Grèce. Le gouvernement Tsipras et le MoU…

Bruxelles, 14 août, Jeroen Dijsselbloem et Enclide Tsakalotos s'ccordent
Bruxelles, 14 août, Jeroen Dijsselbloem et Enclide Tsakalotos s’accordent

Par Rédaction A l’Encontre

Dans la nuit du 13 au 14 août 2015, les parlementaires grecs exprimèrent leurs positions face à l’adoption, par le gouvernement de coalition (SYRIZA-Grecs indépendants), du troisième Memorandum of Understanding (MoU); autrement dit: le nouveau plan supplémentaire d’austérité. Simultanément, les divers médias reprenaient l’information de l’institut grec de statistiques, ELSTAT, selon laquelle «contre toute attente, la Grèce a renoué avec la croissance au deuxième trimestre, avec un PIB en hausse de 0,8% par rapport au premier». Ce genre de statistiques flash (pas désaisonnalisée) ayant trait au PIB ne fait aucun sens. Il suffit de rappeler que le tourisme s’inscrit à hauteur de près de 20% dans la formation du PIB. Or, il a battu tous les records au deuxième trimestre 2015. Sous ce seul angle il est possible de mesurer l’a-signification de cette statistique. En outre, les mesures liées au troisième mémorandum – augmentation des impôts indirects avec effet sur la consommation, réduction du budget public et des investissements – ne sont évidemment pas encore prises en considération.

D’ailleurs, les créanciers n’hésitent pas à pronostiquer un recul du PIB pour 2015 de 2,3% et de 1,3% en 2016. D’autres estimations le situent à -3,5% pour 2015. La fixation du solde budgétaire primaire (avant le service de la dette) à 0,25% en 2015, et à 0,5% en 2016 – ce qui est présenté comme une concession de la part des négociateurs du «troisième plan d’aide» – résulte en fait de la stricte prise en compte de ces projections (hypothétiques) par les émissaires de l’eurocratie. Selon les trois scénarios établis par les institutions européennes («Debt sustainability analysis»), le ratio dette/PIB se situe en 2015 entre 196,3%, 198,8% et 195,4%. Respectivement en 2016: 200,9%, 206,8% et 198,9. Quant aux sommes recueillies par le fonds de privatisations, sous commandement européen, elles sont évaluées, dans le même document, à 13,9 milliards d’euros jusqu’en 2022 (total du secteur non bancaire); ce qui est fort éloigné des objectifs proclamés. Mais cela n’empêche pas, au contraire, la mise à l’encan de 14 aéroports régionaux décisifs pour le tourisme (acquis par l’allemand Fraport, avec comme junior partenaire le groupe familial grec Copelouzos), du port de Tessalonique, du Pirée (le chinois Cosco y contrôle déjà les quais commerciaux 2 et 3, et veut élargir son emprise); Cosco s’est porté acquéreur d’une base logistique près du Pirée, à Thriassion – base qui appartient à la compagnie grecque des chemins de fer (OSE) – qui pourrait être le point de départ d’une ligne pour le transport de marchandises vers l’Europe; à cela s’ajoute le réseau de distribution électrique et, demain, la Public Power Corporation (la plus importante société d’électricité). Fin octobre, une liste nouvelle et complétée devrait être établie, sous la supervision des créanciers.

C’est dans ce contexte de récession prolongée – qui s’est accentuée depuis le premier mémorandum de 2010 –, d’expropriation de la «richesse publique», d’écroulement social que le nouveau plan d’austérité était «débattu» à la Vouli.

La résistance à un Syriza «mémorandaire»

Le 8 août 2015, Panagiotis Lafazanis, ministre démissionnaire de la Reconstruction et porte-parole de la Plateforme de gauche, dans un entretien au journal Kefalaio (Capital), à la question du journaliste formulée ainsi «vous demandez aux députés de voter contre le troisième mémorandum, vous êtes donc en complète rupture avec l’orientation de la direction de Syriza», répondait: «Personnellement, je suis la même voie que par le passé. Je soutiens fermement et avec consistance la nécessité pour Syriza et le gouvernement d’adopter une orientation plus radicale, progressiste, contre l’austérité, contre la subordination [face aux instances de l’UE] et contre le bradage de la richesse publique. Sincèrement, je ne vois pas d’autre option pour sortir de cette crise cauchemardesque, profonde et prolongée que traverse notre pays. Malheureusement, c’est la direction de Syriza et le gouvernement qui se sont engagés sur une voie différente, en choisissant celle du troisième mémorandum. Cela constitue une rupture avec les engagements qui font l’identité de Syriza. Et j’ajouterais une rupture avec le bloc des forces sociales, en particulier les couches les plus pauvres qui soutiennent Syriza.»

