Italie. Electrolux congèle les salaires: de 1400 à 800-700 euros

electroluxPar Franco Turigliatto

La direction de la transnationale Electrolux – AB Electrolux, de propriété majoritaire suédoise, est un des leaders mondiaux de l’électroménager – a annoncé le 26 janvier 2014 qu’elle prévoyait des réductions de salaire drastiques, en les faisant passer de 1400 à 800-700 euros mensuels. Elle a présenté cette «mesure» aux syndicats et aux RSU (Représentation syndicale unitaire) des quatre usines du groupe en Italie: Forli (province de Forli-Cesena en Emilie-Romagne), Solaro (province de Milan), Susegana (province de Trévise, en Vénétie) et Porcia (province de Pordenone).

Le chantage est clairement exprimé: soit cette baisse salariale est acceptée et sera accompagnée d’un plan d’investissements pour trois des quatre usines, soit Electrolux va délocaliser ses usines dans un pays de l’Est. En Pologne et en Hongrie, le groupe déclare que le «coût horaire» est de 7 euros, contre 24 euros en Italie (les gammes de produits ne sont pas comparées). La délocalisation permettrait à Electrolux de recevoir des aides étatiques, directes et indirectes, dans le nouveau pays d’implantation (aides dont il a profité, historiquement, en Italie) et de dégager une plus-value supérieure, dans le contexte d’une transnationalisation de la production et d’une concurrence acharnée entre capitaux dans ce segment de la production de biens de consommation «durables».

Pour l’usine de Porcia, aucun plan d’investissements n’est prévu car, selon Electrolux, les produits qui y sont fabriqués subissent une concurrence trop agressive des conglomérats sud-coréens Samsung et LG. En Italie, Electrolux emploie 5715 salarié·e·s et ses résultats en 2012 étaient «satisfaisants», selon les chiffres donnés par le groupe. Certes, au moment où la consommation alimentaire se contracte en Italie, en 2013, il y a peu de raisons de penser que le marché des électroménagers a connu une expansion! Tout laisse penser que l’annonce de cette offensive anti-ouvrière marque une nouvelle étape dans la mise en question de ce qui reste des gains des travailleurs. C’est un test – en Italie et au-delà – de la capacité ou non de résistance des travailleurs et de l’attitude des directions syndicales, sans même mentionner le gouvernement. (Rédaction Al’Encontre)

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Vingt ans en arrière, on nous disait qu’il était nécessaire de favoriser la réintégration des jeunes dans le travail, qu’il fallait lutter contre le travail au noir et qu’il était nécessaire d’introduire des contrats de travail plus flexibles. Ces nouvelles conditions devaient inciter les patrons à engager plus facilement du personnel. Ainsi, les gouvernements qui se sont succédé au cours des dernières années ont introduit: d’abord, les contrats de formation et de travail [1], puis les mesures du ministre du Travail Tiziano Treu sous le gouvernement de Romano Prodi [2]; puis, la loi 30 [3] et le décret d’application 276 sous le deuxième gouvernement de Silvio Berlusconi (de juin 2001 à avril 2005). Autant de mesures qui ont débouché sur 43 contrats précaires pour «favoriser l’emploi et réduire le travail au noir». Le résultat est visible aux yeux de tous: le chômage se situe à hauteur de 12,8% (celui de la jeunesse à 40%) et le travail au noir existe autant qu’avant, si ce n’est plus. Quant au «bon travail», celui couvert par des contrats à durée indéterminée et protégé par les conventions collectives de travail, il s’est réduit progressivement.

