Israël. Pas de «République bananière!»

Rafi Rotem, condamné (en 2013) pour avoir dénoncé la corruption,
la montée des méthode d’une «République bananière»

Par Serge Dumont

Une fois par semaine, une poignée de militants se réunissent en plein centre de Tel-Aviv, devant l’entrée de l’immeuble sans cachet abritant les bureaux du Contrôleur de l’Etat, l’équivalent israélien de la Cour des comptes [en France] mais avec plus de compétences. Le rassemblement est silencieux et non violent. Voire bon enfant. Objectif? Manifester silencieusement contre le développement de la corruption en Israël mais surtout, soutenir Rafi Rotem, un lanceur d’alerte israélien viré sans ménagement de l’Unité de renseignement de l’administration fiscale en 2005, après avoir dénoncé par écrit les accointances de certains de ses supérieurs avec le crime organisé. Poursuivi en justice pour calomnie, diffamation et insultes publiques, arrêté à plusieurs reprises, parfois tabassé, ce balèze au visage de bouledogue a obtenu gain de cause sur à peu près tout. Sauf qu’il n’a jamais été réintégré. Et qu’il vit aujourd’hui d’expédients. Mais il ne se décourage pas. «J’irai jusqu’au bout», lâche-t-il en tournant la tête.

«La rue ne tolérera pas»

Rafi Rotem se sent d’autant moins seul que les «affaires» se multiplient. Et qu’un nombre grandissant de citoyens israéliens s’en disent scandalisés. En effet, à l’instar de Myriam Feirberg (Likoud), la puissante maire de Netanya inculpée pour corruption, de nombreux membres de la municipalité sont désormais dans l’œil de la justice pour avoir confondu argent public et argent privé. Au sein du gouvernement, Arié Dery, le ministre de l’Intérieur et leader du parti ultra-orthodoxe Shas qui a déjà purgé une peine de trois ans de prison pour corruption à la fin des années 1990, est également au centre d’une enquête pour fraude fiscale. Quant à son homologue des Affaires sociales Haïm Katz (Likoud), il est poursuivi pour diverses prébendes qui peuvent le conduire derrière les barreaux.

«Il y a quelques mois encore, Rotem était tout seul et faisait figure d’illuminé. Mais le mouvement anti-corruption rejoint celui pour la justice sociale et il s’étend progressivement à toutes les villes du pays», explique Shimon Elarar, un militant de la «société civile», qui manifeste chaque samedi soir, avec des centaines d’autres, à proximité du domicile du procureur général Avishaï Mandelblit. «Nous ne voulons pas faire pression sur la justice, mais nous voulons qu’il sache que la rue ne tolérera pas un enterrement des dossiers sous prétexte de prescription ou parce que tous les devoirs d’enquête n’auraient pas été accomplis.» Et de poursuivre: «Voilà des années que mes amis et moi voyons ce pays se transformer en une république bananière où tout est permis. L’argent, il n’y a plus que cela qui compte chez nos dirigeants et ce n’est pas acceptable.»

En général, les rassemblements anticorruption du samedi soir se terminent mal. La police intervient en force et évacue tout le monde en cassant parfois des bras et des jambes. Pourtant, les participants sont de plus en plus nombreux et, depuis peu, des députés de la gauche d’opposition y participent également.

«En 2011, alors que le printemps arabe prenait naissance dans les pays voisins, nous avons nous aussi commencé à manifester pour le changement», raconte Esti Cohen, militante du parti progressiste Meretz [1]. «Au début, nous n’étions que quelques dizaines et en fin de compte, nous nous sommes retrouvés à 400 000 pour bloquer le centre de Tel-Aviv. A ce moment-là, tout était possible, Benyamin Netanyahou a d’ailleurs eu peur d’être emporté par la vague. Cet esprit frondeur là est en train de revenir. Encore quelques scandales tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui et ça va chauffer». (Article publié dans le quotidien belge Le Soir, en date du 11 juillet 2017)

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[1] ] Meretz, «Energie», parti sioniste, socialiste. Il a adhéré à l’Initiative de Genève, de 2003, signée par Yossi Beilin; c’est le «plus à gauche» des partis sionistes; il combat le démantèlement social en Israël et est favorable au mot d’ordre: «Deux peuples, deux Etats». (Réd. A l’Encontre]

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