Ces considérants de Lafazanis ont constitué le premier élément fondant le vote NON de 32 député·e·s de Syriza. Il faut y ajouter 11 député·e·s qui ont voté «présent» (abstention), ce qui équivaut à une opposition. Pour rappel, sur les 149 député·e·s de Syriza, lors des deux premiers votes concernant les premières mesures de l’actuel mémorandum les 15-16 juillet, les opposants étaient au nombre de 32 (6 «présent»); les 22-23 juillet, 31 Non (5 «présent»). Le gouvernement n’a pu donc valider son orientation que grâce à l’appui des député·e·s de la Nouvelle Démocratie, du Pasok et de To Potami (La Rivière). Les 15 députés du KKE (Parti communiste grec) ont voté Non. Le KKE s’était prononcé pour un vote nul à l’occasion du référendum du 5 juillet. Les députés néonazis d’Aube dorée, qui disposent de 17 sièges, ont voté Non. Aube dorée guette l’approfondissement de la crise sociale et politique pour chercher à reprendre ses initiatives sur le terrain.

Dans les rangs des députés de la coalition gouvernementale, seuls 118 ont voté OUI. La règle veut que le gouvernement dispose d’une base d’au moins 120 députés pour n’être pas contraint d’exiger un vote de confiance. Alexis Tsipras a laissé entendre, le 14 août, qu’il pourrait solliciter un tel vote après le 20 août; c’est-à-dire après le paiement de 3,2 milliards d’euros (obligations) à la Banque centrale européenne et, surtout, suite à l’acquiescement final des créanciers concernant la MoU et les règles de son application.

Un vote de confiance met les députés de Syriza devant un choix difficile: faire tomber ou non le «premier gouvernement de gauche» grec élu en janvier 2015. Une façon de tenter de discipliner une fraction des députés – et aussi du Comité central de Syriza – qui s’opposent aux choix du gouvernement.

Après le 25 janvier, la coalition gouvernementale comptait 149 députés de Syriza et 13 des Grecs indépendants (ANEL), soit 162 sur 300. Le 18 février 2015, une seule députée de Syriza, Ioanna Gaitani, membre de la Gauche ouvrière internationaliste (DEA, courant de Syriza), s’était prononcée contre l’élection du président de la République, Prokopis Pavlopoulos, issu des sommets de la Nouvelle Démocratie. Le refus d’une transformation de la Coalition de la gauche radicale (Syriza) en une formation se soumettant aux diktats des créanciers – et de leurs institutions: BCE, FMI, Commission européenne et, actuellement, Mécanisme européen de stabilité (MES) – s’est élargi dans la foulée du résultat du référendum du 5 juillet (61,3% de NON).   

Pas d’understanding pour le respect des règles parlementaires

Depuis la mi-juillet, les différences d’orientation au sein de Syriza se traduisent par des «tensions organisationnelles», pour utiliser un euphémisme. Les attaques et diffamations des médias contre les opposants au cours gouvernemental se multiplient. Le silence maintenu de la direction de Syriza relève donc d’une complicité. Cette question fut l’enjeu d’un affrontement important lors du Comité central du 30 juillet.

Avant la convocation de la séance plénière du Parlement du 13 août, le gouvernement Tsipras a agressé la présidente de la Vouli, Zoé Konstantopoulou. En effet, elle exigeait le respect de règles élémentaires afin qu’un débat portant sur un texte de 387 pages – mis en ligne mercredi 12 août à 3h30 du matin – puisse avoir un semblant de «légalité parlementaire». Ce d’autant plus que des amendements de dernière minute n’ont pas cessé de tomber. Pour les soumettre au vote des parlementaires, le gouvernement Tsipras utilisa une interprétation fallacieuse qui lui a été fournie par l’ex-dirigeant du Pasok et bras droit d’Antonis Samaras, Evangelos Venizelos. La rupture entre la présidente du parlement et Tsipras est consommée publiquement. La presse grecque du 14 août en fait ses titres de premières.

Pour Tsipras, un seul impératif s’imposait: recevoir une première bénédiction partielle et provisoire de l’Eurogroupe, le vendredi 14 août. Ce qu’Euclide Tsakalotos, ministre des Finances, devait aller solliciter de suite à Bruxelles. Ce qu’il fit.

Comme lors de toute crise politique d’ampleur, les batailles portant sur le calendrier traduisent l’acuité des affrontements de classes à l’échelle du pays et de l’Eurozone. La convocation d’un Congrès de Syriza (en septembre) et d’élections anticipées (en octobre) s’inscrit dans la même perspective. S’y ajoutent des manœuvres visant à désorganiser le «front de l’opposition» face à de telles échéances. Ces deux derniers éléments représentent, en réalité, les deux faces d’une même médaille.

La constitution d’un mouvement social et politique contre le mémorandum

Les partisans du Non se revendiquent du Congrès de fondation de Syriza, du programme électoral présenté par Alexis Tsipras, en septembre 2014 lors de la Foire internationale de Thessalonique. A juste titre, ils refusent d’être caractérisés comme provoquant la rupture politique et organisationnelle de la Coalition de la gauche radicale (Syriza). Mais ils doivent faire face à une brutale campagne médiatique. Ils se doivent de riposter au projet du gouvernement Tsipras et de l’appareil exécutif de Syriza visant à transformer le «Congrès extraordinaire» de Syriza en un Congrès de refondation programmatique, en syntonie avec la politique actuelle. Des élections anticipées, dans un délai restreint, peuvent constituer une opération dressant des obstacles à la présentation électorale efficace d’un front politique qui traduirait, avec une certaine audience, le NON qui s’est exprimé le 5 juillet. Un NON qui, indépendamment des manœuvres de l’entourage de Tsipras (Dragasakis, Stathakis, Pappas), reste une référence pour celles et ceux rejetant le mémorandum.

