Crise Ebola. Les limites de l’«humanitarisme» occidental? Le futur vaccin: les essais cliniques en Afrique et ses effets possibles sur la «mobilisation humanitaire»

En août 2014, NewLink Genetics Corp (Etats-Unis), patentait un vaccin contre l'Ebola, qui a été mis au point par des scientifiques du gouvernement canadien!
En août 2014, NewLink Genetics Corp (Etats-Unis), patentait un vaccin contre l’Ebola, qui a été mis au point par des scientifiques du gouvernement canadien!

Par Fanny Chabrol

L’OMS a récemment déclaré le Nigéria «Ebola free», après le Sénégal, félicitant notamment les politiques menées. Quelles sont-elles?

Alors que 3 pays d’Afrique de l’Ouest (Libéria, Guinée et Sierra Leone) sont encore aux prises avec une épidémie qui se propage rapidement, le Nigéria et le Sénégal ont récemment été déclarés «Ebola free» par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), c’est-à-dire qu’aucun nouveau cas n’a été identifié sur leur territoire sur une durée correspondant à deux périodes d’incubation du virus, soit 2 fois 21 jours pour Ebola.

Ce sont donc évidemment de très bonnes nouvelles. Le Nigéria est parvenu à juguler l’épidémie à la source extrêmement rapidement: 20 personnes ont contracté le virus dont 8 sont décédées, ce qui donne un taux de survie de 60% (un taux supérieur à la moyenne). Ce faible nombre de cas peut s’expliquer par l’efficacité des mesures adoptées et mises en place: le Nigéria a instauré un contrôle à ses frontières sans les fermer. Il n’a également pas suspendu ses vols vers les pays les plus touchés mais a mis en place des postes de contrôle dans tous les aéroports.

De plus, l’épidémie est survenue dans de relatives bonnes conditions. Le premier cas a ainsi été pris en charge dans une clinique privée, avec une structure assez adéquate, tandis que les autres cas ont concerné des soignants, une population éduquée et informée sur l’épidémie, ce qui a facilité une réponse rapide au niveau du «contact tracing» – retrouver tous ceux qui ont été en contact direct avec un patient atteint du virus Ebola –, et qui a concerné plus de 900 personnes.

Cette victoire s’explique également par le fait que le système de santé nigérian est mieux doté et efficient dans la coordination des mesures de santé publique, de prévention, de traitement que ceux des autres pays touchés par la crise. La coordination nationale des acteurs économiques, politiques et institutionnels s’est également révélée efficace, et ce malgré le gigantisme du pays, qui pouvait laisser craindre le pire. [Nigéria :177 millions d’habitants, ce qui correspond à 1/6 de la population du continent africain ; ce pays possède 4000 km de frontières terrestres et 800 km de littoral;  à l’ouest: le Bénin; à l’est le Cameroun (1690km); au Nord, le Niger (1497 km) et le Tchad (avec 87km seulement); la corruption gangrène une société dont les «élites» jouissent d’une rente liée au pétrole et aux minerais ; «l’exportation de capitaux» (fuites «illicites») est un trait fort de cette économie rentière et est à hauteur de centaines de milliards de dollars; les inégalités sont extrêmes.]

Comment comprendre la faiblesse de la réponse internationale depuis le début de l’épidémie, notamment celle de l’OMS? Est-on en train de rattraper le retard ?

La réponse internationale a tardé à se mettre en place. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de reconnaître tout récemment qu’elle a sous-estimé le potentiel de flambée épidémique – en privilégiant un scénario cantonné à un faible nombre de cas –, ainsi que la situation sociale et politique des pays touchés.

De plus, les pays qui la composent – l’OMS étant une organisation intergouvernementale – n’ont pas fait particulièrement pression au début pour infléchir la position de l’organisation, étant donné que l’épidémie concernait «seulement» des pays africains, comme lors des précédentes épidémies.

Personne n’a envisagé une crise d’une telle ampleur, malgré les alertes précoces de Médecins sans Frontières (MSF) dès le mois d’avril 2014. L’OMS a tenté de combler le retard en mobilisant très fortement les Etats membres et la communauté internationale tout en jouant un rôle dans la coordination de la lutte contre le virus [voir sur ce site l’article consacré à la politique de l’OMS dans ce domaine, article publié en date du 8 septembre 2014].

Contrôle à l'arrivée...
Contrôle à l’arrivée…

Comment peut-on expliquer la polémique naissante aux Etats-Unis sur l’absence de traitement disponible pour contrer le virus?