«Du fait que la concurrence est un principe naturel, nous disent-ils, pourquoi faudrait-il la limiter?» Et alors, suivant ce même raisonnement, «pourquoi ne pas réduire les salaires de 25%», suivant les politiques proposées par la Troïka dans divers pays? Depuis vingt ans, les augmentations salariales ont été maintenues au-dessous de l’inflation. Puis, les membres de la fonction publique ont subi le blocage de toute progression salariale. Ainsi s’est renforcée une armée de réserve énorme de chômeurs et chômeuses, laquelle exerce une pression sur les salarié·e·s. Cette dernière est encore plus élevée lorsqu’ils/ells sont confrontés au chantage suivant: «Si tu ne veux pas accepter une réduction de salaire, alors je délocalise la production en Serbie, Bulgarie, et c’est à toi de te débrouiller.» Mais pour que ce chantage soit fait dans les règles, il faut qu’il soit légal. D’où l’article 8 de la loi n. 148 adopté en 2011 par le quatrième gouvernement Berlusconi (de mai 2008 à novembre 2011), puis l’accord intersyndical entre la Confindustria et les syndicats CIGL, CISL et UIL le 28 juin 2011, enfin le plus récent accord intersyndical entre le patronat et ces mêmes syndicats le 31 mai 2013 [4].

L’ensemble de ces mesures a été mis au point par le règlement du 10 janvier 2014 qui permet aux entreprises, selon leur situation, de déroger à l’application des conventions collectives de travail sur le plan des salaires et des normes. Or, la dérogation à des normes, notamment à celle du Code pénal, signifie généralement la prison (du moins pour les plus pauvres). Dans le cas présent, cela signifie que les dirigeants syndicaux acceptent les propositions patronales visant à accroître l’exploitation des travailleurs, au même titre qu’ils ont accepté les accords que Fiat a imposés à ses salariés d’abord dans les usines de Mirafori et Pomigliano d’Arco en 2011 [5].

Après cette introduction sur la situation en Italie, venons-en à l’actualité dramatique des usines Electrolux. Cette multinationale était connue pour avoir décidé unilatéralement d’augmenter la durée du travail de son personnel plusieurs années en arrière dans ses usines italiennes. Or, la direction de l’entreprise a décidé d’aller au-delà de cette première mesure en reprenant ce que le PDG de Fiat, Marchionne, avait déjà imposé à ses salariés: «Travailleurs et travailleuses, vous devez prendre ou laisser; soit manger la soupe, soit vous jeter par la fenêtre [6]. Sinon, on vous laisse à poil et on déplace l’usine ailleurs, où d’autres travailleurs seront disposés à supporter les conditions que vous refusez aujourd’hui.»

Les propositions de l’entreprise sont très simples: diminution des salaires de 1400 à 800-700 euros; réduction de 80% des primes annuelles qui se montaient à 2700 euros; limitation de la journée de travail à 6 heures; blocage des indemnités pour les jours fériés; réduction des pauses et des congés syndicaux (-50%); arrêt des augmentations salariales liées à l’ancienneté et fermeture d’une des usines italiennes de la multinationale (Porcia).

Peu d’idées, mais très claires. Tout le monde s’étonne tout à coup. Les syndicats crient (à juste titre) au scandale, comme la direction du Parti démocrate (PD, dont Enrico Letta est le Premier ministre) et aussi quelques dirigeants de la Lega Nord; les mêmes qui avaient voté les mesures de flexibilisation du travail et qui étaient favorables à subventionner Electrolux au moment de son implantation en Italie. Le ministre du Développement économique Flavio Zanonato (PD, maire de Padoue de 2009 à 2013) se montre quant à lui très compréhensif. Il estime que l’entreprise propose une dérogation un peu trop «ample» et qu’elle exagère un peu dans des propositions qui, somme toute, entrent parfaitement dans l’esprit des accords signés par les bureaucrates syndicaux (accord du 10 janvier avec le Confindustria). Quelle serait donc la «faute» de la direction de la transnationale?

