Les slogans contre le pouvoir militaire ont uni les nombreuses scènes de Tahrir

«Le vendredi de l'auto-détermination», le 20 avril 2012 - Place Tahrir

Par Heba Hesham

Le Caire – Ils ont été des milliers à marcher vers la place Tahrir vendredi [20 avril 2012], où des groupes politiques en désaccord avaient installé plusieurs scènes. Les slogans antimilitaristes communs n’ont pas apporté de solutions réelles et durables aux désaccords politiques entre les islamistes et les mouvements civils [laïques] qui ont maintenu la pression de la rue.

Environ 100’000 manifestants se sont rassemblés sur la place qui fut au centre de la révolution du 25 janvier 2011, soulevant un certain nombre d’exigences partagées, dont en premier lieu celle du renversement du pouvoir militaire.

Au moins six scènes avaient été installées sur la place pour les islamistes et les forces politiques civiles [laïques]. Les principales étaient celles des Frères musulmans, des partisans d’Hazem Salah Abu Ismail, candidat écarté de la présidentielle, du Mouvement des jeunes du 6 avril et du Front pour une Constitution pour tous les Égyptiens.

Les islamistes ont affirmé qu’ils sont venus à Tahrir pour rappeler les exigences de la révolution. Ils ont dit d’abord vouloir interdire la participation aux élections présidentielles des vestiges de l’ancien régime.

Les forces laïques ont affirmé leur accord avec les revendications des islamistes, ajoutant qu’ils voulaient aussi annuler l’Article 28 de la déclaration constitutionnelle qui accorde l’immunité aux décisions de la Haute Commission de la Présidentielle.

La commission a exclu Abu Ismail et Khairat Al-Shater, candidat des Frères musulmans (FM), pour des raisons juridiques différentes.

Vendredi dernier [13 avril 2012] les islamistes ont organisé des manifestations qu’ils ont dominées. Ils protestaient contre les candidatures de symboles de l’ancien régime à l’élection présidentielle. Mardi, Omar Suleiman, ancien chef des renseignements et dernier vice-président de Hosni Moubarak, entré dans la course juste avant la date limite d’inscription, a été disqualifié.

La décision prise par la Commission électorale, qui concernait également Al-Shater et Abu Ismail, n’a guère contribué à apaiser les craintes des islamistes.

Les partisans des deux anciens favoris pensent que le Conseil suprême des Forces armées (CSFA) et d’autres puissances étrangères ne veulent pas d’un islamiste en charge de l’État. «Les États-Unis ne veulent pas d’un président islamiste et le CSFA met en œuvre leur programme de travail dans le pays», a déclaré Basem Gharib, membre de la Fraternité.

Quoi qu’il en soit, Mohamed El-Araby, un manifestant des FM (Frère musulmans), a déclaré qu’ils sont venus sur la place pour faire pression sur le CSFA pour satisfaire les demandes des révolutionnaires. «En tant que FM, nous sommes très impliqués dans la préservation de la stabilité et de la liberté de la nation tout entière», a-t-il déclaré.

Youssef Othman, un manifestant qui reprenait les slogans de la scène «une Constitution pour tous les Égyptiens», a déclaré que malgré le nombre de tribunes sur la place, tous les manifestants partageaient des exigences similaires. «Vous pouvez voir des islamistes parler sur les tribunes des libéraux et réciproquement», dit-il.

Kamal El-Helbawy, un membre éminent de la Fraternité, qui a récemment démissionné suite à la décision du groupe de désigner Al-Shater, s’est adressé aux manifestants depuis la scène des libéraux. «Je suis très heureux de voir que nous sommes réunis sur la place une fois de plus. Nous devrions excuser ceux [les islamistes] qui l’avaient abandonnée et travailler tous ensemble jusqu’à la réalisation de toutes les demandes de la révolution», a-t-il affirmé.

Zakaria Abdel Aziz, ancien dirigeant du club des juges et l’analyste politique Ammar Aly Hassan confirmaient l’avis d’El-Helbawy. El-Helbawy a appelé à un sit-in sur toutes les places d’Egypte si les revendications n’étaient pas satisfaites vendredi prochain.

