Grèce. Le moment de vérité pour le mémorandum 3

George Katrougalos, Euclide Tsakalotos et George Stathakis, le 12 avril 2106 à Athènes
Georges Katrougalos, Euclide Tsakalotos et George Stathakis,
le 12 avril 2016 à Athènes

Par Antonis Ntavanellos

Nous sommes à un point que l’on peut qualifier ainsi: «trêve des plaisanteries, dorénavant». Des plaisanteries telles que la possibilité de prendre des mesures positives dites «compensatrices» à celles qui découleront de l’application du nouveau programme d’austérité. Nous sommes arrivés au moment où la vérité sur le mémorandum 3 sera exposée au grand jour, où le gouvernement devra signer «l’accord» avec les créanciers et faire adopter par le parlement des mesures meurtrières ayant trait à la sécurité sociale, aux impôts, aux salaires et aux embauches dans les services publics, ainsi qu’aux créances hypothécaires impayées.

Les créanciers exigent un accord qui portera un coup mortel aux droits sociaux et du travail. La vie en Grèce va devenir beaucoup plus difficile pour les salarié·e·s et les pauvres. En même temps, l’accord ne comprend aucune mesure portant atteinte aux intérêts des capitalistes, cette partie de la société qui n’a pas souffert durant la crise. Au contraire, ils ont augmenté leurs profits et leur richesse accumulée.

Sécurité sociale

La cruauté sociale des créanciers ressort dès que sont prises en compte les mesures concernant la Sécurité sociale. Il s’agit d’une agression sans précédent contre la fraction la plus fragile des «assuré·e·s», contre ceux qui ne peuvent pas (à cause du chômage, entre autres) faire la preuve du droit à une retraite complète. Ils s’attendaient – jusqu’aujourd’hui – à recevoir au moins la retraite minimale. Jusqu’au mois d’août 2015, le montant de la retraite minimale se situait à 486 euros. Le gouvernement de SYRIZA l’a réduit à 392 euros [suite à la mesure proposée par Pavlos Haikalis, des Grecs indépendants-ANEL, secrétaire d’Etat à la Sécurité sociale]. Actuellement, l’accord en discussion prévoit un minimum de 346 euros par mois. Des secteurs entiers de la classe ouvrière – à cause de la nature de leur travail (par exemple, des ouvriers du bâtiment, des ouvriers intérimaires et de très nombreuses activités saisonnières) – ne pourront pas présenter les 15 années de cotisations entières exigées par la sécurité sociale. Ils vont donc subir une réduction de 30% du montant de leur retraite par rapport à 2014.

Un autre exemple de la férocité sociale est l’accord visant à réduire l’EKAS [c’est-à-dire l’allocation de solidarité sociale à laquelle les personnes recevant une pension de vieillesse, d’invalidité ou de survie ayant atteint l’âge de 65 ans ont droit] encore plus rapidement, dans les prochains six à sept mois. Ou encore, la suppression des allocations pour veuve avant 55 ans. Un grand nombre de femmes – que le capitalisme enferme dans «leur» foyer en leur transmettant le fardeau de la reproduction élargie de la famille ouvrière – seront obligées de vivre jusqu’à 55 ans sans aucun revenu si elles perdent leur mari. Ce qui arrive souvent suite à des accidents du travail ou à des maladies liées au travail. En effet, il est impossible que des ouvrières non spécialisées puissent trouver un emploi dans un contexte où le taux de chômage se situe à 38% pour des femmes sans formation.

Cette brutalité frappe l’ensemble de la classe laborieuse. Les unes de la presse favorable au gouvernement sont les suivantes : EthnosLa Nation – «Mille euros au plus»; EF.SYNQuotidien des rédacteurs – «Un peu de retraite»). Elles démontrent que les engagements du très chic Geórgios Katroúgalos («Les retraites ne seront pas réduites») font partie du passé [1]. Après 40 ans de travail, à 67 ans, un assuré en Grèce ne pourra pas espérer se voir attribuer plus de 1000 euros (brut, en faisant la somme de toutes les allocations).

