Aube dorée: prendre au sérieux le danger pour mieux le combattre

Man in camo trousers stands to attention in front of sea of Greek flag-waversPar Helena Smith

Le 5 juin 2013, pour la première fois, le Ministère grec du travail a publié une enquête assez complète concernant les revenus des retraité·e·s et le nombre de retraités. Les quelque 93 bureaux du système de retraite ont fourni des indications. Quels sont les résultats? Parmi les retraités, 33,1% touchent 371,64 euros par mois, brut. De plus, des impôts de toutes sortes n’ont fait que croître. Un autre tiers (33%) reçoit en moyenne 675 euros brut par mois. Seulement 700 personnes touchent plus de 2500 euros pour la rente principale. Selon le ministère, le revenu des retraités est calculé à partir de la retraite de base, des compléments et de certaines aides. Elle ne dépasse pas en moyenne 907,65 euros, mais cela avant impôt et déduction pour l’assurance maladie. Après 35 à 40 ans de travail, très peu reçoivent une somme de plus de 650 euros par mois, sur laquelle ils doivent payer des impôts et des cotisations pour l’assurance maladie depuis l’unification entre les fonds de retraite et les fonds de santé. Or, avec l’âge, les retraités doivent payer une cotisation d’assurance maladie croissante, selon le système mis en place dans le cadre des contre-réformes. Il faut avoir à l’esprit que l’on a ici un exemple de l’internationalisation des prix à la consommation – le «coût de la vie» à Athènes ou à Thessalonique est proche de celui des autres villes européennes – mais une nationalisation des revenus. Il est vrai qu’en perspective, que ce soit en Espagne, au Portugal, en France ou en Italie, le montant des rentes devient de plus en plus analogue.

Cette paupérisation particulière des retraités s’opère dans un contexte d’avancée permanente du chômage. Le nombre de chômeurs et chômeuses est plus facile à appréhender si l’on ne se réfère pas au pourcentage par rapport à la population active. Dans les faits, 1 Grec sur 3 n’a pas de travail, pas de revenu, et le chômage augmente sans cesse. A cela s’joute que les emplois sont de plus en plus précaires, de type saisonnier et avec des salaires de plus en plus bas. Le taux de chômage en mars 2013 est le plus élevé depuis… qu’une statistique est publiée en Grèce à ce propos, c’est-à-dire en 2004! Surexploitation et paupérisation vont de pair. Au même titre que coupures d’électricité ou de l’eau courante. Ainsi, la compagnie publique d’eau (EYDAP) a engagé une procédure pour saisir la maison d’un père avec deux enfants, au chômage depuis trois ans et incapable de payer une facture d’eau à hauteur de 831 euros. Tout d’abord, l’EYDAP a coupé l’eau, puis elle a engagé un juriste pour examiner le cadastre, constaté que le chômeur était propriétaire de la maison et mis en vente la maison. La première proposition lors de la mise aux enchères s’élevait à 30’000 euros alors que la valeur estimée de la maison était de 50’000. Grâce à une mobilisation du syndicat des métallos, un accord a été trouvé avec la compagnie d’eau. Le prix de l’eau n’est pas très élevé en Grèce, mais beaucoup ne peuvent plus s’acquitter de leurs factures et dès lors l’EYDAP a fixé à 600 euros d’arriérés de paiements la décision de coupure de l’approvisionnement en eau. Cette société fait appel à des organismes de recouvrement de dettes qui multiplie les téléphones menaçants.

Dans un tel contexte social que l’extrême droite mobilise des forces en s’affirmant à la fois contre les immigré·e·s comme «substitut d’autorité» d’un Etat dont elle dénonce l’impuissance et comme représentant de «la véritable histoire des hommes grecs», les vrais Aryens. D’où la combinaison de manifestations nationalistes prenant appui sur des dates mythologiques censées redonner une dignité à des perdants. C’est ainsi qu’a été fêté le 560e anniversaire de la chute de Constantinople (Istanbul). Simultanément, les provocations se multiplient au parlement. Les déclarations négationnistes concernant «la destruction des juifs en Europe» (pour reprendre les termes de l’historien Hilberg). A l’occasion d’un débat parlementaire ayant trait à une loi antiraciste, débat sur lequel nous reviendrons et qui a été l’objet de discussion dans SYRIZA, Aube dorée n’a pas hésité à proposer une loi pour combattre «le racisme contre les Grecs». Plus spécifiquement, la proposition de loi doit permettre des actions concrètes contre «les crimes commis par les immigrés illégaux contre les Grecs» et des mesures contre  «ceux qui déforment l’histoire grecque». On peut saisir ici la cohérence concrète des facteurs que nous avons soulignés ci-dessus. (cau)

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Ce n’était pas seulement que leurs symboles ressemblaient à des croix gammées. Ou que des milliers de drapeaux grecs remplissaient le carré de marbre au pied de l’Acropole. Ou qu’ils célébraient le 560e anniversaire de la chute de Constantinople.

