Cisjordanie. Exemple d’une pratique d’extension des territoires colonisés

Des militaires israéliens cherchent à empêcher des Palestiniens et des militants de Ta’ayush de s’approcher d’un «avant-poste» qui prépare
une extension territoriale des colonies (O.Ziv)

Par Oren Ziv

Accompagnés de militants israéliens et internationaux, les habitants de la communauté rurale palestinienne de Ein Samia ont pu se rendre à leurs pâturages, situés entre les avant-postes connus pour être les plus violents de Cisjordanie.

La communauté d’Ein Samia à proximité de la colonie de Kochav Hashahar, en Cisjordanie, juste au nord de Jérusalem-Est, est composée de 40 familles. Les résidents palestiniens ont été expulsés de cette zone dans les années 1970, lorsque les forces de l’armée israélienne y ont établi une base faisant partie de la colonie. Depuis lors, les villageois vivent sur une colline voisine.

Il y a six ans, les avant-postes de Kochav Hashahar, souvent appelés les avant-postes Baladim, ont commencé à s’étaler, ils sont construits par des jeunes juifs connus pour être parmi les colons les plus violents et extrémistes de Cisjordanie. Dernièrement, les attaques contre les résidents palestiniens ont augmenté. Les villageois racontent que, la semaine dernière, un colon, accompagné de soldats et d’un troupeau de moutons, s’est approché d’une des maisons du village. Il a essayé d’attaquer un Palestinien ; les soldats n’ont fait que le strict minimum, et ont recommandé à la victime de s’adresser plutôt à la police.

Ils ajoutent que lorsque le villageois est arrivé au poste de police, il a été arrêté et emprisonné pendant près de 72 heures. Suite à cet incident, des militants israéliens de gauche de l’organisation Ta’ayush [ce regroupement réuni des Israéliens et des Palestiniens : en arabe le terme signifie «vivre ensemble»] se sont mobilisés pour soutenir les villageois.

Il y a deux semaines [l’article a été publié le 19 août 2018], les forces de l’armée israélienne ont démoli «Maoz Esther», l’un des avant-postes de Baladim, situé à un kilomètre de la clôture qui entoure Kochav Hashahar. Le jour même, les jeunes colons des collines ont entamé la construction d’un nouvel avant-poste. Au début de la semaine dernière, la nouvelle structure était déjà en chantier.

Mercredi dernier, des dizaines de militants israéliens, palestiniens et internationaux ont rejoint les militants palestiniens locaux pour une visite de solidarité. Il s’agissait de les escorter jusqu’aux zones de pâturage appartenant aux Palestiniens mais situés entre les deux avant-postes des colons israéliens. Les propriétaires palestiniens ont peur de s’approcher de leurs pâturages sans être accompagnés: «Si nous y allons seuls, les colons viennent tout de suite vers nous et nous lancent des pierres», explique H., un résident d’Ein Samia, âgé de 50 ans.

Le trajet à pied d’Ein Samia jusqu’aux pâturages est long. La région a une flore riche, et autrefois les bergers de la vallée du Jourdain s’y rendaient pour y faire paître leurs troupeaux. Aujourd’hui, la colonie de Kochav Hashahar rend cela impossible. Alors que nous marchons en une longue file le long d’un gouffre de plusieurs centaines de mètres de long un autre villageois nous explique qu’ils ont 800 moutons. Pour atteindre la zone de pâturage, il faut faire un détour de plusieurs kilomètres, descendre dans la vallée, puis remonter plusieurs centaines de mètres – tout cela pour éviter l’avant-poste. «La zone de pâturage est hors limites pour nous, non pas à cause de la police ou de l’armée, mais à cause des colons», explique H.

Il est évident que le but du nouvel avant-poste construit la semaine dernière est de créer une contiguïté territoriale avec Maoz Esther, ce qui empêchera les habitants palestiniens d’accéder à leurs pâturages. «Cette construction créera une ligne qui nous bloquera complètement», poursuit-il. «Quand nous nous rendons aux pâturages avec nos moutons, l’armée et la police se contentent de nous observer parce que nous ne faisons rien d’illégal. Mais il est probable que quelqu’un de l’Etat ou des services de sécurité de Kochav Hashahar, a fait le calcul qu’une nouvelle construction nous empêchera de passer entre les deux avant-postes».

«Du point de vue de l’armée, l’avant-poste est illégal, mais les forces de sécurité de Kochav Hashahar aident et protègent les colons. Si les gens de l’avant-poste nous voient approcher, ils appellent immédiatement les soldats», ajoute-t-il. A ses yeux, la distinction entre Kochav Hashahar, qui est considéré comme légal selon la loi israélienne, et les avant-postes qui l’entourent, n’a pas de sens.

Kochav Hashahar a été construit au milieu des années 70. Au début, l’armée a marqué la zone pour la construction d’une base militaire et a demandé aux résidents palestiniens de déménager. «Les soldats nous ont dit de nous “déplacer un peu”. Mais chaque année de plus en plus de gens sont arrivés et c’est devenu de plus en plus difficile», explique H. «Si nous nous déplaçons encore d’un kilomètre, ils occuperont les lieux où nous vivons maintenant et ils prendront la terre. Ils ne veulent pas de nous ici.»