Le sens de cette politique est parfaitement clair: avec la signature de SYRIZA, soit d’un parti membre de ladite gauche radicale, la facture du vol perpétré par les capitalistes dans les diverses caisses de la sécurité sociale, sur la durée, sera payée, en fin de compte, par les retraités actuels et futurs.

Les mesures concernant les impôts relèvent d’une cruauté équivalente. Le taux de TVA passe à 24% sur les factures concernant l’eau et l’électricité. Dès lors, des milliers des familles seront obligées de vivre sans eau et sans courant électrique.

L’imposition sur le revenu ne touchait pas les revenus les plus bas. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela signifie une hausse générale des impôts, qui seront prélevés à la source. Mais le gouvernement proposait une limite de non-imposition à hauteur de 9200-9100 euros par année. Les créanciers veulent abaisser ce seuil à 8200. Selon ces informations, la plus grande partie de la hausse des impôts estimée à 1,8 milliard pour les années 2016, 2017 et 2018 sera payée par les contribuables qui disposent d’un revenu annuel compris entre 9000 et 20’000 euros.

Aux antipodes, la «sensibilité» du gouvernement et des créanciers est impressionnante quand ils discutent de la taxation des vrais privilégiés. La proposition de taxer les profits de l’OPAP [organisme qui contrôle les paris portant sur les matchs de football] de 5 centimes d’euro par bulletin joué – ce qui pourrait apporter 500 millions d’euros – est en train d’être oubliée. Un destin pareil semble attendre la proposition de taxer les nuitées (par exemple, dans les hôtels 5 étoiles), suite au barrage de déclarations affirmant que cela porterait un «coup mortel aux entreprises grecques du tourisme».

La classe dominante a obtenu un statut d’asile et la protection absolue de ses privilèges, même si elle ne cesse pas d’affirmer avec exaltation que, pour «le salut du pays», des sacrifices sont nécessaires pour tous, à l’exception de… Après tout, c’est ainsi que sont «nées» les sommes impressionnantes déposées dans les banques suisses. Elles furent révélées dans la liste Lagarde [liste indiquant les noms de 2059 détenteurs grecs de compte en Suisse, liste qui s’est évaporée…] ou dans les Panama Papers.

Il est clair que le gouvernement de SYRIZA participe désormais à ce comportement de brutalité sociale contre ceux «d’en bas» et de délicatesse absolue face à ceux «d’en haut». Ceux qui ont des doutes à ce propos feraient mieux de penser au fort symbole que représente l’invitation au Maximou [résidence du Premier ministre] des honorables messieurs Evangelos Marinakis [homme d’affaires à la réputation sulfureuse et président du club de football Olympiakos] et Dimitris Melissanidis [armateur et acteur de premier plan dans le commerce du pétrole ainsi que principal actionnaire de l’OPAP et propriétaire de l’AEK Athens FC]. Or, ils sont les représentants le plus caractéristiques de ce que SYRIZA appelait, autrefois, les «entrepreneurs noirs». Ces hommes «de nombreuses affaires» que SYRIZA avait promis de neutraliser au moment de son arrivée au pouvoir. Aujourd’hui, ils sont invités à participer au «dialogue» avec la direction de SYRIZA et du gouvernement. Et cela au moment où des violences se déchaînent à l’occasion des matchs de foot [ce qui conduit les instances internationales du foot à intervenir, ce qui en dit long…]. Et le gouvernement présente, avec un certain culot, ces relations comme faisant partie d’une valorisation de «l’esprit entrepreneurial» afin d’affronter la corruption et les conflits d’intérêts. O tempora, o mores!

Politique

L’accord avec les créanciers comprend aussi d’autres mesures «difficiles»: l’abolition de toute protection pour les emprunts hypothécaires impayés [ce qui implique l’expulsion de logement], la limitation rigoureuse des embauches dans le secteur public (en suivant le principe: cinq «départs», une embauche), la réduction des salaires dans le secteur public, etc.