Dès lors, une initiative a été prise le jeudi 13 août par diverses forces de la gauche représentées au parlement et extraparlementaires. Leur déclaration appelle à «la création d’un mouvement pour un non au nouveau mémorandum et pour une mobilisation dans l’ensemble du pays». Elle a été signée par des porte-parole de 13 courants et organisations, de taille fort différente, qui prônent une mobilisation pour faire obstacle à la politique du gouvernement Tsipras, car ce dernier marche sur les brisées des Papandréou (octobre 2009-novembre 2011), Papadimos (novembre 2011-mai 2012) et Samaras (juin 2012-janvier 2015).

On peut lire ce qui suit dans cette déclaration: «Les soussignés, représentant un large éventail de forces et d’organisations de la gauche, rejettent le troisième mémorandum présenté aujourd’hui au Parlement, appellent à de grandes luttes unitaires afin de renverser tous les mémorandums et imposer une nouvelle orientation progressiste pour le pays. La signature d’un nouveau mémorandum par un gouvernement qui a été élu pour abolir les deux précédents [2010 et 2012] équivaut à une catastrophe majeure pour le peuple grec et la démocratie. Le nouveau mémorandum signifie encore plus d’austérité, la restriction des droits des citoyens ainsi que la perpétuation du régime de tutelle imposé au pays. Le nouveau mémorandum est un renversement complet du mandat du peuple grec qui, lors du référendum du 5 juillet, a rejeté dans leur intégralité les politiques néolibérales d’austérité et de dépendance néocoloniale. Au cours des cinq dernières années, le peuple s’est opposé par tous les moyens possibles à la peur et au chantage et a lutté pour une Grèce souveraine, démocratique, reconstruite, juste et indépendante. Comme ce fut le cas pour les précédents, ce mémorandum doit trouver en face de lui la résistance la plus large d’une société réunie et déterminée. Nous continuerons dans la voie du 5 juillet jusqu’à la fin, jusqu’au renversement de la politique de mémorandums, avec une solution de rechange pour l’avenir, pour la démocratie et la justice sociale en Grèce.

»La lutte contre le nouveau mémorandum commence maintenant, avec la mobilisation du peuple dans toutes les régions du pays. Pour développer et gagner ce combat, il est nécessaire de mettre en place une organisation populaire à tous les échelons et dans tous les domaines sociaux.

»Nous appelons à la constitution d’un vaste mouvement politique et social dans l’ensemble du pays et à la création de comités de lutte contre le nouveau mémorandum, contre l’austérité et contre la mise sous tutelle du pays. Ce sera un mouvement unitaire à la hauteur des aspirations du peuple à la démocratie et à la justice sociale.»

Le 14 août, depuis les cercles gouvernementaux, la contre-attaque a été lancée. Elle vise d’abord Panagiotis Lafazanis, le leader du Courant de gauche et celui qui symbolise le refus de la mutation venizélienne (Venizelos, ex-dirigeant du Pasok) de Syriza et de son gouvernement.

L’accusation est simple: P. Lafazanis aurait pris l’initiative, avec cet appel, de mettre en place une structure organisationnelle en dehors de Syriza et cela avant le «congrès extraordinaire». Que cette affirmation n’ait rien à voir avec le contenu de la déclaration, peu importe. Sa fonction vise à déstabiliser des secteurs du centre gauche de Syriza (les 53+) qui s’opposent au mémorandum et, éventuellement, des adhérents de la plateforme de gauche. A cela s’ajoute la dépréciation des forces extraparlementaires signataires de l’appel. Ce qui revient à mettre en question les initiatives d’un secteur de Syriza opposé au troisième mémorandum au sein des syndicats (META). A quoi s’ajoutent des pointes contre des composantes d’Antarsya qui ont signé cette déclaration et se sont opposées dans le passé à Syriza.

Dans les deux mois à venir, pour autant qu’un scénario puisse être établi, le premier test socio-politique résidera dans le degré de renforcement de «comités du Non» aptes à stimuler une résistance, en priorité concernant les atteintes au pouvoir d’achat, aux retraites, à l’emploi, et aux services publics. Une approche développée par John Milios dans une brève contribution en date du 14 août. Ensuite, dans une situation très difficile et face à la volonté déterminée de déstabiliser et réduire au maximum l’influence du «camp du NON», doit encore être vérifiée pratiquement sa faculté de donner une expression politique à ses composantes aux trajectoires hétérogènes. Ce qui implique de dégager une perspective crédible en termes de propositions accessibles pour celles et ceux qui sont les cibles sociales de cette contre-révolution capitaliste que synthétise le troisième mémorandum. Une tâche nécessaire, mais rude, qui peut être relevée par celles et ceux qui, depuis des années, même lorsqu’ils étaient ignorés par «la gauche radicale européenne», ont su prendre le pouls de la société grecque. (14 août 2015)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*