Egypte. Médecins et personnel de la santé: une participation sans précédent à la grève, sur fond d’un large mouvement social

Par Jacques Chastaing

La Dresse Mona Mina, secrétaire générale du syndicat
La Dresse Mona Mina, secrétaire générale du syndicat

Le mercredi 26 février 2014, le comité central de grève des médecins, pharmaciens et dentistes – animé par la frange la plus jeune de la profession et appuyé par le syndicat des médecins qui vient de renouveler sa confiance à sa secrétaire Mona Mina connue pour sa détermination – a appelé à une grève des trois professions le mercredi 26 février pour: la hausse du salaire minimum à 3000 LE (alors que le gouvernement leur propose 1800 LE et qu’ils en gagnent en majorité entre 1200 et 1500, soit 191,50 CHF); l’augmentation du budget de la santé publique tout à la fois pour améliorer les conditions de soin des patients et les conditions de travail des professionnels de la santé; des investissements dans la production de médicaments génériques en Égypte afin de baisser leur coût pour les malades et le système de santé publique; enfin, la libération de 200 médecins emprisonnés pour leurs idées.

Cette grève a été suivie à un niveau jamais atteint dans l’histoire de ces professions, puisqu’il est de 87% à l’échelle du pays selon les organisateurs. Le comité de grève estime la participation pour les médecins à 100% dans les gouvernorats Suez et Nouvelle Vallée, à 95% à Port Saïd, à 90% à Daqalyia, à 100% dans de nombreux hôpitaux du Caire, d’Alexandrie et des principales villes du pays. Il est de 90% pour les pharmaciens des hôpitaux publics et 75% pour ceux du privé et de 85% pour les dentistes.

Les vétérinaires, pour leur part, n’ont pas participé à ce mouvement, mais annoncent qu’ils en sont solidaires et qu’ils appellent d’ores et déjà à se joindre à l’appel des médecins pour une grève illimitée de toutes les professions de santé à partir du 8 mars 2014, si le gouvernement n’a pas répondu positivement d’ici là à leurs revendications. Des étudiants en médecine ont également marqué la journée du 26 février par un mouvement de solidarité à l’égard des professionnels de santé.

Le comité de grève a fait une déclaration à l’issue de cette journée, menaçant d’une escalade jamais vue le nouveau gouvernement (d’Ibrahim Mehlab) qu’il n’estime pas mieux que le précédent [1], s’il traitait leur mouvement et leurs revendications avec le même mépris que par le passé.

Cette grève s’inscrit dans le vaste mouvement de grèves qui traverse actuellement le pays pour l’élargissement de l’augmentation du salaire minimum – promis par le gouvernement à 4,9 millions de fonctionnaires pour fin janvier 2014 – à d’autres catégories, notamment de l’industrie publique mais aussi du privé.

Après avoir cédé aux ouvriers du textile en grève l’augmentation du salaire minimum à 1200 LE, le versement de leurs bonus et le limogeage de leurs dirigeants dans les deux mois, le gouvernement vient de céder à nouveau aux 7000 ouvriers de la Compagnie du Nil pour les routes et les ponts, en leur donnant une augmentation des salaires de 35%, un bonus spécial qui leur permettra d’atteindre un salaire minimum de 1200 LE et en leur promettant qu’il n’y aurait pas de poursuite pour faits de grève pendant que la négociation se poursuit avec les très jeunes ouvriers non syndiqués qui menaient la grève pour le paiement des journées de grève. Le gouvernement avait également cédé aux policiers de base en grève pour leur salaire en leur accordant une augmentation de 30%.

Par ailleurs la grève des employés de bus du Caire et d’Alexandrie pour le salaire minimum se poursuit pendant que l’armée tente de suppléer à leur absence et à la pagaille que ça provoque dans le trafic, en mettant les bus militaires au service des usagers et en ayant loué 1200 minibus privés, ce que certains voient comme une tentative de briser la grève, alors que les autorités s’en défendent, expliquant que c’est pour éviter la paralysie de la ville.

En même temps, la presse signale de nouvelles grèves qui s’additionnent à celles en cours, chez les salariés de la gestion des semences à Kafr el Sheikh, d’autres dans l’extrême sud à Assouan et Minya toujours pour le salaire minimum. De plus, des enseignants à contrat temporaire sont entrés en lutte à Daqalyia et manifesté à Zagazig sur leur statut. Même des étudiants de l’Académie navale d’Alexandrie ont manifesté hier (26 février), illustrant on ne peut mieux les changements actuels dans les états d’esprit. (27 février 2014)
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[1] Le «renvoi» du gouvernement de Hazem Al-Beblaoui, le 24 février 2014, ne peut être séparé des projets de l’armée et de Al-Sissi. Il est caractéristique, à ce propos, que le jeudi 27 février, le président par intérim, Adly Mansour, ait promulgué un décret impliquant la reconstitution du Conseil suprême des forces armées (CSFA), composé de 23 généraux des différents corps d’armée. Le CSFA sera placé, cette fois, sous la direction du ministre de la Défense et non plus du président qui, selon la Constitution, est pourtant le «commandant en chef des armées». Ce décret est une première. Or, pour rappel, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi reste ministre de la Défense dans le nouveau gouvernement. Face au mouvement revendicatif qui s’est déclenché autour de la revendication unificatrice, à sa manière, du salaire minimum, la réponse sécuritaire du pouvoir ne peut être mise entre parenthèses. (Rédaction A l’Encontre)

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