Grèce. La grève et les mobilisations du 12 novembre 2015

pame-630_0Par Charles-André Udry

Ce jeudi 12 novembre 2015, un large secteur de la population grecque, sous diverses formes, participe déjà ou va participer à la journée nationale de grève et de mobilisation contre le troisième mémorandum (voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 10 novembre).

La journée de lutte et de grève a été appelée par la centrale syndicale du secteur public (ADEDY) et celle du secteur privé (GSEE). L’Unité populaire (UP) a été très active pour stimuler la mobilisation dans divers secteurs.

L’appel de l’Unité populaire

Dans son appel à la grève, le front qu’est l’UP déclare:

«Le gouvernement Syriza-Anel, avec l’application des mesures du troisième mémorandum et le vote au parlement de lois prioritaires, met en marche un tsunami de mesures contre la classe ouvrière et les couches populaires les plus pauvres.

»Le rapport de la Commission des «Sages» pour la réorganisation du système de la sécurité sociale constitue un authentique manifeste de type thatchériste, avec des accents anti-sociaux virulents, visant au démantèlement intégral de la sécurité sociale, à la suppression du système des allocations de retraite et à l’extrême paupérisation des retraité·e·s. Le gouvernement a attribué à la Commission des «Sages» le rôle d’éclaireur pour la destruction des droits de la sécurité sociale… telle que prévue avec la troïka dans le cadre du troisième mémorandum.

»L’extorsion par le biais des impôts [frappant les couches populaires] a atteint des niveaux inconnus antérieurement, la compression des salaires et des retraites, la suppression des contrats collectifs, les nouvelles attaques en préparation pour réduire à zéro les droits des travailleurs et les droits syndicaux, voilà la réalité et l’avenir qu’ils nous préparent.

»Le système de santé publique et éducatif sont mis en pièces. Les postes vacants dans les écoles de toute la Grèce ne sont pas remplacés. Dans les hôpitaux publics, de nombreux départements se retrouvent sans médecin et sans personnel soignant. Des hôpitaux sont menacés de fermeture.

»Les ports, les aéroports, le secteur de l’énergie, celui de l’eau sont en vente, au même titre que d’immenses territoires appartenant à l’Etat. Les expropriations, y compris celles de la maison ou logement principal, deviendront une réalité suite au fait que les «prêts dans le rouge» [endettement hypothécaire auprès des banques privées] seront transférés aux spéculateurs internationaux.

»La promesse anémique du gouvernement «d’adoucir» les dures mesures du mémorandum au moyen de contre-mesures sociales est en train de s’écrouler. Il n’existe aucune mesure compensatoire pour la hausse de la TVA à 23% pour l’enseignement privé [un secteur important en Grèce pour assurer la réussite au baccalauréat étant donné la dégradation du secteur public], pour couvrir le ticket d’entrée à l’hôpital de 5 euros. Le gouvernement n’a aucune solution ni mesure compensatoire pour atténuer la misère du peuple. Et cela parce qu’il n’a aucunement l’intention d’entrer en conflit avec les créanciers, avec l’UE, avec le capital national grec qui imposent les politiques mémorandaires.

»Les seules mesures susceptibles de battre les politiques d’austérité des mémorandums sont: l’imposition de la richesse concentrée, la nationalisation des banques [Banque nationale de Grèce, Eurobank, Banque Alpha, Banque du Pirée] et la renationalisation des organismes et entreprises publics qui ont été privatisés, l’arrêt des paiements aux créanciers, l’annulation de la dette et la sortie de l’Eurozone.

»Nous disposerons alors des liquidités nécessaires pour sauver les caisses de l’assurance maladie et des retraites, diminuer le chômage et financer l’éducation ainsi que la santé publique.

»Avec nos luttes, nous pouvons arrêter la politique d’austérité. Le succès de la grève générale du 12 novembre se doit d’être une tâche endossée par tous et toutes.»

La mobilisation et les failles dans la base de Syriza

Le KKE (PC) et son organisation de masse, le PAME, a aussi été fort actif pour la préparation de la journée de grève du 12 novembre. Des composantes d’Antarsya ont agi dans le même sens. De fait, sur le terrain, une dynamique d’action unitaire s’est dessinée et semble se concrétiser dans la matinée de ce 12 novembre.

Le sentiment populaire contre les mesures qu’implique le troisième mémorandum est vigoureux et cela seulement 50 jours après les élections.

Voilà qui explique que sur le site officiel de Syriza, le Ministère du travail indique que les mesures réclamées par les créanciers reviennent à «un théâtre de l’absurde». Et le texte continue: «Le combat des gens contre les politiques anti-sociales et néolibérales à l’extrême est encore plus dynamique. Nous affirmons nos droits fondamentaux au travail, à la restauration effective des contrats collectifs, au maintien du caractère social des assurances, à la défense de la maison principale [contre les expulsions], à des salaires et des retraites décents, à la santé et l’éducation pour tous.»

