La Libye revendique sa propre zone de recherche et de sauvetage

«Hot spots» en Libye…

Par Lorraine Kihl

La Libye veut interdire une partie des eaux internationales aux bateaux des ONG. Trois ont déjà annoncé suspendre tout ou partie de leurs opérations. L’inquiétude est vive.

«L’équipe médicale vient de refaire l’inventaire de la clinique, on est en stand-by, prêts à repartir.» Sur le Prudence, le plus gros bateau de secours opéré par MSF en Méditerranée, on trépigne. Le navire qui devait quitter Catane, en Sicile, pour reprendre sa mission de sauvetage, ne quittera pas le quai jusqu’à nouvel ordre. L’annonce couperet du «gouvernement» libyen a pris tout le monde de court: la Libye va organiser sa propre zone de recherche et de sauvetage et les ONG, accusées de collusion avec les passeurs, ne sont pas les bienvenues.

Une nouvelle zone interdite en pleines eaux internationales? La Méditerranée est en fait déjà partagée en différentes zones de recherche et sauvetage (SAR pour «search and rescue») qui sont théoriquement sous la responsabilité des pays côtiers. Mais face à l’augmentation des naufrages, c’est l’Italie, en bonne entente avec Malte, qui a pris en main la coordination des opérations dans toute la Méditerranée centrale, en 2013.

Les navires européens des opérations Triton et Sophia, ainsi que les ONG, opèrent librement dans ces zones avec pour seule limite de ne pas franchir les eaux territoriales libyennes, situées à 24 miles (44,4 km) des côtes.

En «instaurant» une zone de recherche, la Libye revendique en fait sa responsabilité initiale sur le territoire attenant à sa côte – pour le plus grand bonheur du gouvernement italien [1]. Et dicte ses règles. «Mais les choses semblent se faire dans la précipitation, remarque Brice de le Vingne, directeur des opérations de MSF. Nous avons encore eu une réunion avec des responsables italiens vendredi qui nous demandaient de rester à 50 miles des côtes libyennes alors que les Libyens parlaient, eux, de 75 miles.»

 

Coups de semonce

Seul l’Aquarius continuait de poursuivre ses opérations de recherche, ce week-end, à la limite des eaux territoriales libyennes. Les deux bateaux de Proactiva Open Arms sont censés reprendre leur service ce lundi. Mais dimanche, les ONG Sea-Eye et Save the Children ont annoncé que leurs bateaux resteraient à quai, le temps d’évaluer les conséquences de la situation d’un point de vue sécuritaire. C’est que la sortie du gouvernement libyen a été perçue comme une menace par les ONG qui se méfient des gardes-côtes libyens (un bateau de MSF a été pris pour cible l’année passée, des coups de semonce ont été tirés la semaine passée contre celui de l’ONG Proactiva).

«On ne veut pas non plus se retrouver dans la situation de secourir des migrants et d’être contraints de les ramener en Libye. C’est hors de question», prévient Brice de le Vingne. D’après les témoignages recueillis et les observations des rares organisations sur place, les migrants attrapés par les gardes-côtes libyens sont renvoyés vers des centres de rétention, dont la sortie se monnaierait via racket, exploitation par le travail ou sévices sexuels (pour les femmes).

«Pour l’équipage, c’est une situation difficile, raconte Raphaël Piret, embarqué à bord du Prudence. Tout le monde est frustré de rester à quai. Et beaucoup se sentent touchés personnellement par ce qui se passe : ils connaissent les récits des rescapés, ont vu les cicatrices. Ça donne une idée très nette de ce qui attend les autres.»

Le maréchal Haftar n’a en tout cas pas tardé à adresser sa note à l’Union européenne. Dans une interview au journal italien Corriere della Sera, l’homme fort de Tripoli a listé ses besoins pour sécuriser la frontière sud du pays afin de bloquer l’accès aux migrants : « Des formations pour les gardes-frontières, des munitions, des armes, mais surtout des véhicules blindés, des jeeps pour le sable, des drones, des détecteurs, des lunettes de vision nocturnes, des hélicoptères…» Un programme chiffré à «20 milliards de dollars sur 20 à 25 ans». (Publié dans Le Soir, 14 août 2017)

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[1] Angelo Alfano a participé au gouvernement Berlusconi IV en 2008; en 2011, il va prendre la direction du parti Peuple de la liberté. Il sera ministre de l’Intérieur des gouvernements d’Enrico Letta (avril 2013-février 2014), du Parti démocrate, puis de Matteo Renzi (de février 2014 à décembre 2016). Alfano devient ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (sic) sous le gouvernement actuel de Paolo Gentilloni, en 2016.

«Entretien» avec un demandeur d’asile

Le 13 août, Alfano a manifesté son contentement de la décision du maréchal Kalifa Haftar sur la zone libyenne qu’il va gérer. Ce dernier, comme Kadhafi, demande des sommes importantes pour mettre les réfugiés subsahariens dans des camps où ils subissent des traitements terrifiants. Voir le reportage du quotidien La Reppubblica, sur la base d’une enquête d’OXFAM, qui titre en synthèse, le 6 juillet 2017: «Libye, abus, tortures et détentions illégales dans l’enfer libyen, “au-delà de la mer”». En outre, cette initiative d’Haftar ­– ancien officier de Kadhafi et prêt à passer des accords les plus tordus pour sa gloire et son pouvoir – s’inscrit dans sa stratégie consistant à récolter des appuis internationaux publics; car les appuis militaires et des services ne lui manquent pas. (Réd. A l’Encontre)

 

 

 

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