C’était le fait qu’ils étaient si nombreux. Des hommes et des femmes en colère qui criaient furieusement «La Grèce appartient aux Grecs» au cœur de l’antique Athènes, au point que des touristes – certains abasourdis, certains choqués – ont regardé ou ont fui à la vue de l’arrivée des néonazis.

«Maintenant, nous sommes des milliers», tonna Nikos Michaloliakos, le mathématicien à lunettes qui mène l’extrême droite  de Grèce,  Aube dorée. «Vive la victoire!»

Comme les soldats sur lesquels ils prennent modèle, les Grecs qui souscrivent à l’ultranationalisme, au dogme néofasciste de l’Aube dorée sont les premiers à dire qu’ils sont en guerre. Cette semaine, alors que le gouvernement de coalition d’Antonis Samaras  [Nouvelle Démocratie] se débattait pour contenir une escalade de la crise à propos des efforts visant à freiner les extrémistes [«débat» et propositions de loi sur le thème du racisme et de l’antiracisme], ce sont eux qui semblaient gagner cette guerre.

Dans le contexte d’une augmentation spectaculaire des attaques contre les immigrés imputées aux néonazis, l’alliance au pouvoir de ce pays dévasté par la dette [et par les plans d’austérité] est sous une pression sans précédent pour réprimer les agressions à caractère raciste. Une législation appelant à une interdiction des partis considérés comme provoquant une telle violence a été proposée par deux partenaires juniors de «gauche» [Dimar: Gauche indépendante et le Pasok: social-démocrate] du premier ministre Samaras en mai. Affirmant que celle-ci aboutirait à «victimiser» Aube dorée, qui détient 18 postes de députés sur 300 au parlement, les groupes conservateurs ont rejeté la semaine dernière le projet de loi, le qualifiant de contre-productif. Le vendredi 31 mai, ils ont proposé leur propre loi, moins punitive.

Alors que le parlement s’apprête à débattre de la meilleure façon d’appliquer une législation apte à endiguer le phénomène – des mesures qui ont inopinément électrifié la scène politique – l’extrême droite est en plein essor, sachant que, dans un pays ébranlé par les maux jumeaux de l’austérité et du désespoir, ce sont eux qui sont dans une phase ascendante. Depuis les élections de l’année dernière, l’attrait pour Aube dorée a presque doublé, avec des sondages successifs montrant un soutien compris entre 11% et 12% pour les néofascistes. Des sociétés privées de sondage reconnaissent que, comme la troisième et la plus dynamique force politique de la Grèce, ce mouvement pourrait recueillir jusqu’à 15% des voix aux élections locales l’année prochaine.

«Il est faux de croire qu’ils sont un phénomène éphémère», a déclaré le professeur Dimitris Kerides, qui enseigne les sciences politiques à l’Université Panteion d’Athènes. «Ils ne sont pas seulement un produit de la crise économique de ce pays. Il y a quelque chose de malade dans la société grecque qu’Aube dorée exprime», a-t-il ajouté, se référant à l’augmentation des banques de sang et des rassemblements alimentaires pour «les Grecs seulement» organisés par les extrémistes. «Ils sont là pour rester. Et à partir de 2014, ils vont être partout, avec l’accès aux ressources de l’Etat, car, à coup sûr, ils vont gagner des sièges aux élections municipales et, dans certaines villes, des mairies.»

Enhardis par le succès, les néonazis sont devenus de plus en plus visibles. A travers la Grèce, des sections du parti ont été ouvertes à un rythme record, avec des adhérents recrutés activement dans les écoles. Dans les villages, les partisans vêtus de noir, arborant fièrement l’insigne du parti, se sont multipliés; et dans le sud du Péloponnèse, traditionnellement un bastion de la droite, des graffitis d’Aube dorée sont gribouillés sur les routes et même sur les rochers qui parsèment le paysage des stations balnéaires et des sites archéologiques.

La violence à caractère raciste a explosé à un point tel que les responsables européens ont fustigé la Grèce pour n’avoir pas pris les mesures adéquates. Nils Muiznieks, le commissaire européen aux Droits de l’homme, s’est récemment senti obligé de souligner que la démocratie était en danger dans le berceau de la démocratie en raison de «la recrudescence des crimes haineux et d’une réponse insuffisante de l’Etat». Il est vital, a-t-il dit, que les lois antiracistes nationales et internationales soient appliquées pour réprimer les violences «reliées à des membres ou sympathisants, et y compris des parlementaires, du parti néonazi Aube dorée».

La police grecque et le système judiciaire– qui ont tous deux été accusés de collusion avec les extrémistes – devraient également être réformés, a-t-il dit.