Les débats au sujet d’Ebola sont actuellement très vifs aux Etats-Unis et tournent autour du fait qu’il n’existe actuellement aucun vaccin ou traitement au point. C’est une situation qui est plus propice à la panique qu’au débat. Il existe également une incompréhension de la population, qui ne comprend pas qu’aucun vaccin contre le virus ne soit disponible malgré la puissance pharmaceutique et scientifique du pays.

L’approche qui a été privilégiée a été davantage de préparer le continent nord-américain à une attaque bioterroriste à partir de virus plutôt qu’à un scénario d’épidémie qui émergerait à partir d’un ou de quelques malades.

Depuis la découverte du virus en 1976 [voir article publié sur ce site en date du 26 août 2014], la recherche vaccinale comme thérapeutique a clairement été négligée par rapport à la préparation à une attaque terroriste; on s’est finalement peu intéressé à Ebola.

Aujourd’hui on peut imaginer qu’une bonne partie de l’investissement occidental futur va passer par la recherche clinique et biomédicale sur la recherche de vaccins. Il faudra regarder attentivement la façon dont les recherches et essais cliniques futurs seront menés sur le continent africain [1]. Plus encore, il faudra veiller à ce que cette recherche ne prenne pas le pas sur la mobilisation humanitaire qui fait défaut aujourd’hui.

Cette crise ne démontre-t-elle pas les limites de l’«humanitarisme» occidental?

Ebola révèle une crise de l’humanitarisme occidental dans la mesure où l’on assiste, face à un virus qui fait extrêmement peur et qui est très contagieux et extrêmement pathogène, à une démobilisation des volontaires et des potentiels humanitaires dans les pays développés. MSF apparaît comme l’unique exception et, au regard de sa force de frappe, peut continuer à envoyer des soignants dans des conditions de sécurité relativement bonnes.

A ce jour, seules les puissances émergentes telles la Chine ou les pays du Sud (comme Cuba) ont fourni des soignants car les puissances occidentales craignent d’exposer leur personnel de santé dans un contexte aussi difficile, sans garantie de rapatriement dans leur pays si jamais les soignants contractaient le virus.

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[1] Comme l’éclaire de manière détaillée Guillaume Lachenal dans son ouvrage intitulé Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies (La Découverte, «Les Empêcheurs de penser en rond», 2014). Dans un compte rendu du quotidien Le Monde, en date du 23 octobre 2014, Catherine Simon reprend un des aspects importants de cet ouvrage historique: «En février 1948, une «Conférence africaine sur la tsé-tsé et la trypanosomiase» réunit, à Brazzaville, des spécialistes français, belges, britanniques, sud-africains et portugais. Une posologie standard est adoptée, afin «d’étendre l’application des méthodes de prophylaxie chimique dans les territoires africains où sévit l’endémie sommeilleuse». C’est ainsi, souligne l’auteur, qu’est lancé «le premier programme international de médecine de masse en Afrique».
Qu’il s’agisse de Léon Launoy, professeur à la faculté de pharmacie de Paris, du docteur Marcel Vaucel, directeur du service de santé aux colonies ou de Gaston Muraz, inspecteur du corps de santé colonial, les notables de la médecine coloniale en prennent tous pour leur grade. Ne se sont-ils pas fait les chantres – aussi naïfs qu’intéressés – de cette médecine «merveilleuse», devenue l’emblème des «magnifiques victoires ­ sanitaires de notre civilisation»? La première alerte, donnée en 1954, ne suscite ni inquiétude ni curiosité. Vingt-huit morts ont pourtant été dénombrés.
Ce n’est qu’à la fin du récit, habilement construit, que le lecteur découvre le «pot aux roses» et comprend pourquoi la Lomidine a été d’une si capricieuse efficacité. «L’irrationalité et l’ignorance dont on accusait (…) les Africains», de plus en plus méfiants, «tendaient en fait un miroir à la bêtise enthousiaste et amnésique des médecins», conclut l’auteur. Le livre de Guillaume Lachenal [dont la tribune dans Le Monde a été publiée sur le site alencontre en date du 23 octobre] frappe fort et loin. Il innove: non pas du fait de ses coups de griffe, mais parce qu’il prend la stupidité des hommes de pouvoir – ici, les scientifiques et les médecins coloniaux – comme une donnée de l’histoire. Gustave Flaubert, père de Bouvard et Pécuchet, n’en finit pas d’être ­copié.» (Réd. A l’Encontre)

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Fanny Chabrol est chercheure associée à l’IRIS.

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