Russie. «La crise économique et le mécontentement social ont créé de nouveaux opposants»

A. Navalny arrêté par les forces de police de Poutine

Reportage de Benjamin Quénelle
à Vladivostok, Mourmansk, Oulianovsk et Ekaterinbourg

Le mouvement d’Alexei Navalny a ouvert des permanences dans quelque 70 villes. Avec beaucoup d’adolescents qui ont grandi et mûri, en dix-sept ans de pouvoir sous Vladimir Poutine.

Iourii Koutchine ne sera pas candidat aux élections locales de Vladivostok. Dans l’un des quartiers de la vibrante capitale de l’Extrême-Orient russe, ce simple opposant au Kremlin de Vladimir Poutine espérait défier le parti des autorités et siéger à la Douma municipale. Mais, comme dans le reste du pays, cette élection se fera sans le mouvement d’Alexeï Navalny, le leader de l’opposition. «La mairie nous a donné des excuses bidon. En réalité, les autorités ne veulent pas de candidats qui ont organisé des manifestations contre le pouvoir», assure Iourii Koutchine (49 ans), coordinateur de l’équipe d’une vingtaine de militants installée depuis deux mois dans une permanence en plein centre de Vladivostok.

«A nous de faire pression»

«Les pressions ne font que commencer. Mais, ici, personne n’a peur!», lancent Katia et Sergeï, 17 ans tous les deux. Ces deux militants font partie des nombreux jeunes ayant rejoint les rangs d’Alexeï Navalny à Vladivostok comme dans les 70 autres villes où son mouvement a, cet été, ouvert des permanences. Une initiative inédite chez l’opposition libérale pour faire pression sur les autorités. A l’image de Katia et Sergeï, cette génération de Russes est née en l’an 2000, l’année de la première élection au Kremlin de Vladimir Poutine. «Je n’ai pas connu d’autre président. Il est temps de changer et d’avoir de la pluralité pour nous donner un autre avenir. Pour vivre dans un pays normal… », lance Katia, acné aux joues et sourire aux lèvres. «Nous nous mobilisons contre ce régime qui nous prive de nos droits civiques et de nos espoirs démocratiques», ajoute Sergeï, le verbe ferme mais hésitant, le regard déterminé mais incertain.

Assis sur des poufs rouges, en jeans et polo, cette nouvelle génération adolescente d’opposants est tout en décontraction et assurance. Et en quête de maturité politique. Minoritaires au sein d’une jeunesse largement apolitique, ces militants sont moins préoccupés que leurs parents par le maintien de la stabilité garantie par Vladimir Poutine en dix-sept ans au pouvoir. Une stabilité que le chef du Kremlin devrait chercher à prolonger lors de la présidentielle de mars prochain même s’il ne s’est pas encore officiellement porté candidat. «Nous espérons bien que, face à lui, Alexeï Navalny pourra se présenter. Mais les autorités utiliseront tous les moyens pour l’en empêcher. A nous de faire pression… », insiste Siemon, 17 ans, un autre adolescent rencontré dans le petit local de Vladivostok, peint en blanc et recouvert de slogans.

• De Vladivostok à Kaliningrad, Alexeï Navalny finance ainsi les loyers et les salaires de coordinateurs grâce à la collecte nationale de fonds sur internet. Face à cette organisation, les autorités se mobilisent pareillement et les pressions contre les militants de l’opposition se multiplient.

Siemon comme Iourii Koutchine ont ainsi été arrêtés quelques heures le 12 juin alors qu’ils s’apprêtaient à participer à la manifestation organisée ce jour-là par Alexeï Navalny à Vladivostok (mille participants) et 180 autres villes. Depuis, Siemon a été convoqué par le directeur de son école pour «une leçon sur la verticale du pouvoir et les risques de mettre ma vie en l’air». Le chef de la permanence, lui, a dû essuyer une douzaine de refus avant de trouver un propriétaire assez indépendant des autorités pour louer un local à l’opposition.

Jeunes ou non, ces partisans sont pour la plupart nouveaux en politique. Ils espèrent prendre le relais des mouvements de 2011 et 2012 qui, après les fraudes aux législatives, avaient réussi à rassembler jusqu’à 100’000 manifestant·e·s à Moscou pour perturber ensuite la victoire de Vladimir Poutine à la présidentielle. «A l’époque, c’était un mouvement dominé par l’intelligentsia aisée de Moscou. Depuis, loin des discours et de la propagande à la télé, la crise économique et le mécontentement social ont créé de nouveaux opposants», assure Viktor Barmine, 39 ans, à la tête de la permanence d’Alexeï Navalny à Ekaterinbourg.

• Ici, dans la troisième ville du pays et capitale de l’Oural, les récentes manifestations ont compté jusqu’à 5000 personnes, contre un peu plus de 1000 en 2011-2012. «La belle mécanique créée par les autorités se fissure: les gens, surtout les jeunes, regardent moins la télévision. Ils voient la réalité de leur vie quotidienne et utilisent les réseaux sociaux», prévient Violetta Grudina (27 ans), coordinatrice du mouvement à Mourmansk, ville portuaire et industrielle du Grand Nord russe.

«C’est pourquoi il est important de faire pression par le bas: ouverture de permanences partout dans le pays, collecte de fonds sur internet, pétition digitale, manifestations… Les autorités vont finir par se sentir forcées d’enregistrer la candidature de Navalny à la présidentielle», espère Dmitri Shestakov (37 ans), homme d’affaires la nuit, coordinateur le jour du mouvement à Oulianovsk.

Autour de lui, dans cette autre cité industrielle, connue sur la Volga pour être la ville de naissance de Lénine, les jeunes s’organisent. Comme un peu partout à travers la Russie. (Reportage publié dans Le Soir, du 9 septembre 2017)

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