Cette déclaration publiée sur le site de Syriza apparaît comme un appel de la grève! Les médias grecs, depuis deux jours, n’ont cessé de dénoncer, avec une ironie amère, cette schizophrénie: d’un côté, le gouvernement Syriza-Anel et ses députés adoptent les lois découlant du troisième mémorandum, de l’autre côté, Syriza valide sur son site la mobilisation du 12 novembre. A la télévision publique, la porte-parole du gouvernement, Olga Gerovassili, a manifesté sa compréhension pour la grève. Elle a reconnu que les citoyens et citoyennes souffrent et résistent en conséquence. Et elle a insisté sur le fait que ce gouvernement doit mettre en place des mesures qu’il considère comme injustes! Ce que laisse entendre, à plusieurs reprises, le ministre des Finances, Euclide Tsakalotos. Et le quotidien Avgi de Syriza – comme le Quotidien des rédacteurs – se doit de reconnaître que les options divergent dans la base de Syriza.

Il serait erroné de limiter la lecture d’une telle déclaration comme une simple manœuvre. Ce qu’elle est, certes. Il faut appréhender le texte placé sur le site de Syriza ou la déclaration de la porte-parole du gouvernement non seulement comme l’expression de l’ampleur du malaise et du mécontentement social, mais aussi comme une volonté de freiner l’hémorragie des effectifs du Syriza mémorandaire. D’où l’importance pour l’Unité populaire de continuer à s’adresser pédagogiquement à la base militante de Syriza qui, sous le choc des mesures d’austérité, est apte à rejoindre des luttes et à converger dans les rangs d’un front anti-austérité tel que l’exprime politiquement l’Unité populaire.

Le matin du 12 novembre, les médias sont muets étant donné la grève des journalistes. Vingt-six vols ont été annulés. Les transports et les bateaux sont à l’arrêt dans tout le pays. Le secteur public est quasi à l’arrêt. Les écoles et les universités ont fermé. Les banques aussi. Les hôpitaux assurent un service minimum.

Parmi les mesures qui suscitent la plus large désapprobation est le risque de perdre son logement principal pour une famille ayant une dette hypothécaire et ne pouvant la payer, y compris pour des ménages ne disposant que de 8000 euros annuels. Le gouvernement Tsipras tente de «résoudre» le problème en proposant un étalement des remboursements sur 100 versements. Mais les experts de l’Eurogroupe s’y opposent. Et ils menacent de ne pas libérer la «tranche d’aide» de 2 milliards qui devrait servir à recapitaliser les banques.

Cette première grève face au gouvernement Syriza-Anel est d’une importance politique qui va bien au-delà des frontières de la Grèce, d’autant plus lorsqu’on est attentif aux négociations en cours au Portugal à propos d’un possible gouvernement du Parti socialiste, soutenu par le PCP et le Bloc de gauche. A quoi s’ajoutent, dans l’Etat espagnol, la question nationale de Catalogne et l’échéance politico-électorale du 20 décembre. (12 novembre, 10h30)

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PS. L’ampleur de la journée de mobilisation en Grèce a été remarquable. D’autant plus si l’on a à l’esprit qu’il s’agit du premier jour de lutte face à un gouvernement dit «de gauche», mis en place depuis le 21 septembre 2015. A Athènes, les manifestations ont réuni entre 35’000 et 45’000 personnes. Le chiffre est difficile à établir, pour l’heure. La manifestation organisée par le PAME (front de masse syndical du KKE) a rassemblé quelque 50% des manifestant·e·s. Le tronçon de l’Unité populaire réunissait quelque 7000 personnes, ce qui est supérieur à ce qui était envisagé. Un secteur des membres de Syriza s’est intégré dans les rangs de META, la gauche de la confédération du public (ADEDY). Par contre, aucune «personnalité» de Syriza (parlementaire, etc.) ne défilait.

Les composantes d’Antarsya marquaient aussi leur présence militante. Le secteur privé était présent, mais de manière beaucoup plus limitée. Les divers cortèges – le PAME-KKE manifeste toujours séparé – se sont rejoints sur la place Syntagma (de la Constitution).

La grève, proprement dite, sur les lieux de travail, était suivie par environ 30% en moyenne des salarié·e·s, avant tout dans le public. A noter la présence dans diverses petites villes de paysans qui, frappés par les coupes dans les subventions et la hausse conjointe des impôts sur les intrants, commencent à se joindre aux salarié·e·s. Des manifestations de paysans sont prévues pour la semaine prochaine. Une autre échéance, politique, se profile: le 17 novembre 1973, la junte militaire ordonnait l’évacuation de Polytechnique en utilisant les blindés, faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés. C’était le début du soulèvement grec contre la dictature. La commémoration, en ce mois de novembre 2015, sera une date politiquement importante, entre autres pour tout un secteur de la jeunesse étudiante.

Comme l’ont souligné les animateurs du Red Network (et de DEA), le sentiment d’opposition à la mise en application des divers articles découlant du 3e mémorandum s’élargit et s’est matérialisé, une première fois, ce 12 novembre. Dans les jours à venir le parlement (Vouli) va adopter une série de lois, sur les retraites, sur l’expulsion du logement principal en cas de non-paiement des arriérés de dette hypothécaire. Or, le nombre de chômeurs s’élève officiellement à 1,24 million et le nombre de retraités à 2,65 millions. Plus de 350’000 familles ne disposent d’aucun membre ayant un revenu. Parmi ceux qui disposent d’un emploi, 500’000 travaillent à temps partiel (contraint) avec un salaire moyen de 346 euros (Ta Nea, du 9 novembre 2015 et Demokratia, du 10 novembre 2015). Paupérisation de masse et exode sont deux traits sociaux marquants de la situation. Le rythme de la riposte sociale et son élargissement sont décisifs, après 7 ans de récession. (12 novembre, 20 heures).

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