La direction d’Electrolux est consciente qu’une négociation avec les syndicats sera nécessaire pour parvenir à un accord. C’est pourquoi en proposant ouvertement des baisses de salaire au personnel, elle se met dans une position de force dans le but d’obtenir le meilleur résultat possible – y compris si quelques concessions mineures seront nécessaires pour conclure cet accord. Les concessions obtenues seront alors présentées comme une grande victoire par divers ministres du gouvernement ou des dirigeants des appareils syndicaux. En réalité, l’accord constituera une grande défaite pour les travailleurs. D’autres entreprises pourraient profiter de l’ouverture de cette brèche pour appliquer unilatéralement des mesures analogues pour chasser le «bon travail» (pour faire analogie avec la dite loi de Gresham – XVIe siècle – «la mauvaise monnaie chasse la bonne»), à savoir celui qui bénéficie encore d’une certaine protection accordée par les CCT.

Si les directions syndicales souhaitaient agir sérieusement afin d’éviter un tel scénario, elles pourraient commencer par la dénonciation de l’accord signé vingt jours en arrière avec le patronat (celui du 10 janvier 2014), dire clairement que toutes les usines des patrons qui agissent comme Fiat et Electrolux devraient être réquisitionnées et expropriées.

Ces mêmes directions syndicales devraient aussi appeler les travailleurs à occuper les usines et empêcher qu’une seule épingle sorte par les portes et les fenêtres de l’entreprise. Elles devraient dire: «Nous nous sommes trompés. La situation des travailleurs tend à empirer dans tout le pays et maintenant cela doit cesser. Nous proposons aux travailleurs et aux travailleuses de toutes les entreprises une nouvelle saison de luttes. Nous proposons une plateforme revendicative basée sur la défense des CCT, sur la hausse des salaires pour tous, sur la réduction généralisée du temps de travail, sur les nationalisations et l’intervention directe de l’Etat quand les patrons licencient et délocalisent en s’appuyant sur des chantages. Nous souhaitons faire des assemblées dans toutes les usines pour organiser des discussions démocratiques, passer des paroles aux actes, donc à la lutte. Nous ne laisserons plus les travailleurs d’aucune entreprise se défendre et s’enfoncer dans un climat marqué par la solitude. Nous ne permettrons plus que le «mauvais travail» prenne le dessus sur celui qui reste, du moins en partie, encore «bon».  (Traduction A l’Encontre, article publié sur le site de Sinistra anticapitalista)

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1. Il s’agit d’une mesure introduite le 19 décembre 1984 par laquelle l’employeur peut engager du personnel à temps déterminé sous contrainte de lui octroyer une formation. (Rédaction A l’Encontre)

2. Le 24 juin 1997 entre en vigueur une loi qui prévoit la possibilité pour les entreprises d’engager du personnel à temps déterminé tout en garantissant aux salariés les mêmes droits que ceux prévus par le Statut des travailleurs (en 1970) en ce qui concerne les vacances, la maladie, la maternité, etc. Elle porte le nom du ministre du Travail qui l’a conçue, Tiziano Treu, à ce poste de 1995 à 1998 sous les gouvernements Dini puis Prodi. T. Treu fut, par la suite, en 1998 et 1999, ministre des Transports du gouvernement D’Alema. Et poursuit sa carrière comme sénateur. (Rédaction A l’Encontre)

3. Le 14 février 2003 entre en vigueur ladite Loi 30 ou Loi Biagi (du fait qu’elle a été promue par le juriste du travail Marco Biagi tué le 19 mars 2002 par les Brigades rouges). Cette loi vise à accroître la flexibilité du marché du travail par plusieurs mesures dont la plus importante est la suppression des droits sociaux dont bénéficiaient les salariés engagés à durée déterminée en ce qui concerne les vacances, la maladie, la maternité, etc. (Rédaction A l’Encontre)

4. Lire à ce sujet l’article L’Italie au crépuscule des conquêtes ouvrières paru sur A l’Encontre le 16 septembre 2011.

5. Lire à ce sujet l’article Quand la Fiat veut briser les droits syndicaux paru sur A l’Encontre le 19 janvier 2011.

6. En italien, le dicton «mangiare questa minestra o saltare dalla finestra» signifie «prendre ou laisser», mais dans une situation où l’on a le dos au mur. (Rédaction A l’Encontre)

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