Grèce: «Pas un seul pas en arrière! 100% contre le mémorandum!»

B9GG3SECYAASaX_Nous publions ci-dessous le texte diffusé lors de la deuxième manifestation populaire de soutien au gouvernement grec, le 11 février 2015. Cette déclaration, rédigée par DEA (Gauche ouvrière internationaliste, membre de SYRIZA) et le RedNework, garde toute son actualité en termes d’analyse et de perspectives pour une gauche «classiste». La presse grecque indique, le 17 février, que Yannis Varoufakis va chercher à avoir un «plan-relais» de 6 mois sur la base d’un projet du commissaire européen Pierre Moscovici, projet dont il est dit que l’Allemagne et d’autres poids lourds de l’Eurogroupe rejettent. Négociations et rumeurs vont toujours de pair. Le site To Vima a mis en ligne, ce 18 février, le dossier technique (30 pages) résumant les diverses propositions aussi bien de Varoufakis que de Moscovici et de Jeroen Dijsselbloem (le ministre des Pays-Bas qui dirige l’Eurogroupe). Nous reviendrons sur les propositions grecques soumises à négociation, entre autre le «plan-relais» (pont), proposé par Varoufakis.

Un nouvel élément est apparu sur la scène politique grecque. Les candidats à la présidence sont au nombre de deux: Prokopis Pavlopoulos, proposé par le gouvernement Tsipras, et Nikos Alivizatos, proposé par To Potami (La Rivière). Le premier sera très certainement élu le 19 février; le premier tour ayant lieu le 18 février à 19 heures. Prokopis Pavlopoulos est un juriste, spécialiste en droit constitutionnel, ancien député, membre de la Nouvelle Démocratie, ministre de l’Intérieur (c’est-à-dire, en Grèce, de l’ensemble des questions administratives) entre 2004 et 2009. Son choix par Tsipras va certainement susciter un débat dans SYRIZA. Le premier candidat choisi par Tsipras, le commissaire européen Dimitris Avramopoulos, a été retiré étant donné la forte opposition de la «plateforme de gauche». (Rédaction A l’Encontre)

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Les lundi et vendredi 11 et 12 février, les deux premières réunions de l’Eurogroupe (les 18 ministres des Finances de l’eurozone) et du Conseil des ministres de l’UE représenteront le premier moment charnière pour le gouvernement grec et pour SYRIZA.

A la différence des gouvernements pro-mémorandum [«prêts» conditionnés à un ensemble de contre-réformes et de mesures d’austérité] qui ont négocié avec les créanciers pour satisfaire les demandes et les intérêts de la bourgeoisie contre les intérêts de la classe ouvrière et les pauvres, le gouvernement et SYRIZA ont une tâche complètement différente. Ils doivent engager une bataille pour faire valoir les aspirations et les espoirs des victimes de la barbarie – qui a duré cinq ans – des mémorandums. Et, ainsi, faire la preuve que la dynamique de la victoire politique couplée à la massive mobilisation populaire en Grèce ainsi que le mouvement de solidarité dans toute l’Europe peut ouvrir une perspective victorieuse.

Jeroen Dijsselbloem et Yannis Varoufakis
Jeroen Dijsselbloem et Yannis Varoufakis

Les bailleurs de fonds ont mis en place un double piège. Le premier, exercer le chantage d’un plein retour du programme des mémorandums (2010 et 2012). Ils ne sont pas prêts à accepter une solution qui enverrait le message selon lequel le peuple et la gauche d’un petit Etat membre peuvent remporter des victoires contre l’eurozone et l’UE, cette Sainte-Alliance du Capital. Déjà, l’effet domino provoqué par la grande victoire électorale de SYRIZA a gagné une telle dynamique (en dix jours) qu’il est clair que si l’onde de choc de cette victoire poursuit son travail corrosif – même durant quelques mois – la menace serait beaucoup plus sérieuse. Elle toucherait la construction d’une Union européenne de l’extrême austérité. L’axe de l’orientation pro-austérité pourrait se déplacer vers celui d’une option anti-austérité. C’est ce que ne peuvent accepter non seulement l’impérialisme allemand et le «front» de ses alliés les plus durs, mais aussi les Hollande, les Renzi, sans mentionner les Draghi (BCE) et les bureaucrates de Bruxelles.

