Grèce. «Ni Syriza, ni la Nouvelle démocratie»…

Thessalonique. Alexis Tsipras applaudi par le secrétaire au Commerce
des Etats-Unis, Wilbur Ross (le troisième depuis la gauche), accompagné
de 55 représentants de firmes états-uniennes

Par Antonis Ntavanellos

Le seul intérêt de la présentation des programmes de SYRIZA et de Nouvelle Démocratie (ND) lors de la Foire Internationale de Thessalonique (le 8 septembre 2018) est qu’ainsi a été démontrée, de manière concrète, la convergence et coexistence concurrentielle d’Alexis Tsipras et Kyriákos Mitsotákis (ND) dans les conditions créées par la prétendue «fin» des mémorandums [1].

Si on laisse cette politique se développer sans opposition, il en résultera une austérité brutale, pérenne, pour la majorité sociale, associée à la tentative systématique du gouvernement et de l’opposition de renforcer la position de la classe dirigeante locale. Le récit classique selon lequel la part «accordée» aux pauvres augmentera seulement à travers la croissance du «gâteau» dans son ensemble est remis à l’ordre du jour. En y rajoutant une condition: pour chaque mesure à caractère social l’accord préalable des créanciers sera exigé [la surveillance est quotidienne]. Dès lors, Il n’est pas du tout certain que les choses vont se passer de la sorte.

La majorité laborieuse a été broyée après dix ans de politiques mémorandaires et l’incursion de ses revendications sur la scène politique peut changer la situation dans son ensemble. C’est le travail sur lequel la gauche radicale doit concentrer ses efforts. Le renversement de la dynamique issue de l’austérité mémorandaire en termes de contraction des salaires, des retraites et des dépenses sociales est le devoir central de cette étape.

Après trois ans et demi de gouvernement SYRIZA-ANEL (Grecs indépendants), la situation réelle en Grèce est la preuve de l’affirmation fondamentale selon laquelle une «gouvernance» néolibérale en matière économique et sociale conduit nécessairement à des politiques conservatrices extrêmes dans l’ensemble des thèmes socio-économiques et politiques.

Pendant qu’une partie de SYRIZA demandait la permission de participer aux manifestations antifascistes et antiracistes à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Pávlos Fissas [le rappeur assassiné le 19 septembre 2013 par un membre de l’organisation nazie Aube dorée], dans l’important camp de Moria [2], en une semaine, quatre réfugiés mineurs ont tenté de mettre fin à leurs jours. Alors que Kyriákos Mitsotakis, à la Foire Internationale de Thessalonique, brandissait des photos du misérable camp de réfugiés en vociférant… «La honte sur eux»!

Au moment où le parti SYRIZA s’efforce de faire valoir qu’au moins dans le domaine des droits humains il a apporté quelques conquêtes, un activiste du mouvement LGBT se fait lyncher [le 23 septembre] dans le centre d’Athènes par «des bons chefs de famille» en furie, juste devant une police antiémeute restée impassible [3]…. Certes, le gouvernement ordonnera une certaine «enquête», tout en omettant de mentionner ce qu’il a plus ou moins mis en place, durant trois ans et demi: les agissements de ce monde angélique de collusion entre l’extrême droite raciste, les agents des forces policières dites «antiémeutes» et une presse diffusant la haine, comme le journal Makelio, toujours en vente dans les kiosques.

En même temps, dans un rare consensus aux traits d’unanimité, Trump, Merkel et Macron, ainsi que les dirigeants de l’OTAN et de l’UE, se sont empressés d’intervenir dans le débat qui précède en République de Macédoine le référendum [4], en soutenant, de concert avec Tsipras, l’accord d’expansion de l’OTAN comme étant une politique de paix et de démocratie! Une illustration du proverbe: «Montre-moi tes amis pour me faire comprendre qui tu es!»

Cette politique doit être renversée. Les actions sur tous les fronts doivent converger. Et la seule politique qui puisse donner un élan, aujourd’hui, à cette tâche se condense dans un mot d’ordre: «Ni SYRIZA, ni la Nouvelle Démocratie». Cela dit, face à un «vide politique» qui résulte de ce mot d’ordre, en termes alternatifs doit se renforcer un processus d’unité d’action, de convergences au sein de la gauche radicale. Cela est décisif. (Editorial publié le 25 septembre dans la publication de DEA, Gauche Ouvrière; traduction Manolis Kosadinos, édition par Réd. A l’Encontre)

