Egypte. Mobiliser l’opposition de masse contre Morsi

La campagne «Tamarud» pour que Morsi dégage.  Le but, 15 millions de signatures.
La campagne «Tamarud» pour que Morsi dégage.
Le but, 15 millions de signatures.

Déclaration des Socialistes Révolutionnaires

La révolution égyptienne a connu, depuis ses débuts le 25 janvier 2011, de nombreux zigzags.

Nous avons été quelquefois les témoins d’une grande montée du mouvement révolutionnaire avec non pas des centaines de milliers de personnes descendant dans les rues et occupant les parcs et les places, mais des millions contre Hosni Moubarak, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et, après eux, contre Morsi. Cela en soutien aux revendications de la révolution et en faveur de leur mise en pratique. Le soulèvement du peuple pour des revendications démocratiques a généralement accompagné ou suivi une montée du mouvement social, des grèves ouvrières en passant par les protestations pour le pain, la justice sociale ainsi que l’amélioration des conditions de travail, jusqu’au renversement d’administrations corrompues.

Nous avons observé, à d’autres moments, le reflux partiel du mouvement révolutionnaire, une dispersion dans les rangs du peuple et de l’avant-garde révolutionnaire ainsi qu’un découragement général qui a conduit certains à croire que la révolution était arrivée à son terme. Ces moments sont, en particulier, des périodes au cours desquelles les attaques contre-révolutionnaires augmentent afin de renverser tout acquis obtenus par le peuple au sommet de la vague ainsi que pour soutenir les institutions de la classe dominante, dans le but de les renforcer en prévision de la prochaine vague révolutionnaire.

Dans le sillage des conditions présentes – caractérisées par un mécontentement populaire contre le règne des Frères musulmans, ainsi que de leurs alliés de la classe dominante – allant de l’armée en passant par la police et l’élite du monde des affaires –  se produit une augmentation des frustrations et du désespoir face à un fait: aucun changement ne se produit. La campagne Tamarrud (rébellion) a toutefois été lancée par un groupe de jeunes révolutionnaires dans le but de rassembler 15 millions de signatures en deux mois dans tous les gouvernorats en soutien à un texte exprimant une défiance vis-à-vis de Morsi, ainsi qu’appelant à des élections présidentielles anticipées.

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Cette campagne a connu un rapide succès en rassemblant un grand élan dans les rues et, plus généralement, dans le champ politique. La campagne a été active au sein des quartiers dans tous les gouvernorats. Elle est parvenue a rassembler plus de 2 millions de signatures en 10 jours [désormais plus de 3 millions]. Elle a apporté à de nombreux jeunes révolutionnaires frustrés un renouveau d’énergie et d’espoir, vivifiant à nouveau les débats politiques au sein du peuple. Elle est devenue un canal dans lequel l’indignation en expansion contre la présidence de Morsi peut s’écouler. Tout cela dans une conjoncture marquée d’une véritable diminution des manifestations et des protestations sur les places.

Vous devez concentrer vos efforts en direction de ces millions de personnes désillusionnées, vous devez aller à leur rencontre, discuter avec eux et les prier de s’engager pour le changement et non attendre dans la frustration. Faites entendre des slogans défiant le pouvoir actuel. Dites: «Si vous estimez que le président n’est pas en train de réaliser ce que vous attendez de lui, si vous pensez qu’il ne représente pas ce que vous considérez qui doit être fait, alors n’attendez pas trois années supplémentaires pour le changer: nous allons le changer maintenant, parce que c’est ce que le peuple a décidé de faire.» 

Le sens d’une désillusion par rapport à ce qui est sorti des bulletins de vote lors des présidentielles de janvier 2012 [victoire certes de Morsi et des Frères musulmans et surgissement des salafistes,mais un résultat est trop souvent oublié: celui de Hamdeen Sabahy, au premier tour, à Port Saïd et à Alexandrie et qui est aussi en première position ou en deuxième dans des villes ou des quartiers importants tels que Le Caire, Suez, Damietta, Dakhalia] est une chose qui a été ressentie spontanément par les couches progressistes de la population. Elles s’en sont rendues compte dans leurs vies quotidiennes, ainsi que dans leurs activités politiques tout autant qu’au travers des discours des dirigeants des Frères musulmans. Cette prise de conscience croissante impose à chaque militant révolutionnaire de travailler au développement d’alternatives démocratiques qui expriment leurs désir de «quelque chose d’autre» que le statu quo ante, lequel n’a jamais et ne représentera jamais rien d’autre que les mêmes politiques contre lesquelles nous nous sommes opposés en nous soulevant lors de notre révolution.

