suivants.

L’épisode ne s’arrête pas là. Quelques semaines plus tard, alors que des démentis avaient déjà circulé, Michel Guerrin, l’un des rédacteurs en chef du Monde, sans se donner la peine d’opérer la moindre vérification – telle que lire mon tweet par exemple – recopie paresseusement l’infox de son confrère «fabricant d’antisémites» et manipulateur de tweet et écrit que j’ai tweeté: «Oups, ce n’était pas vraiment la Shoah dans un appartement»! En matière d’«antisémitisme» utile, on le voit, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. (30 janvier 2019)

(Tribune publiée sur le site Orient XXI. François Burgat, que nous connaissons bien, est intervenu dans des conférences soutenues par le site alencontre.org. Sur ladite question de la Palestine/Israël notre site traduit régulièrement de l’anglais – pour un public francophone, «parfois» monolingueles articles d’Amira Haas et de Gideon Levy, publiés dans Haaretz ou ceux du site israélien +972, ou encore les analyses de Gilbert Achcar, sans mentionner les contributions du responsable au plan rédactionnel du site (Udry Charles-André). François Burgat est intervenu, à Lausanne (UNIL, entre autres), sur la Syrie écrasée par le dictateur Bachar al-Assad et sur le rôle des «puissances régionales» qui ont «rempli un vide» entre 2012 et 2013-2014, avant l’intervention militaire de Poutine en 2015, etc. Il put y avoir des échanges courtois avec François Burgat sur la place et le rôle politique des Frères musulmans. Il développe ses analyses sur une connaissance approfondie des sociétés du «monde arabe», de leur culture, des modalités d’expression des courants comme les Frères musulmans, restitués dans un contexte historique et dans leur langage ainsi que leur expression qui participe d’une élaboration visant à rompre avec les scories de la pensée coloniale, même coloniale déguisée. Il faut lire son ouvrage: Comprendre l’islam politique. Une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste, 1973-2016, Ed. La Découverte (octobre 2016).

Un échange politique avec F. Burgat sur ces questions, au-delà du fait que nous ne disposons pas de ses connaissances et de sa maîtrise de l’arabe, renforce notre solidarité raisonnée avec lui. Nous ne pouvons pas supporter les calomnies de journaleux triporteurs de ce qui est vendu comme «informations» et même «idées». Le courant politique dont nous sommes issu («marxiste-révolutionnaire») a connu ces flots de calomnies transportés par des Etats et leurs PC (appareils) staliniens. Notre solidarité avec François Burgat, en l’occurrence, est donc pleine est entière. En outre, les attaques calomniatrices contre F. Burgat visent aussi le site Orient XXI. Pas un hasard, d’autant plus qu’il est membre de son comité de rédaction. Udry Charles-André)

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