L’antisémitisme et les contradictions inhérentes à l’Etat d’Israël

Hanin Zoabi

Par Ramzy Baroud

Le chroniqueur Yaniv Halili [qui écrit ans le quotidien israélien Yediot Aharonot] a, dans un récent article, décrit l’auteur britannique Ben White comme étant «antisémite». Il a également dénoncé Hanin Zoabi, membre arabe de la Knesset [le parlement israélien], pour avoir rédigé une préface au dernier ouvrage de White: Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy [Les Palestiniens en Israël : ségrégation, discrimination et démocratie; voir l’entretien avec l’auteur traduit et publié sur ce site en date du 3 février 2012].

Ceux d’entre nous qui parviennent à voir au travers d’une pensée aussi déformée savent que White est un écrivain de principes qui n’a jamais affiché la moindre parcelle de racisme dans son travail. Zoabi est une dirigeante très connue dans le domaine des droits civils. Elle a une réputation établie de longue date de courage et de sang-froid.

Comment des personnes qui s’efforcent de combattre le racisme sont elles-mêmes devenues le sujet des accusations de Halili et d’autres comme lui?

Il va sans dire qu’il ne devrait y avoir aucun espace pour un quelconque discours raciste – islamophobe, antisémite ou n’importe quel autre – au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine. Celui-ci vise à réaliser les droits, longtemps niés, du peuple palestinien et réclame la justice pour ce dernier. Un discours raciste est fondé sur la suprématie raciale, ce qui est exactement ce contre quoi les Palestiniens résistent aujourd’hui en Israël et dans les territoires occupés.

Mais l’Etat «juif et démocratique» d’Israël est empêtré dans tant de contradictions qu’aucun type de récit simple n’est en mesure de les saisir.

De nombreux chercheurs et groupes spécialisés dans le domaine des droits civils ont discuté la façon par laquelle des valeurs irréconciliables ont défini le caractère même d’Israël depuis sa fondation. Selon Adalah (terme signifiant «justice» en arabe), le centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël: «La Déclaration d’indépendance d’Israël (1948) énonce deux principes importants permettant de comprendre le statut légal des citoyens palestiniens d’Israël. Le premier: la Déclaration se réfère spécifiquement au caractère d’Israël comme “Etat juif” installé pour le “rassemblement des exilés”. [Le second…,] la Déclaration ne contient qu’une seule occurrence au sujet de l’assurance d’une égalité politique complète et des droits sociaux pour tous les citoyens, indépendamment de leur race, religion ou sexe.»

Adalah affirme en outre qu’il y a donc une «tension» entre ces deux principes. Peut-être est-ce intellectuellement le cas. En pratique, toutefois, la mise en œuvre de la politique israélienne a résolu ce dilemme apparent en faisant prévaloir la judéité de l’Etat sur toutes autres considérations humanitaire, démocratique ou légale. Une législation raciale est en train d’être produite en série au sein de la Knesset israélienne, à une vitesse alarmante. De nouvelles lois sont en permanence proposées. Parmi celles-ci, selon la chroniqueuse Linda Heard (Arab News, 24 janvier 2012): «une [loi] qui entend abolir le statut de l’arabe comme l’une des langues officielles d’Israël; une autre qui se propose de punir les citoyens israéliens, y compris les Arabes israéliens, en cas de refus de prêter allégeance à “Israël comme Etat juif et démocratique”.»

L’inscription légale de l’infériorité politique des Palestiniens vivant dans les territoires occupés a été ressentie d’une façon beaucoup plus forte et souvent plus sanglante que par leurs frères vivant en Israël. Pendant près de 45 ans, les Palestiniens vivant dans ces territoires ont perdu leurs terres, leurs moyens de subsistance, leur liberté de circulation et parfois même leurs vies au nom de la supériorité raciale de leurs occupants.

Les colonies juives sont illégalement construites sur la terre palestinienne afin d’y accueillir des colons juifs, lesquels utilisent des routes réservées exclusivement à des juifs pour se déplacer entre les différentes colonies puissamment fortifiées et «l’Etat juif». Bien que de nombreux intellectuels, des militant·e·s et de simples membres de «communautés juives», à travers le monde, aient protesté avec vigueur contre le traitement réservé par Israël aux Palestiniens, ainsi que contre l’utilisation frauduleuse de la religion juive pour atteindre des objectifs politiques, Israël s’appuie largement sur le soutien des «communautés juives», des organisations et individus pour obtenir des fonds décisifs, un soutien politique et effectuer du lobbying.

Alors que de nombreux juifs identifient Israël comme un «Etat juif», «les jeunes juifs américains sont plus susceptibles que leurs parents d’être au courant de la situation des Palestiniens et de leur histoire», indique le magazine Time en date du 29 septembre 2011.