La tactique de la collecte de signatures afin de mettre sous pression ceux qui se trouvent au pouvoir a été utilisée dans le passé, tout autant récemment que dans l’histoire. Nous devons nous souvenir de la campagne de collecte de signatures pour le changement de l’Assemblée nationale une année avant la révolution; nous devons aussi nous souvenir de la campagne appelant à la renationalisation des entreprises privatisées ainsi qu’en faveur d’un salaire minimum et maximum dernièrement. Dans ces situations passées, les campagnes ont stimulé les eaux dormantes au cours de périodes extrêmes [d’inactivité], aidant à stimuler la conscience des masses en vue de les faire aller de l’avant.

Nous comprenons, en tant que partie prenante du mouvement socialiste révolutionnaire, les limites de ce type de campagne, en ce sens qu’elles ne peuvent naturellement pas renverser par elles-mêmes quel que régime que ce soit. En effet, en l’absence d’un vaste mouvement de masse, conduit par des membres de la classe laborieuse, les fondements du régime et de l’Etat ne peuvent être ébranlés. Nous reconnaissons toutefois que ce moment est le commencement d’un long chemin parsemé de luttes sociales et démocratiques indispensables à la fermentation d’une conscience [visant au renversement du régime], inégale par définition. Ces luttes sont indispensables pour que s’accroisse la confiance en elles-mêmes des masses, ainsi qu’en leurs capacités à conduire aux changements.

Il est, par conséquent, indispensable qu’en tant que mouvement marxiste-révolutionnaire combatif, que nous soutenions cette campagne démocratique. Elle œuvre en direction de la construction d’un mouvement de masse à partir d’en bas. Nous devons contribuer à cette campagne en nous y engageant là où cela est possible. Nous devons y apporter nos moyens de telle sorte que notre mission et notre immense responsabilité soit d’en être un véhicule.

Il est de notre devoir de nous rendre dans les rues, à chaque coin de chaque quartier, usines et locaux d’organisation. Nous devons non seulement rassembler des signatures pour la pétition – ce qui est important en soi – mais également faciliter des discussions plus larges avec toutes les personnes dans ces lieux. Il faut établir et expliciter les rapports qui existent entre les luttes sociales, montrant ce qui est commun entre les politiques du gouvernement actuel et les problèmes que les gens rencontrent dans leurs vies quotidiennes.

Il s’agit aussi d’une opportunité importante pour nous, en tant que socialistes révolutionnaires, de tisser des liens avec des centaines de jeunes révolutionnaires impliqués dans cette campagne afin de partager nos appréciations avec eux ainsi que d’appréhender leurs opinions. Il s’agit non seulement de cela mais aussi de la possibilité pour nous de nous associer avec des couches plus larges dans différents gouvernorats du pays afin de mener des débats au sujet de la possibilité de retirer la confiance au président «élu» ainsi que d’étendre les discussions sur des horizons révolutionnaires plus larges.

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En ce qui concerne le Front du salut national (FSN), nous repoussons toute participation en son sein en raison de ses liens antérieurs avec les restes de l’ancien régime [dans le FSN on retrouve l’ancien ministre des Affaires étrangères, Amr Moussa, Mohammed El-Baradei et d’autres fouloul, autrement dit des «ci-devant» liés à l’ancien régime] ainsi que parce qu’il déforme la conscience révolutionnaire du peuple, mêlant le bon grain à l’ivraie. Ainsi que l’expérience nous l’a montré, le FSN a, peu après, échoué. Il continue d’être incapable de mettre en avant une alternative radicale ou de mener une agitation révolutionnaire qui le mettrait à la tête d’un vaste mouvement démocratique visant au renversement du régime actuel.