Le second piège renvoie à ce que certains aimeraient desserrer le «nœud coulant» allemand dans la mesure où il comprime quelque peu les intérêts de la bourgeoisie française et italienne. Mais ce choix se heurte à l’hostilité de l’impérialisme allemand qui s’oppose à toute perspective de changement de politique. Certains veulent un certain ralentissement dans l’ampleur et le rythme de la compression des dépenses publiques, de sorte à ne pas aggraver de manière dangereuse la situation de stagnation économique – échapper à une forte récession et à la déflation. Mais ils ne veulent pas mettre en danger les intérêts de leur propre bourgeoisie.

Rejeter fermement le «compromis malhonnête» des créanciers!

Tous nous présentent comme voie de salut un «honnête compromis». Mais ils n’acceptent pas une négociation au cours de laquelle serait «gelé» le programme des mémorandums ou (encore plus) où il serait édenté par des décisions unilatérales du gouvernement grec. Comme il fallait s’y attendre, ils n’acceptent pas le «plan-relais» [bridge agreement qui assurerait un financement après le 28 février, pendant qu’un programme propre est élaboré par le gouvernement Tsipras] afin que le gouvernement grec puisse négocier un renversement de l’austérité combiné avec… le financement des bailleurs de fonds! Ils exigent de continuer à appliquer l’ancien programme. Ce qui signifie: faire venir la Troïka pour effectuer la dernière évaluation de la situation, avant de libérer les 7,2 milliards d’euros de la dernière tranche des «prêts» [pour payer les créanciers bilatéraux et multilatéraux] bien que cela conduise avec certitude à la rupture entre le gouvernement grec et les prêteurs et enlève tout sens à la négociation.

Dans tous les cas, ils demandent le prolongement du «programme» jusqu’à ce que la négociation portant sur le total de la dette soit terminée. Sur cette base, des personnes «bien intentionnées» recommandent une solution de «compromis» afin de rebaptiser le mémorandum. Un mémorandum dont les paramètres de base seraient acceptés, mais avec une possible «concession» visant à geler la mise en œuvre de nouvelles coupes budgétaires supplémentaires et d’impositions additionnelles, cela pour la durée des négociations. Mais dans la foulée devraient aussi être gelées les mesures du gouvernement grec qui saperaient les coordonnées de base propres au programme d’austérité qu’implique le mémorandum.

Il est évident que c’est un «compromis» qui ne peut pas être accepté.

Non au «plan-relais» accompagné du mémorandum

Ce précoce «conflit sans lendemain» est provoqué par deux facteurs. Le premier, l’effet domino politique qu’a déclenché la grande victoire de Syriza. Il menace l’intégration européenne placée sous le signe de l’extrême austérité. Dès lors, les créanciers veulent immédiatement y mettre fin, avant qu’il acquière une dynamique dangereuse et incontrôlable.

Le second, le fait que le «plan-relais» (pont) d’une durée de quelque quatre mois de négociations avant d’aboutir à un accord global n’est pas neutre. Soit il s’agira d’un «pont» vers l’acceptation du mémorandum accompagné d’un allégement de la dette comme ils l’avaient promis au gouvernement de Samaras-Venizelos (restructuration, réduction des taux d’intérêt). Soit ce sera un «pont» aboutissant à une décision de renversement des politiques d’austérité!

Les bailleurs de fonds veulent être un «pont» vers l’acceptation d’un nouveau mémorandum avec quelques différences mineures, symboliques par rapport aux anciens.