«La place n’est pas unie»

«La pire chose que j’ai vue aujourd’hui, c’est qu’il y a six scènes différentes sur la place. Chacun privilégie ses propres intérêts», déclare Youssef El-Hossieny, un présentateur de la chaîne satellite ONTV.

Tout en affirmant qu’elles sont d’accord avec les revendications des islamistes, les forces politiques laïques ont déclaré que les objectifs à long terme de ces revendications sont différents.

«Les islamistes sont revenus sur la place parce que leurs candidats ont été exclus par la Commission électorale», dit Haitham Mohamadeen, un important dirigeant des Socialistes Révolutionnaires. «Les forces laïques pensent qu’elles peuvent atteindre leurs objectifs en étant dans la rue et en convaincant le peuple de les soutenir. Alors que les islamistes croient qu’ils pourront accéder aux demandes de la révolution seulement en étant au pouvoir», a-t-il ajouté.

Les manifestants qui ont été soumis à des répressions meurtrières pendant les six derniers mois, y compris au moment des élections législatives, disent qu’ils ont été abandonnés par les islamistes, notamment par les Frères musulmans. Ils affirment que ces derniers ne sont revenus dans la rue que quand leurs intérêts politiques ont été en danger.

Cela avait été précédé par le départ des libéraux et des représentants des institutions judiciaires et religieuses de l’assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution. Ils protestaient contre la domination des islamistes dans la commission qui a été dissoute ultérieurement par une ordonnance du tribunal, ouvrant la porte à de nouvelles négociations sur les critères pour choisir les membres de l’assemblée.

El-Araby a déclaré que la Fraternité tolérait cette critique afin de progresser, cela dans le but d’atteindre les objectifs de la révolution au nom de tous les Égyptiens.

Mohamadeen a ajouté que bien qu’il existe des différences dans les objectifs et même dans les banderoles tenues par chaque sensibilité politique, les slogans étaient semblables. Un même slogan qui a été repris par les six scènes était «A bas le régime militaire!»

«C’est parce que nous ne voulons pas que les vestiges de l’ancien régime puissent utiliser nos différences pour provoquer des affrontements sur la place», a indiqué Mohamadeen. Il a poursuivi der la sorte: «Tous les manifestants s’accordent sur un certain nombre de revendications essentielles, comme interdire aux vestiges du régime renversé de prétendre concourir pour la présidence, annuler l’article 28, refuser de rédiger la constitution sous le contrôle du Conseil militaire et exiger que le calendrier des élections présidentielles soit respecté.»

Des affiches représentant le candidat à la présidentielle Amr Moussa étaient brandies sur la place, identifiant l’ancien ministre des Affaires étrangères [de 1991 à 2001] et ancien dirigeant de la Ligue arabe [de 2001 à 2011] comme un vestige de l’ancien régime.

«Il n’est pas bon que certaines personnes utilisent la place [Tahrir] pour atteindre leurs objectifs électoraux étriqués et pour attaquer les autres candidats», a dit Moussa.

Les partisans des FM ont rempli la place dans les premières heures de la matinée, rejoints par un nombre croissant de vendeurs ambulants. Les manifestants non islamistes ont afflué sur la place dans l’après-midi avec l’arrivée de nombreuses marches convergeant sur la place. (Traduction de Pierre-Yves Salingue pour A l’Encontre)

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Article publié dans Daily News Egypt, en date du 20 avril 2012


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Ras-le-bol face aux anciennes pratiques

Par Marwa Hussein

Manifestation des employé·e·s de l'Organisme des impôts

Depuis le 20 mars 2012, un camp de tentes a été érigé devant le siège de l’Organisme des impôts. Il est occupé par des employés de l’Organisme licenciés après avoir organisé ou simplement participé à des manifestations contre les hauts responsables de l’Organisme.

A 14h, ils ont rejoint leurs collègues encore en fonction qui les soutiennent par solidarité. De plus en plus nombreux, ils crient des slogans hostiles à l’armée: «A bas le règne des militaires: notre organisme n’est pas un camp!» ou contre le président de l’Organisme: «A bas Ahmad Refaat!»

Les fonctionnaires de l’Organisme des impôts se placent en miroir de l’administration publique, avec toutes ses injustices et sa mauvaise gestion. Leurs protestations, entamées il y a quelques mois, n’affichent pourtant aucune demande de hausse de salaires. Ils revendiquent la purge de leur institution et s’opposent à la corruption qui la mine.