Le FSN n’est pas seulement responsable de cela, mais il s’est contenté de rester en marge de la lutte, s’excusant à chaque fois qu’il était contraint de mobiliser les masses pour les droits les plus limités. Le FSN ne désire rien de plus qu’une place de choix à la table des négociations avec les puissances dictatoriales qui règnent dans divers domaines afin de partager des positions politiques dans le gouvernement et le Parlement. Cet objectif est le plus élevé qu’il peut atteindre. C’est exactement ces pratiques qui ont déçu les espoirs de larges couches de la population.

Ce qui est complètement nouveau et différent au sujet de la campagne Tamarrud st qu’elle est issue d’une initiative populaire, ouvrant l’espace pour un travail révolutionnaire et des expériences à partir de la base. Les opportunités théoriques et pratiques, au-delà de ce qui précède, de mettre sur pied un mouvement d’opposition de la base dépasse largement les horizons opportunistes étroits de la direction du Front national du salut national. La campagne s’oppose complètement aux projets des restes de l’ancien régime qui détestent autant la démocratie qu’ils haïssent les Frères musulmans.

Cette stratégie repose fondamentalement sur l’intervention consciente et unifiée de l’avant-garde des révolutionnaires dans cette lutte afin de les gagner à l’idée selon laquelle cette campagne est un levier [pour la construction d’un mouvement de masse]. La direction révolutionnaire doit organiser la lutte politique des masses au niveau d’une préparation aux affrontements prochains avec ce régime tyrannique.

Notre mouvement ne peut être à la traîne d’une lutte comme celle-ci ni perdre l’opportunité de développer la conscience de différents segments des masses révolutionnaires populaires. C’est une occasion de rétablir la confiance en la capacité qui peut unir et mener le peuple à agir collectivement contre l’Etat policier. Nous annonçons par conséquent notre participation pleine et déterminée à cette campagne et appelons tous ceux et celles qui luttent pour la démocratie et la justice à participer avec nous ainsi qu’avec l’ensemble du mouvement de la classe laborieuse à mener cette bataille. Cela ne peut qu’ouvrir la voie, tôt ou tard, à un second soulèvement populaire contre ce régime dictatorial avec tous ses intérêts et partis pris, afin d’élever à sa juste place le pouvoir de la majorité dans l’intérêt de la majorité.

Longue vie à la glorieuse révolution de la liberté!

Les socialistes révolutionnaires  (19 mai 2013)

(Traduction A l’Encontre de la déclaration des S.R. depuis l’anglais).

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Post-scriptum de la rédaction A l’Encontre
Un militant de la campagne Tamarud (Rebelle)  le 17 mai 2013, au Caire
Un militant de la campagne Tamarud (Rebelle)
le 17 mai 2013, au Caire

En date du 29 mai 2013, les organisateurs de la campagne « Tamardu » (Rebelle) annoncent qu’ils ont réuni 7’540’535 signatures. Cette campagne a commencé officiellement le 1 mai 2013. Son objectif: atteindre les 15 millions de signatures en date du 30 juin. Cette pétition marque une claire opposition au président Morsi et à sa politique. Elle demande l’annulation des élections présidentielles.

Dans une conférence de presse, ce mercredi 29 mai, les organisateurs de la pétition ont lancé un appel aux forces politiques à se joindre à leur campagne et à organiser une manifestation d’un million de d’Egyptiens et d’Egyptiennes devant le Palais présidentiel, le 30 juin 2013.
Selon Mohamed Abdel-Aziz, un des organisateurs du mouvement, le 30 juin sera un jour clé afin de réclamer la «fin de la domination des Frères musulmans et des élections présidentielles immédiates
Etaient présents à la conférence de presse le juriste Madi El-Fakharani, l’ancien candidat aux élections présidentielles (premier tour), Hamdeen Sabbahy, l’ancien député Gamal Sahran.
Quant à lui, Morsi insiste – face à la question d’un journaliste à propos de son élection et de l’importance de la pétition: «J’ai obtenu presque 52%, légalement et au plan constitutionnel, je suis le Président légitime.»

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