Or, pour nous, pour le gouvernement dont la colonne vertébrale est SYRIZA, pour le mouvement et pour la gauche, il devrait être un «pont» conduisant au démantèlement des politiques, des faits accomplis et des mécanismes d’application des mémorandums, mais aussi au renversement d’ensemble de la politique d’austérité. Tant qu’il se camoufle sous des formules telles que «mutuellement bénéfique», tout «pont» accompagné du financement des bailleurs de fonds et reposant sur un «programme de transition» du type mémorandum, il ne représentera qu’une étape vers la soumission envers les créanciers.

Le conflit, qui était de toute façon inévitable, arrive tôt et il est très dur, simplement parce qu’il n’y a pas de solutions «intermédiaires». Il n’y a pas une solution gagnant-gagnant (win-win) même pas pour une période de transition de quelques mois de négociations.

De l’Eurogroupe et du Sommet des chefs d’Etat sortira soit le message qu’une partie a reculé «avec un bonjour», soit que nous nous dirigeons vers le conflit. Pour le gouvernement grec, il est impensable de sortir battu de ces deux jours (du 11 au 12 février); non pas pour lui-même, mais pour les intérêts, les besoins et les espoirs de la classe ouvrière et des masses paupérisées, des millions de victimes de la barbarie intrinsèque aux mémorandums.

Par conséquent, nous descendons dans les rues et sur les places afin de crier: «Pas un pas en arrière!», «Pas de pont». Nous pouvons gagner!

Les raisons sous-jacentes aux craintes des créanciers – c’est-à-dire la zone euro et le système international – renvoient au mouvement international de solidarité à l’égard de la «rébellion» grecque. En outre, l’opposition brutale contre toute «période de grâce» de plusieurs mois afin d’aboutir à un accord s’enracine dans la profonde crise de la zone euro, c’est-à-dire dans une combinaison de stagnation et de récession, d’une part, et de déflation de l’autre; ce qui menace d’en faire des «Lehman Brothers» lors d’une nouvelle explosion de la crise capitaliste.

Tout simplement, ils ne peuvent pas tolérer dans cet environnement de poudrière «l’étincelle» de promesses impliquant une inversion des politiques d’austérité. En raison de la crise profonde – qui se complique au lieu de se «soigner» – la plaine est sèche et le risque qu’un vaste «feu» se déploie est immédiat.

Leur incapacité explique très bien le durcissement, mais elle est à la fois une source d’optimisme. Lorsque la plaine est si sèche, la possibilité de devenir «l’étincelle» qui provoque l’incendie n’est pas seulement réelle, mais aussi concrète.

Mais ce n’est pas seulement les conditions internationales qui sont favorables pour livrer une bataille victorieuse. Il en va de même au plan intérieur. Les sentiments de la classe ouvrière et des masses populaires paupérisées, le «monde de la gauche» mais aussi bien au-delà (les mouvements) se sont exprimés de manière indiscutable. L’ambiance populaire et le soutien au gouvernement afin qu’il mène sans réticence les difficiles négociations sont majoritaires, même si cela implique le conflit, la rupture, ou, y compris, la sortie de la zone euro. La volonté d’exprimer ce soutien remplit les rues et les places. De la sorte est justifiée la lutte des nettoyeuses [du ministère de Finances], des gardes scolaires et des fonctionnaires mis en disponibilité [avec 75% de leur salaire, puis l’inconnu après huit mois], etc. Se créent aussi les conditions d’une mobilisation d’ensemble des syndicats et de mouvements sociaux, avec l’objectif: «Récupérons tout».

Le gouvernement grec, mais aussi Syriza et la gauche peuvent et doivent dans ce contexte conduire une bataille dans la perspective de gagner.

100% contre les mémorandums!

Les conditions générales existent pour une bataille victorieuse mais elles ne sont pas suffisantes. Demain [12 février], c’est 70e anniversaire de l’Accord de Varkiza [1]. La ruse de l’histoire le fait coïncider avec la fin des travaux de l’Eurogroupe et l’ouverture du Sommet européen. Cela nous invite à apprendre de l’expérience historique et à ne pas répéter les erreurs qui ont conduit à la plus grande défaite du passé. Ce n’est pas au moyen d’une tactique d’apaisement et d’avances rassurantes en direction des créanciers et de la bourgeoisie grecque, ce n’est pas par l ‘«unité nationale» avec les représentants de la bourgeoisie que nous allons protéger nos arrières. C’est par l’insistance sur l’application d’un démantèlement du programme d’austérité par la mobilisation du peuple, par le front uni de la gauche [incluant les forces d’Antarsya et du KKE] et de la solidarité internationale.