Cet article du Time parle notamment d’un jeune homme, Benjamin Resnick, âgé de 27 ans, qui dénonce le fait que la démocratie libérale américaine et l’Etat juif représentent deux conceptions «irréconciliables». Mais il « continue à se considérer lui-même comme un sioniste», qui «cite la Torah pour soutenir sa vision selon laquelle les juifs américains devraient insister pour qu’Israël arrête le développement des colonies et aider à l’établissement d’un Etat palestinien». Même la dissidence politique de Resnick est parcourue d’incohérences où l’identité nationale (américaine) s’affronte avec l’idéologie (sioniste) et la religion (la Torah), qui est employée comme moyen pour résoudre les contradictions.

La Torah est mise en permanence à contribution par des rabbins officiels et fanatiques, dont les décrets portant sur le meurtre d’Arabes sont monnaie courante dans les médias israéliens (bien que cela ne soit que rarement rapporté dans la presse aux Etats-Unis).

La prétendue Torah du roi [1] – dont le contenu a reçu l’adhésion de certains éminents rabbins israéliens – affirme que tuer des Palestiniens de tout âge est autorisé, y compris ceux et celles qui ne représentent pas une menace. «Vous pouvez tuer ceux qui ne soutiennent ou n’encouragent pas le meurtre afin de sauver la vie des juifs», est-il écrit au cinquième chapitre intitulé «Tuer des non-juifs en temps de guerre». La BBC développe, en date du 19 juillet: «En un endroit, il est suggéré que les bébés peuvent légitimement être tués s’il apparaît que lorsqu’ils grandiront ils puissent constituer une menace.»

Cela est particulièrement problématique lorsque les frontières entre politique, idéologie et religion deviennent si commodément floues. Des dirigeants israéliens et juifs empruntent des passages [de la Torah] lorsqu’ils estiment qu’ils sont appropriés pour réaliser des politiques visant à poursuivre l’occupation, la guerre et la colonisation illégale. Alan Dershowitz, professeur à la Harvard Law School, est devenu un représentant de ce dernier modèle. Son propos manque de diplomatie et de logique; il est toutefois efficace dans certains cercles parce qu’il est centré autour de l’idée de diffamer quiconque ose critiquer Israël. La plus grande tragédie réside dans le fait qu’une plate-forme est fournie par les médias officiels et de droite israéliens à Dershowitz, donnant ainsi à sa campagne de diffamation les moyens de transformer n’importe quelle discussion véritable à propos d’Israël en un discours haineux controversé.

Alors que les critiques non-juifs [de la politique menée par l’Etat d’Israël] sont souvent diffamés comme étant «antisémites», le juriste Richard Goldstone, qui a dirigé l’enquête menée par l’ONU au sujet de la guerre israélienne contre Gaza, n’était pas seulement un «simple antisémite» pour avoir conclu qu’Israël et le Hamas avaient commis potentiellement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Dershowitz a déclaré à la radio de l’armée israélienne que Goldstone était «un traître au peuple juif». «Le rapport Goldstone est un écrit diffamatoire écrit par un homme très maléfique», a précisé Dershowitz (Haaretz, 31 octobre 2011).

Alors que la question des droits des Palestiniens et celle d’obtenir l’établissement d’un Etat peut être tout à fait précise – peu de véritables intellectuels pourraient justifier le nettoyage ethnique, défendre l’apartheid ou un assassinat rationalisé –, se pencher sur l’identité politique d’Israël ainsi que sur ses partisans idéologiques ou religieux devient immédiatement sujet de «disputes». La controverse est encastrée dans l’élasticité intellectuelle et politique délibérée par laquelle Israël se définit – ou refuse de le faire. Cet Etat prétend être juif aussi bien que démocratique. Il affirme incarner les idéaux religieux, mais également être laïc. Il prétend être progressiste, alors qu’il exerce une oppression militaire. Il affirme encore sauvegarder «l’égalité» pour toutes et tous alors qu’il est fondé sur l’exclusion raciale.

Si vous osez défier ces contradictions irréconciliables, vous êtes étiqueté «antisémite» ou «traître» – lorsque cela n’est pas les deux. (Traduction A l’Encontre)

_______

* Article publié le 2 février sur le blog de Ramzy Baroud, éditeur du site PalestineChronicle.com et auteur de My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Editions Pluto Press, Londres).

 

[1] Publiée en 2009 par le rabbin Yitzhak Shapira, vivant dans la colonie de Yitzhar en Cisjordanie. En octobre 2010, Shapira a appelé l’armée israélienne à faire usage de civils palestiniens comme «boucliers humains», affirmant qu’il était contraire aux «véritables valeurs juives» qu’un soldat mette en danger sa vie pour des soldats ennemis ou civils. (Réd.)

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*