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[1] Selon Le Monde en date du 9 septembre 2018: «Après huit ans de crise, c’est la première fois que s’ouvre la Foire Internationale de Thessalonique sans l’ombre des mémorandums. Aujourd’hui, trois ans après ce difficile accord signé à l’été 2015, la Grèce est un pays différent et peut regarder vers l’avenir avec sûreté», a scandé le premier ministre, Alexis Tsipras, face au secrétaire au commerce américain, Wilbur Ross, invité d’honneur, et à une foule de chefs d’entreprise, de diplomates, de journalistes.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Il est situé dans l’île de Lesbos, à cinq kilomètres de Mytilène, capitale de l’île; le camp depuis 2015 est devenu le premier centre d’enregistrement et de contrôle – hotspot – ouvert en Grèce. Le tiers des résidents sont, selon Médecins sans frontières, des enfants et les conditions infligées aboutissent à des suicides ou des tentatives de suicides, des automutilations, de violences. Le 27 septembre 2018, le quotidien français La Dépêche fournissait la description suivante: «“Attendre, attendre, il faut toujours attendre. Pour l’asile, pour les soins. Moi, cela fait un an, je veux partir”, lâche Sylvie, 24 ans, qui a fui la République démocratique du Congo. Arrivée avec une blessure à l’œil, elle constate que son état empire: “Ici, je suis mal soignée, je crois qu’ils ne m’ont pas donné les bons médicaments”, se plaint-elle. Dépressions, tentatives de suicide, violences: l’ONG Médecins sans Frontières avec d’autres vient de mettre en garde contre les souffrances ainsi infligées à des populations déjà souvent traumatisées. Le tiers des personnes résidant à Moria sont des enfants, la moitié des familles, originaires en majorité d’Afghanistan et de Syrie.» (Réd. A l’Encontre)

[3] Kostopoulos, âgé de 33 ans, qui était entré dans une bijouterie d’Omonia (quartier d’Athènes, connu pour sa place, l’une des principales d’Athènes) pour se protéger, a été lynché suite aux réactions du bijoutier et de «passants». Le procureur, après l’autopsie, a affirmé le lundi 24 septembre, que les causes de la mort restaient «indéterminables». (Réd. A l’Encontre)

[4] Après l’accord «historique» signé le 17 juin entre Athènes et Skopje, le nouveau nom de «République de Macédoine du Nord» – remplaçant celui d’«Ancienne République yougoslave du Nord» – a été validé par le Parlement de Grèce et doit l’être par un référendum en Macédoine, qui aura lieu ce dimanche 30 septembre. Depuis 27 ans, le «conflit portant sur le nom» empoisonnait les relations entre les deux pays et surtout bloquait les perspectives euro-atlantiques de Skopje. Lors du sommet qui s’est tenu à Bruxelles le 11 et 12 juillet, au siège de l’OTAN, dans la foulée de l’accord de pré-adhésion à l’Union européenne de la Macédoine, a été officialisée «l’invitation» faite à la Macédoine de devenir le 30e membre de l’Alliance atlantique. Le secrétaire de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à cette occasion, avait insisté sur un «processus d’adhésion qui devait être ratifié par les citoyens». Le renforcement de l’OTAN dans cette région instable – avec un potentiel de conflits importants liés non seulement aux ressources pétrolières et de gaz de la Méditerranée de l’Est, mais aussi à la politique d’Israël (qui militairement entraîne ses avions en Grèce) face à l’Iran – est un élément significatif d’une volonté de conforter sa présence dans la région, ce d’autant plus que les rapports avec la Turquie d’Erdogan sont marqués par des «sursauts imprévisibles» et que la Russie de Poutine doit être «mise en garde».

Ce référendum consultatif doit donner une couleur démocratique à cette adhésion à l’OTAN, qui devra être encore validée par le Parlement de Macédoine. Gorges Prévélakis, de l’Université Panthéon-Sorbonne, ne manquait pas, ce samedi 29 septembre, d’expliquer sur France 24: «Le travail de fond de la diplomatie occidentale a fini par payer. Pour bien comprendre, il ne faut pas regarder cette affaire comme une querelle entre deux États – la Macédoine et la Grèce – qui seraient parvenus, par des discussions bilatérales, à régler leur contentieux. Non, il faut prendre un peu de recul et comprendre que les États-Unis et l’Union européenne, notamment, avaient des intérêts dans cette histoire et qu’ils sont parvenus à faire évoluer la situation. Pour eux, il s’agissait avant tout d’étendre dans cette région des Balkans leur zone d’influence vis-à-vis de la Russie. La contrepartie promise est explicitée dans la question qui sera posée dimanche: une adhésion de la Macédoine à l’OTAN et à l’UE.» En Macédoine, face à l’échéance de dimanche 30 septembre, les opposants au «oui» ont mené une campagne sur le thème de l’abstention. En effet, pour que ce référendum soit validé, la participation doit atteindre le 50% de celles et ceux inscrits sur les listes électorales, ce qui n’est pas si simple, entre autres étant donné l’émigration de la population. L’appel du président macédonien Gjorge Ivanov à s’abstenir lui a valu une réplique sévère du commissaire européen à l’Elargissement, Johannes Hahn, ancien membre du Parti populaire autrichien (ÖVP), qui a ce statut depuis 2014!

Les promesses de l’OTAN et de l’UE – au caractère de chantage économique – doivent être comprises en ayant à l’esprit la situation socialement désastreuse de la Macédoine: plus de 20% de taux de chômage officiel et un salaire moyen mensuel de 350 euros par mois, le plus bas des Balkans. Dès lors, des fonds en provenance de l’UE et, sous diverses formes, de l’OTAN sont considérés comme bienvenus par une partie des dirigeants dont les pratiques politiques sont, souvent, éloignées des «normes démocratiques». Ce qui n’est pas l’apanage du personnel politique et de l’appareil d’Etat de la seule Macédoine! (Réd. A l’Encontre)

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