Leur cas est, en effet, révélateur: l’épouse de Sami Anan, le numéro 2 du Conseil militaire, Mounira Al-Qadi Radi, est présidente du secteur des zones fiscales au sein de l’Organisme. A l’âge de 63 ans, elle occupe toujours son poste alors que l’âge maximal est de 60 ans. Pour les employés, pas de doute: c’est à la position de son mari qu’elle doit d’être toujours en fonction. «Stopper la corruption!» ou «L’Organisme ne doit être géré ni par des militaires, ni par des corrompus!», des slogans répétés sans cesse par les protestataires.

Les demandes des employés concernent la démission du président de l’Organisme et de ses conseillers qui touchent des salaires importants sans exercer de fonctions claires précises. Par ailleurs, beaucoup ont dépassé l’âge de la retraite. «Tant que des responsables corrompus resteront à leur poste, nos conditions de travail ne s’amélioreront pas. Nous sommes convaincus que le jour où ils s’en iront, tout ira mieux», lance Amr Ramadan, membre du conseil d’administration du syndicat indépendant des employés des impôts, l’un des 500 syndicats indépendants créés après la révolution.

Le lendemain de la révolution, les demandes concernaient surtout une hausse des salaires. Mais dernièrement, c’est la lutte contre la corruption qui prend le dessus. «Il est à noter que de plus en plus de mouvements s’attaquent à la question de la corruption. Les gens croient qu’il n’y aura pas de solution tant que des personnes corrompues géreront les institutions et que les employés n’auront pas leur mot à dire dans le monde d’administration», estime Hicham Fouad, de l’ONG Enfants de la terre, qui publie un bulletin mensuel sur le mouvement ouvrier.

Suspension de 51 employés

Le 21 mars, une manifestation spectaculaire a regroupé 5000 fonctionnaires. Elle s’est soldée par la suspension de 51 employés. La décision a été prise par le président de l’Organisme et appuyée par le Conseil militaire.

«C’est une première: les employés de l’administration publique étaient toujours protégés par la loi. Par contre, de telles mesures sont communes dans le secteur privé», relate Fatma Ramadan, coordinatrice du comité de solidarité avec la grève.

Elle estime que le gouvernement utilise davantage la force pour disperser les protestations ouvrières ou celles de revendications salariales. Elle donne l’exemple du sit-in des ouvriers du port d’Al-Sokhna, géré par Dubaï World. Celui-ci a été interrompu par la force et 5 employés ont été incarcérés. Les ouvriers de Sumid (Arab Petroleum Pipelines Co.) ont également été détenus pendant plus de 15 jours pour les mêmes raisons.

L’Union des syndicats indépendants, qui a été à un certain moment soutenue par le premier gouvernement post-révolution à travers Ahmad Al-Boraï, ex-ministre de la Main-d’œuvre, ne trouve plus aucun soutien officiel. Le projet de loi sur les libertés syndicales, approuvé par le gouvernement en mars 2011, n’a toujours pas vu le jour.

«Les responsables font tout pour nous empêcher d’enregistrer les syndicats indépendants. En revanche, ils soutiennent l’ancienne union. Ils insistent à prélever les cotisations des ouvriers pour l’ancienne union sur leurs salaires, même si ceux-ci ont formé un syndicat indépendant», affirme Fatma Ramadan. Des faits que confirment de nombreux employés.

Mais face au blocage des autorités, les mouvements de protestations ne fléchissent pas. Plusieurs observateurs notent un fort accroissement du nombre d’actes de protestations depuis plusieurs mois. Le dernier rapport des Enfants de la terre a recensé, en février, 92 mouvements de protestations ouvrières.

Manifester et protester est devenu un acte quasi quotidien après la révolution pour des centaines de milliers d’employés: les chauffeurs d’ambulances, les médecins, les professeurs des écoles et des universités, les employés du transport public… tous souhaitent un profond changement de leur administration et de leurs conditions de travail.

Certains groupes ont, malgré tout, réussi à voir leurs demandes réalisées. Il y a quelques jours, le Parlement a approuvé une loi facilitant l’embauche de fonctionnaires jusqu’alors privés de contrats.

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Cet article a été publié dans Al-Ahram Hebdo, 18-24 avril 2012

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