Roumanie. «Le gouvernement “rebelle” a fini par tomber»

Le Premier ministre roumain, Sorin Grindeanu

Par L.-M. Illie et Fl. Cass

Après une semaine de crise politique [depuis janvier 2017 une guerre au sein du Parti social-démocrate (PSD) a opposé Liviu Dragnea, le chef du PSD, au Premier ministre Sorin Grindeanu] – qui a conduit à la démission de la plupart des ministres et fracturé le Parti social-démocrate (PSD) en deux camps – un derrière l’homme fort du parti Liviu Dragnea, l’autre derrière le Premier ministre Sorin Grindeanu qui refusait de démissionner –, la motion de censure du gouvernement a été votée en séance plénière ce mercredi à 241 voix «pour» et 10 «contre» [voir sur ce site, les articles sur les mobilisations populaires contre la corruption et le gouvernement, les 6, 16 et 27 février 2017, onglet: Europe, Roumanie].

Mais plus de 200 parlementaires de l’opposition ont protesté contre ce vote en s’abstenant et il aura fallu que Liviu Dragnea use de tout son pouvoir pour empêcher que le parti n’implose. D’abord, en menaçant d’exclusion tous ceux qui auraient été tentés de s’abstenir ou de rallier Sorin Grindeanu. Ensuite en s’assurant que le vote pour la motion ne soit pas secret. Victor Ponta, qui a rallié Sorin Grindeanu la semaine dernière contre Liviu Dragnea, estime que cela leur a fait perdre environ 50 votes dont il assure avoir reçu la promesse.

Le vote de la motion s’annonçait en effet serré, au point que la direction du PSD a essayé de conclure un accord avec le parti de la minorité hongroise, l’UDMR. Les négociations ont commencé lundi 19 juin, l’UDMR se ralliant temporairement au camp Dragnea après s’être vu offrir le 15 mars – jour de l’annexion, en 1848, de la Transylvanie par la Hongrie – comme jour férié pour leur fête nationale, ainsi que l’abaissement de 20 à 10% du seuil démographique nécessaire pour que le hongrois soit introduit dans l’administration locale comme langue officielle.

Mais les négociations ont été interrompues dès le lendemain suite aux attaques de membres du PSD et d’opposants, au Parlement et dans l’espace public, accusant la direction social-démocrate de « vendre le pays ».

Le sujet de la minorité hongroise est très sensible en Roumanie et est régulièrement à l’origine d’accès de xénophobie dans tous les camps. Cette stratégie du PSD a été d’autant plus mal accueillie que le parti a remporté les législatives de décembre 2016 sur la promesse de « défendre le pays contre les intérêts étrangers » et le complot du «Hongrois Soros», du nom du fondateur de l’Open Society Fondation qui sert d’épouvantail dans de nombreux pays de la région.

Après l’UDMR, les chefs de la coalition PSD-ALDE ont fait du pied aux députés du Parti national-libéral. «Il y a eu des coups de téléphone, des coups de pression. (…) Plusieurs collègues se sont vu offrir des postes de ministre», a déclaré le nouveau chef du PNL, Ludovic Orban. Mais aucun parlementaire PNL n’a cédé.

Les négociations pour la désignation du futur Premier ministre devraient commencer la semaine prochaine avec le Président Iohannis, tous les partis étant invités à proposer leurs candidats. «Pour être sûr», le PSD va en proposer trois, a assuré Liviu Dragnea. «La Roumanie a besoin d’un Premier ministre intègre», a déclaré le Président Iohannis mardi soir, en référence aux nombreux dirigeants politiques ayant un casier judiciaire ou un procès en cours, au premier rang desquels Liviu Dragnea. (Article publié le 21 juin 2017 dans le Courrier des Balkans)

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Roumanie. Le gouvernement tombe sous les coups
de son parti

Par Mirel Bran

Liviu Dragnea, le symbole des pratiques corruptrices

Il est rare de voir un parti au pouvoir avec une large majorité saborder son propre gouvernement. C’est pourtant ce qui vient de se passer en Roumanie, où le gouvernement dirigé par Sorin Grindeanu est tombé, mercredi 21 juin suite, à la suite d’une motion de censure votée par le Parti social-démocrate (PSD). Nommé il y a six mois, le premier ministre a rapidement perdu la confiance du président du PSD et véritable homme fort du pays, Liviu Dragnea. «Nous avons pris cette décision pour remettre les pendules à l’heure, a déclaré ce dernier. Nous avons tous été surpris que le premier ministre ait refusé de démissionner de son poste à la demande de la direction du parti.»

Désavoué la semaine dernière ? officiellement pour ne pas avoir respecté le programme de gouvernement ?, M. Grindeanu avait refusé de quitter le pouvoir par lui-même. Il avait été exclu dans la foulée du parti. Les sociaux-démocrates devraient désormais proposer, lundi 26 juin, un autre premier ministre au président libéral (opposition), Klaus Iohannis. Selon la constitution, celui-ci peut refuser cette proposition, auquel cas le PSD devra faire une deuxième proposition. Si celle-ci est refusée par le président, ce dernier pourra dissoudre le parlement et déclencher des élections anticipées. Un scénario qui n’est pas à exclure si les sociaux-démocrates ne parviennent pas à convaincre le président. «Le PSD doit résoudre le problème qu’il a lui-même créé, a affirmé Klaus Iohannis avant le vote de la motion de censure. La Roumanie a besoin d’un premier ministre intègre et de stabilité.»

«En six mois le PSD a perdu toute sa légitimité pour diriger la Roumanie, explique Ludovic Orban, président du Parti national libéral. Au lieu de concrétiser leurs promesses électorales, les sociaux-démocrates ont préféré régler leurs problèmes personnels au sein du parti.» En décembre 2016, le PSD avait en effet obtenu 48 % des sièges aux élections législatives. Mais Liviu Dragnea n’avait pu être nommé premier ministre en raison d’une condamnation pénale à deux ans de prison avec sursis au printemps 2016 pour fraude électorale. La loi roumaine interdit à tout condamné pénal de devenir ministre.

«Correct et transparent»

Il avait lui-même choisi à sa place Sorin Grindeanu, un inconnu du grand public qu’il comptait contrôler depuis son poste de président de la Chambre des députés. Or tout ne s’est pas passé comme prévu. En février, le gouvernement a notamment échoué à changer la loi pénale afin de lui éviter un nouveau procès, pour détournement de fonds publics cette fois-ci. Des ordonnances de dépénalisation, signées sans aucune concertation par le pouvoir, ont déclenché une mobilisation inédite de la société civile qui a organisé des manifestations monstres pendant trois semaines. Face à la pression de la rue, Sorin Grindeanu avait fini par reculer et retirer ses ordonnances. Mais le PSD avait promis de faire passer les mêmes mesures par une loi classique.

Ce qui ne s’est finalement pas produit. A 43 ans et représentant d’une aile plus moderne du parti, le premier ministre Sorin Grindeanu s’est au contraire levé contre les tendances autoritaires de Liviu Dragnea, profondément haï par ceux qui ont manifesté cet hiver. «J’ai choisi la voie la plus difficile, je n’ai pas accepté de me livrer à des compromis et à des arrangements plus ou moins occultes, a affirmé Sorin Grindeanu après la motion de censure qui a fait tomber son gouvernement. J’ai été correct et transparent. M. Dragnea doit comprendre que le premier ministre n’appartient pas au PSD mais à la Roumanie.» (Publié dans Le Monde, avec AFP et Reuters, 22 juin 2017)

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