Roumanie: «Les gens ne veulent pas»

«Non au vol. Non à la corruption. Non aux mensonges.
Non à la manipulation»

Par Mirel Bran

Ils sont dans la rue depuis le 1er février 2017 et comptent poursuivre leur manifestation marathon. Dimanche 26 février, des milliers de Roumains se sont de nouveau rassemblés à Bucarest devant le siège du gouvernement. Même s’ils sont beaucoup moins nombreux qu’au début de la mobilisation, la place de la Victoire est devenue le lieu de rendez-vous récurrent d’une jeune génération qui refuse de se soumettre face à un gouvernement qui a tenté de mettre fin à la campagne anticorruption.

Pour l’instant, la rue compte deux victoires. Le 5 février, le Premier ministre social-démocrate, Sorin Grindeanu, a abrogé un décret qui limitait le pouvoir des procureurs. Le 9 février, le ministre de la Justice, Florin Iordache, a démissionné, le gouvernement espérant ainsi calmer la rue. Mais les manifestants n’ont pas abandonné la lutte pour autant, ils ont seulement changé d’agenda. Dimanche 26 février, ils ont manifesté pour le renforcement de l’Union européenne, qu’ils perçoivent comme une garantie de leurs libertés civiques. Les manifestants ont formé un énorme drapeau étoilé de l’UE qui en dit long sur l’espoir d’une nouvelle génération de conserver les acquis européens. C’est à partir de 2007, lorsque la Roumanie a adhéré à l’UE, que les choses ont commencé à changer dans ce pays gangrené par une corruption institutionnalisée. Sous la pression de Bruxelles, le pays, considéré comme le mouton noir de l’Europe, a réformé radicalement son système judiciaire.

Les jeunes procureurs formés à l’occidentale ont eu les pleins pouvoirs au sein du parquet national anticorruption (DNA) et lancé une opération «mains propres». Des milliers de hauts fonctionnaires, hommes politiques, maires, présidents de départements et autres se sont retrouvés derrière les barreaux. «En 2016, nous avons envoyé devant les juges 1270 personnes accusées de corruption, dont 3 ministres, 6 sénateurs, 11 députés, 47 maires et 21 directeurs de compagnies nationales, a déclaré la procureure cheffe du DNA, Laura Codruta Kövesi, le 23 février, à l’occasion d’un bilan public du DNA. Les préjudices révélés s’élèvent à 667 millions d’euros. Nos alliés ont été les milliers de Roumains qui veulent vivre dans une société fondée sur le respect. Sans leur soutien, nos procureurs n’auraient pas pu faire leur travail.»

«Une source d’inspiration»

Des manifestations inspirées par le mouvement roumain, baptisé «Je résiste», ont eu lieu en Bulgarie, en Moldavie et en Albanie. «C’est extraordinaire de voir que les valeurs fondamentales de l’Etat de droit sont la préoccupation des Roumains, a déclaré le président libéral Klaus Iohannis le 23 février, à l’occasion du bilan du DNA. Aujourd’hui, la Roumanie est non seulement un modèle de bonnes pratiques institutionnelles en matière de lutte contre la corruption, mais aussi une source d’inspiration pour les citoyens d’autres Etats qui ne veulent plus de la corruption.»

Le Parti social-démocrate (PSD) a toutefois organisé, samedi 25 février, une contre-manifestation qui a réuni plusieurs milliers de supporteurs à Targoviste (sud), l’un de ses fiefs de province. Le parti a largement remporté les législatives du 11 décembre 2016 en promettant des hausses de salaires et de prestations sociales – un programme ciselé pour séduire sa base électorale, plus pauvre et plus rurale que les manifestants. Condamné pour fraude électorale, le chef de file du PSD, Liviu Dragnea, n’a pas pu devenir Premier ministre. L’ordonnance qui a été retirée lui aurait permis d’éviter une condamnation dans une autre affaire de détournement de fonds publics, dont le procès est en cours.

«Lumière»

Mais, malgré ces contre-manifestations, les opposants refusent de rentrer chez eux… Les gestes qu’a faits le gouvernement sont un recul tactique face à la rue, selon le politologue Cristian Pirvulescu. Qui peut garantir que l’actuelle majorité ne tentera pas dans quelque temps d’arrêter la campagne anticorruption? Le gouvernement et la majorité qui le soutient ont un problème de crédibilité et de légitimité.» Sur les réseaux sociaux et les blogs, qui sont les principaux moteurs des manifestations, l’agitation, la plus forte depuis la révolution de 1989, est loin d’être terminée.

«Ce sera une révolution de la lumière, et c’est avec la lumière que nous allons faire le drapeau de l’UE», lit-on sur la page consacrée à l’événement qui a eu lieu dimanche soir. Sur le site culturel Scena9.ro, des journalistes et des intellectuels des pays voisins ont été invités à donner leur avis sur les manifestations de Bucarest. «Je regarde ce qui se passe à Bucarest et j’ai un sentiment de déjà-vu, écrit Anna Chornous, une productrice ukrainienne. Je me souviens des manifestations de Maïdan – place de l’Indépendance – à Kiev pendant l’hiver 2013-2014. Le contexte est différent mais c’est la même idée: le gouvernement a pris des décisions inacceptables que les gens ne veulent pas.» (Article publié dans Le Monde, daté du 28 février 2017, p. 3)

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