Tsipras s'adressant  à la fraction de SYRIZA,  le mardi 17 février
Tsipras s’adressant
à la fraction de SYRIZA,
le mardi 17 février

Le gouvernement de SYRIZA, SYRIZA en tant que parti et la gauche dans son ensemble doivent faire face à des circonstances historiques:

• Pas un seul pas en arrière face à l’objectif de démanteler l’austérité! Nous ne négocions pas pour une «détente» limitée de l’austérité et de ses rythmes imposés, mais pour la renverser Nous ne sommes pas à 30% ou à 70% [2] des anti-mémorandum, mais à 100% contre les mémorandums et l’anti-austérité!

• Pas d’acceptation d’un programme «pont» qui intègre des engagements, des règlements et des politiques des mémorandums. Le seul «pont» à discuter, c’est celui du financement pour la période de négociations.

• Pas un pas en arrière pour le renversement du programme d’austérité.

• Nous nous battons pour l’annulation de la dette et non pour «une ingénierie intelligente» en termes de service de la dette.

• Nous devons mettre en oeuvre – directement et de manière indépendante des négociations avec les créanciers – le programme de Thessalonique (14 septembre 2014); en plaçant les banques sous propriété et contrôle publics, au même titre que le Fonds de stabilité public et la Banque nationale grecque.

• Cessation immédiate des privatisations et relance du processus de propriété et contrôle publics pour ce qui est des infrastructures publiques, des biens et des entreprises qui ont été privatisées.

• Nous devons affronter le problème du chômage avec un programme massif d’investissements publics.

Dans de telles circonstances d’affrontement dur, le parti SYRIZA ne peut pas être considéré comme une sorte de luxe décoratif et ne peut être placé dans une «parenthèse» en attribuant le monopole de la conduite politique au gouvernement. Sans l’activité massive et militante des organisations et sans un fonctionnement démocratique et régulier des instances collectives du parti, il lui manquera le lien politique et organisationnel décisif sans lequel la politique gouvernementale va se diluer dangereusement et devenir incontrôlable. Sans ces conditions de vie de SYRIZA, la politisation et la coordination du mouvement, l’organisation de la solidarité internationale ainsi que le front uni de la gauche ne pourront être mis en œuvre efficacement.

Dans ces conditions historiques et à partir de ce point de départ, nous nous battons pour reconquérir tout ce que nous avons perdu au cours des années de mémorandums, de même pour obtenir ce qui n’a jamais été gagné! C’est le mouvement de solidarité internationale, les sentiments et l’action de masse du «monde» de la gauche et des mouvements en Grèce elle-même qui en sont l’assurance! Osons espérer. (Traduction Antonis Martalis; texte publié sur le site Rproject le 11 février 2015 et distribué par DEA lors de la mobilisation du 11 février 2015 dans diverses villes de Grèce).

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[1] L’accord Varkiza été signé le 12 février 1945 par le gouvernement Plastiras de l’époque et des représentants du Front de libération nationale (EAM) après la bataille d’Athènes en décembre 1944 entre la Grande-Bretagne et ELAS (la partie militaire de celui-ci). Les forces ont dû évacuer l’Attique et Thessalonique ; l’Elas dû remettre les armes. Cet accord a été passé (sous pression de l’URSS) alors que les forces de la résistance contrôlaient de 90% du pays. Cet accord est synonyme en Grèce d’une capitulation de la gauche. (NdT)

[2] Allusion à une formule de Varoufakis, ministre des Finances, lors son discours au Parlement : il a déclaré qu’il était d’accord avec 70% des mémorandums, et en désaccord avec 30% (NdT).

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