La «distance» séparant les partenaires – Union européenne, BCE, Mécanisme européen de stabilité ainsi que le FMI et le gouvernement grec – a eu comme résultat le renvoi de la signature de l’accord, bien que, cette fois, le gouvernement ait participé à la «négociation» sans manifester de résistance. Deux facteurs expliquent ce délai:

a) D’une part, il y a des différends entre les «institutions», entre le FMI et la partie européenne du quartet. Wolfgang Schäuble a clairement indiqué qu’il ne discuterait pas l’éventualité d’alléger la dette grecque. De son côté, le FMI souligne que, dans ce cas [2], le gouvernement grec devrait prendre des décisions encore plus drastiques pour que le programme puisse être «viable».

Cette procédure laborieuse reflète la crise de leadership des instances dirigeantes de l’UE. Le lendemain du renvoi de l’accord le 12 avril [pause imposée étant donné la réunion du FMI à Washington du 15 au 17 avril], Martin Schulz, président du Parlement européen, membre du SPD, qui tirait la sonnette d’alarme depuis le mois de février, répétait sa formule concernant le danger d’un «effondrement de la zone euro». Il a fait appel aux dirigeants de l’UE afin qu’ils prennent des décisions plus audacieuses dans ces conditions de «polarisation aiguë».

b) Ces «décisions plus audacieuses» exigent, pour être appliquées, la mise en place d’un pouvoir politique plus fort en Grèce. Les «institutions» savent désormais que Tsipras n’a pas la capacité d’appliquer à lui seul (avec seulement les 153 députés de SYRIZA-ANEL) un accord si dur. Elles présentent leurs exigences dans un langage absolument cru face à Euclide Tsakalotos [ministre des Finances] et Giorgios Stathakis [ministre de l’Economie] et envoient le message qu’ils veulent l’accélération des changements politiques, c’est-à-dire l’élargissement de la base parlementaire et politique du gouvernement, qui va avoir la responsabilité d’«appliquer» le mémorandum 3.

Les travailleurs et les forces populaires n’ont rien à attendre de ces négociations qui font la une des médias. Leur entrée décidée sur la scène socio-politique – en commençant par la grève nécessaire de 48 heures [3] – est un préalable incontournable, si on veut défendre nos droits et nos acquis. Le but immédiat devrait être le renversement de tous les mémorandums!

Les mobilisations en France, entre autres contre la nouvelle loi sur le travail, indiquent la possibilité de modifier un «agenda politique» décidé par les sommets gouvernementaux. (Article publié dans le bimensuel de DEA en date du 13 avril 2016. Traduction Sotiris Siamandouras, édition A l’Encontre)

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[1] Il déclarait au quotidien L’Humanité, le 26 août 2015: «Nous pouvons neutraliser les mesures néolibérales de l’accord» passé par Tsipras en juillet 2015. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Les divergences entre les instances européennes et le FMI semblent s’être conclues à Washington par un accord visant à imposer une sorte de «mémorandum 3+» infligeant à la Grèce un programme d’austérité encore plus drastique. Romaric Godin, dans la Tribune.fr en date du 19 avril 2016 concluait: «Le bilan pour le gouvernement grec reste néanmoins amer. Se voir contraindre comme c’est probable un nouveau mémorandum avec sans doute encore de vagues promesses de restructuration de la dette grecque. Il n’est pas parvenu à arracher une remise en cause de l’objectif chimérique des 3,5% du PIB d’excédent primaire pour 2018.» Le vice-premier ministre Ioannis Dragasakis ne pouvait que déclarer dans la presse grecque que cette solution aboutissait à une catastrophe politique, autrement dit à contraindre le gouvernement Tsipras à une restructuration de ses alliances. Comme quoi l’économie est avant tout politique. (Rédaction A l’Encontre)

[3] La grève de 48 heures fait l’objet de nombreuses discussions entre les centrales syndicales (ADEDY, GSEE) et en leur sein, ainsi qu’avec le front syndical PAME, animé par le KKE (PC). La décision de déclencher une grève le jour où l’essentiel du mémorandum 3 est adopté par le parlement implique que la date reste inconnue et que, dès lors, la préparation de la mobilisation ne peut être mise en marche. (Rédaction A l’Encontre)

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