Indice de la croissante emprise politique de l’extrême droite, les conservateurs craignent que la législation proposée par leurs partenaires de «gauche» n’aille encore leur aliéner les électeurs traditionnels qui ont migré vers Aube dorée par dégoût pour l’establishment politique critiqué pour la crise du pays. La hausse spectaculaire du parti a été attribuée, en partie, à des transfuges de l’Eglise orthodoxe grecque et de l’armée.

«Il s’agit d’un véritable désastre», a déclaré Dimitris Psarras, journaliste d’investigation qui a suivi le groupe depuis ses débuts à la chute du régime militaire en 1974. «Même si la loi est adoptée, le message qui est véhiculé est que la démocratie est divisée, ne sachant quoi faire face à cette menace néonazie.»  Pendant trop longtemps, a déclaré Psarras, les Grecs ont regardé avec complaisance comment le groupe d’extrême droite se renforçait.

Tout comme dans l’Allemagne de Weimar, lorsque le Parti national-socialiste des travailleurs allemands d’Hitler est sorti de l’obscurité, les opposants sont restés étrangement calmes [1]. Jusqu’à la semaine dernière, lorsque le poète Nanos Valaoritis, âgé de 92 ans, s’est alarmé du fait qu’Aube dorée «avait toutes les caractéristiques du parti qui a conduit l’Allemagne à la destruction», peu dans l’élite politique et intellectuelle de la Grèce était prête à affronter les extrémistes.

L’absence de débat public a ajouté à la mystique d’une organisation dont le fonctionnement reste opaque. Les médias locaux n’ont pas relaté l’histoire réelle d’Aube dorée. A ce jour, les bailleurs et les conseillers financiers du parti demeurent mystérieux [divers articles dans la presse grecque d’information sérieuse indiquent des liens entre Aube dorée et des fractions de la Nouvelle Démocratie, les restes du Laos (Alerte populaire orthodoxe) de droite extrême et des dons d’armateurs; pour l’heure, il est clair qu’Aube dorée n’est pas la carte que joue le grand capital; les liaisons avec l’appareil sécuritaire – policier et militaire – constituent aussi une ressource pour Aube dorée].

«Peu de gens dans l’establishment ont ouvertement abordé le danger d’Aube dorée et presque personne dans les médias ne s’y est intéressé», a déploré Psarras. «Ce n’est que maintenant qu’il est pris au sérieux, mais je pense qu’il pourrait être trop tard.»

Capitalisant sur l’antipathie sans fond envers les politiciens traditionnels, l’extrême droite a commencé à cibler la «classe moyenne» [ceux qui ont peur de perdre pied et d’être déclassés, ce qu’une certaine sociologie politique qualifie de «classe moyenne»]. Ces derniers mois, des locaux d’Aube dorée ont fait leur apparition dans les zones riches autour d’Athènes.

La petite bourgeoisie grecque de commerçants et de petits entrepreneurs a, comme les fonctionnaires, le plus souffert des effets écrasants des coupes budgétaires exigées par l’UE et le FMI en échange d’une aide d’urgence [de prêts pour renflouer directement le système bancaire grec et international].

Dans une atmosphère lourde de ressentiment et de rage, les immigrants en provenance d’Asie et d’Afrique ont constitué des boucs émissaires faciles, avec un nombre croissant de Grecs accusant les étrangers d’être responsables du taux de chômage record enregistré par le pays – à plus de 27%, le pire de la zone euro.

«La colère veut toujours une cible», a déclaré l’éminente psychologue clinicienne, le Doctoresse Iphigenia Macri. «Aube dorée fournit cette cible: les immigrants. Elle vise toute cette colère et ce sentiment d’être trompé que, collectivement, les Grecs ressentent face au gouvernement et à l’Etat.»

Dans un souci de garder les passions à distance auprès d’une population qui a atteint le point d’ébullition il y a déjà longtemps, le gouvernement a désespérément tenté de convaincre les Grecs, trois ans après le début de leur pire crise des temps modernes, qu’il est «la lumière au bout du tunnel». L’optimisme a été propulsé par le progrès économique.

Toutefois, la montée des néonazis défie toute notion que tout va bien. «Le parti victorieux est Aube dorée», a déclaré le commentateur politique Nikos Xydakis. «La vraie vie est très éloignée de la réussite que le gouvernement est en train de vendre. Les néonazis ont réussi non seulement à faire accepter leur brutalité. Ils sont le reflet de la peur et de la pauvreté dans ce pays.» (Traduction A l’Encontre)

[1] L’auteure de cet article sous-estime ici la mobilisation antiracite et anti-néonazie de mouvements tels que «Expuser le racisme» (animé par la gauche de Syriza), d’initiatives prises par des composantes d’Antarsya ou encore les réactions parfois de front unique entre des groupes antifascistes (les motards antifascistes), des anti-fascistes «anarchistes» et le mouvement «Expulser le racisme». (Réd. A l’Encontre)

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Article publié dans The Guardian, le 1er juin 2013

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