A Damas, le quartier de Yarmouk, concentré de la guerre syrienne

Dans le camp de Yarmouk...
Dans le camp de Yarmouk…

Par Cecile Hennion

Affamé, harcelé par les snipers et déchiré entre factions rebelles, le camp palestinien de Damas, qui occupe une position stratégique, est l’enjeu d’une bataille acharnée.

Nulle part en Syrie la stratégie de «l’affamement» n’aura été appliquée par le régime de Bachar Al-Assad avec autant de rigueur que dans le camp palestinien de Yarmouk, cette petite enclave de deux kilomètres carrés, scellée par les barrages, les tirs de snipers et les bombardements. Nulle part en Syrie cette stratégie n’aura été si cruelle. A Yarmouk, entre juin 2013 et février 2014, quand le siège était le plus hermétique, plus de la moitié des 194 victimes sont mortes de faim, à 8 kilomètres du centre de Damas où des restaurants étaient ouverts… Deuxième cause de mortalité: les francs-tireurs, fauchant ceux qui tentaient d’extraire des végétaux dans les champs en bordure du camp. Hôpitaux, cliniques et personnels médicaux y ont été les cibles systématiques des bombardements de l’armée régulière. [1]

Cet acharnement a ses raisons stratégiques. Situé au sud de la capitale syrienne, Yarmouk forme avec les quartiers voisins, Al-Hajar Al-Asouad, Al-Qadam, Al-Taqadom, Yalda et Babila, un axe reliant les deux grands faubourgs de Damas contrôlés depuis fin 2012 par l’opposition: la ghouta occidentale (Daraya et Mouadhamiya) et la ghouta orientale (allant de Maliha à Douma).

«Campagne de bombardements»

«Au printemps 2013, le régime a imposé un état de siège sur tous les quartiers du sud de la capitale et mené une campagne de bombardements qui les a détruits, rappelle Ziad Majed, politologue et auteur de Syrie, la révolution orpheline (Actes Sud, 2014). A l’été, il a utilisé l’arme chimique contre des localités des deux ghoutas.» Début 2014, poursuit-il, «les milices libanaise du Hezbollah et irakienne de Abou Fadel Al-Abbas, alliées de Bachar Al-Assad, ont repris la localité de Maliha. Cela a permis au régime de scinder le front en séparant les deux ghoutas, de renforcer le siège et d’intensifier la pression sur Yarmouk.»

Contrôler cette région, explique M. Majed, permettrait à l’opposition d’augmenter la pression militaire sur Damas, en créant un arc autour de la ville. D’autant que dans le nord-est de la capitale, à Jobar, les combats se poursuivent depuis 2013. Les groupes insurgés ne s’y trouvent plus qu’à 500 mètres de la place des Abbassides, deuxième grande place de Damas.

Les deux grandes voies vers le sud, ainsi que l’autoroute reliant l’aéroport international à Damas, passent aussi par cet axe. «Le contrôler permettrait de fermer l’aéroport, isolant militairement ce qu’il reste des positions du régime dans le sud du pays: les gouvernorats de Deraa, Souweïda et Kuneitra».

Yarmouk est devenu un enjeu majeur de la guerre que se livrent aujourd’hui milices palestiniennes de tous bords, factions de l’Armée syrienne libre, combattants de l’Etat islamique, milices et soldats du régime. Cette multiplicité des groupes armés et les souffrances de la population font de Yarmouk un concentré de la guerre civile syrienne.

Fin 2010, Yarmouk comptait quelque 500’000 habitants. Il y avait une continuité territoriale et démographique entre le camp et les quartiers voisins, où vivent plus de 250’000 habitants (syriens), de classes pauvres, souvent originaires de l’est et du sud, déplacés vers ces quartiers entre 2000 et 2010 en raison de la sécheresse. Aujourd’hui, la grande majorité a fui. Avec les combattants ne restent pas plus de 18’000 civils, les plus fragiles (malades, simples d’esprit, vieux, pauvres), des «boucliers humains» avec nulle autre perspective que de subir les combats de tous contre tous, au cœur de cette bataille essentielle dans la guerre syrienne. (Article publié dans Le Monde, en date du 8 octobre 2015)

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[1] Selon RFI, en date du 7 octobre 2015: «De nouvelles frappes aériennes menées par la Russie dans le nord-ouest et le centre de la Syrie ont eu lieu. Les bombardements ont visé la province de Hama et celle d’Idleb et, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), ces bombardements se sont faits en coordination avec les troupes syriennes pro-Bachar el-Assad. C’est la première fois que les bombardements russes accompagnent une offensive au sol.»

Selon Le Monde (Check-list du 8 octobre 2015): «Le principal objectif de l’offensive russe viserait des zones tenues par les groupes d’insurgés qui s’opposent à M. Assad et à l’Etat islamique, dont le Front Al-Nosra, “filiale” syrienne d’Al-Qaida. Mais il y a eu des frappes aériennes ailleurs en Syrie, explique le New York Times. On sait aussi, d’après des sources régionales de Reuters, que le général iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d’élite iranienne Al Qods, a participé à la préparation de la campagne aérienne russe en Syrie. Le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé que les opérations russes allaient s’intensifier, tandis que son ministre de la défense, Sergueï Choïgou, a assuré que 112 cibles avaient déjà été touchées depuis le début de la campagne, le 30 septembre.» (Rédaction A l’Encontre)

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