FIFA. Une enquête aux effets boomerang

Sepp Blatter et Michel Platini
Sepp Blatter et Michel Platini

Par Michel Henry et Grégory Schneider

La Fédération internationale de football (FIFA), qui réunissait jeudi et vendredi son comité exécutif à Marrakech, est en feu. A l’origine: la démission mercredi du désormais ex-investigateur en chef de la FIFA, Michael Garcia, écœuré par l’utilisation qui a été faite de son travail par ses commanditaires, sur fond de guerre des chefs – le président de l’Union européenne de football (UEFA), Michel Platini, est dans le paysage – et d’utilisation à l’échelle géopolitique des pièces suggérant une corruption.

 

Quels sont les reproches de Michael Garcia à la FIFA?

Magistrat réputé incorruptible, l’Américain explique que, pendant ses deux premières années comme président «indépendant» de la chambre d’investigation du comité d’éthique (créée en juillet 2012), celui-ci réalisait de «vrais progrès» en la matière. «Ces derniers mois, cela a changé», déplore Garcia. C’est que le 5 septembre, l’enquêteur a remis un rapport de 400 pages examinant les allégations de corruption lors de l’attribution en 2010 des Mondiaux 2018 à la Russie et 2022 au Qatar.

Et, là, tout a déraillé. L’Allemand Hans-Joachim Eckert, président de la chambre de jugement de la FIFA chargé de l’étudier, a indiqué qu’il ne le publierait pas intégralement, avant de tirer la conclusion qu’il n’y avait pas là de quoi remettre en cause l’attribution des Mondiaux. Garcia s’est étranglé, pointant «de nombreuses représentations incomplètes et erronées» dans les conclusions d’Eckert. Il a fait appel devant la FIFA. Qui, mardi, a rejeté cet appel pour des raisons de procédure – à Garcia l’enquête, à la FIFA les conclusions. L’Américain a conclu: «Aucun comité indépendant, aucun enquêteur, aucune instance d’arbitrage ne peut changer la culture d’une organisation.»

Pourquoi l’Helvète Sepp Blatter avait-il commandité ce rapport?

Rétrospectivement, l’initiative du rapport sur les allégations de corruption est totalement contre-productive: censé ripoliner l’image de l’institution, il est revenu comme un boomerang sur Blatter et la FIFA qu’il préside, plus opaque que jamais, décimée par ailleurs par des affaires de corruptions ou collusions qui ont emporté bon nombre de délégués asiatiques, africains ou sud-américains.

A l’origine, l’intérêt de Blatter quand il a créé la chambre d’investigation du comité d’éthique était double. Le Suisse, qui a voté pour les Etats-Unis et non le Qatar pour le Mondial 2022, se plaçait déjà dans le camp de ceux qui cherchent la vérité, communiquant alors à l’envi sur la nécessité de rompre avec les bonnes vieilles pratiques de cooptation, népotisme et pots-de-vin – estimés à 130 millions de dollars sous la présidence du Brésilien João Havelange entre 1974 et 1998, selon le journaliste britannique Andrew Jennings.

La deuxième raison est fondamentale: Blatter sait, comme d’autres, que les services secrets américains et britanniques (le dossier anglais était en concurrence avec celui des Russes pour 2018) ont compilé un nombre astronomique d’éléments susceptibles de faire passer les révélations publiées jusqu’ici – grâce à des fuites plus ou moins organisées à la FIFA – pour un film comique. En prenant l’initiative, Blatter a aussi tenté de se couvrir à l’heure du grand déballage qui pourrait l’emporter: s’il n’apparaît pas impliqué en premier chef, il a depuis seize ans laissé faire, sans doute pour mieux «tenir» ses collaborateurs.

Quid du Français Michel Platini?

Si Blatter se représente pour un cinquième mandat à la tête de la FIFA le 29 mai, Platini n’ira pas: il a formellement jeté l’éponge cet automne, tout en exprimant quelques réserves – «je pense que la FIFA a besoin d’un nouveau souffle». Il n’en a pas moins conscience d’être un recours naturel: alors que la quasi-totalité des autres confédérations continentales sont pourries jusqu’à l’os, l’UEFA se porte bien. De plus, en se retirant du jeu, il se protégeait des révélations – rapport Garcia et autres – à venir: on avait alors signalé dans ces colonnes qu’un retour en arrière – Platini était initialement programmé pour la FIFA en 2015, avant que Blatter ne décide de se représenter – était crédible.

Les liens entre Blatter et Platini sont particuliers. S’ils s’opposent publiquement sur bien des sujets (arbitrage vidéo, etc.), ils se connaissent bien et depuis longtemps, le Français ayant fini par développer une forme d’affection – «respect» serait un grand mot – pour un Blatter qui l’a à la fois encouragé et borduré au fil des ans. Et dont Platini mesure mieux que personne le côté insubmersible.

Vendredi, Blatter s’est accroché à la candidature qatarie, pourtant mal partie: «Il faudrait vraiment qu’il y ait un séisme, de nouveaux éléments extrêmement importants pour revenir sur cette Coupe du monde au Qatar.» Si le Suisse devait tomber de lui-même, ou à la suite de révélations sur le dossier qatari (celles liés à la candidature russe étant plutôt destinées à servir de support à la diplomatie des Etats-Unis sur le dossier ukrainien), le Français Jérôme Champagne, véritable marionnette de Blatter, resterait seul en lice pour l’élection du 29 mai. Un puissant aiguillon pour une candidature de Platini, qui en ferait en grande partie une affaire non pas de principe mais d’ego: le président de l’UEFA vit dans la détestation d’un Champagne qu’il tient pour un homme d’envergure modeste. Et qu’il soupçonne d’alimenter les médias en éléments à charge contre lui dans le dossier qatari. (21 décembre 2014, Libération)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*