Alors que nous marchons vers la zone de pâturage, Guy Hircefeld, un militant de Ta’ayush qui accompagne depuis des années les communautés palestiniennes dans la vallée du Jourdain raconte: «Mercredi soir, nous avons reçu un appel parce que des colons étaient entrés à l’intérieur du village avec l’armée et la police. L’avant-poste est monté et démonté depuis des années. L’une de leurs structures a été démolie un jour après l’attaque du village, et le vendredi nous sommes venus accompagner les villageois. Pour la première fois il y a eu du calme. Lorsque nous sommes partis nous avons mis au courant l’armée, car cela peut être dangereux, et il y a quelques jours, ils ont commencé à construire un nouvel avant-poste.»

Des colons encagoulés attaquent des militants de Ta’ayush
(avril 2017)

Certains des militants qui sont venus à Ein Samia la semaine dernière ont également escorté des bergers à Al-Auja au début de 2017, où ils ont été violemment agressés par les colons de Baladim. Pas un seul colon n’a été arrêté ni même interrogé. «C’est le noyau dur des jeunes des collines», explique Hircefeld. «Il est exceptionnel que la police nous prévienne, elle l’a fait parce qu’ils sont très violents.» Hircefeld a informé l’armée du fait que nous nous dirigeons vers la zone de pâturage. «Soit les soldats viendront et déclareront qu’il s’agit d’une zone militaire fermée, soit ils nous protégeront. S’ils nous interdisent d’entrer, nous devrons aller devant les tribunaux.»

Après une heure de marche, nous arrivons enfin à la zone de pâturage entre les avant-postes. Devant nous il y a une colline où l’on aperçoit les colons travailler à la construction de leur nouvel avant-poste. Les militants et les habitants décident de retourner au village en passant près de l’avant-poste qui a été démoli la semaine dernière et reconstruit le même jour.

Alors que notre groupe s’approche de l’avant-poste, qui comprend une structure délabrée en bois, avec des équipements et des ordures éparpillés partout, des militaires israéliens et les jeeps de la police arrivent et essaient de nous empêcher de nous approcher de la structure. «Vous ne pouvez pas vous approcher», crie un des soldats, mais sans nous montrer un ordre de zone militaire fermée. Il s’avère rapidement que l’avant-poste a été abandonné, au moins temporairement. Ensuite, la scène devient encore plus absurde: des soldats armés protègent avec application un avant-poste illégal construit sur des terres palestiniennes, avant-poste qui a été démoli et reconstruit, alors qu’il n’y a aucun colon à protéger. «Qu’est-ce que tu protèges?» a demandé l’un des militants aux soldats. «Je protège les ordres qu’on m’a donnés» (!), répond l’un d’eux.

On nous a finalement permis d’approcher l’avant-poste abandonné. Les activistes palestiniens prennent des photos avec des drapeaux palestiniens, allant même jusqu’à en placer un au sommet de la structure.

Après quelques minutes, les militants et les habitants décident de retourner vers le village. Mais les soldats, mécontents de ce qui s’était passé, se sont mis à poursuivre le groupe alors que nous descendions de la colline. Lorsqu’une voiture est venue chercher les activistes, les soldats se sont jetés sur le véhicule, en ont confisqué la clé et l’ont fouillé. Au bout de quelques minutes ils ont abandonné.

Hircefeld prévoit qu’il y aura des suites. Et annonce que si les bergers le souhaitent, les activistes viendront les soutenir.

Je demande à H. s’ils craignent que les liens avec les militants israéliens et internationaux n’entraînent des sanctions pour les villageois. «Je ne sais vraiment pas», répond-il franchement. «Après votre départ, je ne sais pas qui peut venir pendant la nuit. On a de la peine à dormir la nuit, car il suffit d’un demi-litre d’essence pour brûler toute la maison», dit-il en montrant la tente où logent des membres de sa famille. Il se réfère à la famille Dawabshe qui a été brûlée vive par les colons au milieu de la nuit, leur maison n’était qu’à quelques kilomètres de distance. (Article publié sur le site israélien +972 en date du 19 août 2018; traduction A l’Encontre)

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PS. Amira Hass, dans un article publié le 25 août 2018 dans le quotidien Haaretz, a décrit le même genre d’attaques avec le même but que décrit dans l’article ci-dessus et avec la même «complicité» des soldats de l’«armée de défense israélienne»(sic). Amira Hass termine son article ainsi: «Tous [des militants accompagnant des Palestiniens] avaient été victimes d’attaques de colons dans le passé, dans le cadre de leurs activités courantes d’accompagnement des bergers et des agriculteurs palestiniens que les colons tentent violemment d’empêcher d’atteindre leurs terres. La tête de Kronberg [un des militants] a été blessée et le bras de Vardi [un autre] cassé au printemps 2017, lorsque des colons de l’avant-poste de Baladim les ont attaqués, alors qu’ils escortaient les bergers du village d’Oja.»

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