Grèce. Des caresses et des gifles… pour tout faire accepter

000c45db-642Par Giannis Kimpouropoulos

La «tactique pédagogique» des créanciers face au gouvernement grec ne lui permet pas de reprendre son souffle, y compris durant l’été. La loi française – dite loi Travail ­– est le modèle qui sera l’objet principal de l’agenda difficile propre à la deuxième évaluation par les créanciers du programme «d’ajustement» grec.

Le gouvernement a raison de considérer que la fin de la première évaluation est un moment critique. Non pas critique pour le «retour à la croissance», mais critique en tant que point de non-retour. Ayant abandonné même la rhétorique sans issue des «lignes rouges» – avec la sanction par le parlement des exigences de la première évaluation – le gouvernement Syrisa-ANEL (Grecs indépendants) a revendiqué la «propriété» du troisième mémorandum. Il a embrassé l’essence du mémorandum, le triptyque: austérité-privatisations-dérégulation.

La «tactique pédagogique» des créanciers se manifeste être sans défaut. Des caresses et des gifles. Réprimandes et récompenses. Et le contraire! Ces derniers deux mois, le gouvernement arrive à la source… sans pouvoir boire. Il se peut que les créanciers européens aient été obligés de trouver un accord entre eux, pour terminer l’évaluation grecque [7,5 milliards en juin et 2,8 milliards en automne… retournant dans les poches des créanciers, décision finale prise le 16 juin par le Mécanisme européen de stabilité], afin d’éviter de polluer le référendum [Brexit] au Royaume-Uni. Mais ils n’ont pas traité de manière doucereuse le gouvernement Syriza-ANEL. Les douches froides récentes – le fait que le BCE ne réintègre par la Grèce dans ses achats d’obligations sur le marché et le fait que le groupe de travail de l’Eurogroupe a donné au gouvernement grec un délai de 24 heures pour satisfaire la dernière exigence avant l’approbation du versement des 7,5 milliards ­– prouvent que le rituel humiliant des évaluations continue: les faire traîner jusqu’à la dernière minute avant d’effectuer les paiements planifiés depuis longtemps pour rembourser la dette. Car, après tout, c’est le but principal des versements.

L’exemple des armateurs

La tactique de l’épuisement remplit d’angoisse le temps de stabilisation – relative – gagné par le gouvernement Tsipras. Cela devient apparent au travers des informations, déjà divulguées, concernant les exigences en vue de la deuxième évaluation, qui interviendra en septembre [et conditionne le versement des 2,8 milliards]. Malgré les efforts frénétiques des cadres du gouvernement de nier les informations divulguées, ce qui s’annonce possède la tonalité habituelle du néolibéralisme des prêteurs qui veulent déréguler les relations de travail. Et il ne s’agit pas simplement des «obstinations du FMI» [1].

Le pire est que ces idées reflètent aussi celles devenues désormais dominantes au sein du groupe dirigeant du gouvernement qui veut réussir «la croissance à tout prix». Récemment, le premier ministre a salué la fête des armateurs grecs, les «Poséidonia». Rappelons donc un extrait de son discours: «La façon dont les Grecs ont réussi à prendre l’avantage [à l’échelle internationale] dans le secteur de la marine marchande constitue pour nous un exemple à suivre.» Chacun sait que cet «avantage» n’est pas le résultat seulement de l’exemption du paiement des impôts pour les armateurs, mais aussi le résultat de la dérégulation systématique des relations de travail dans ce secteur pendant les derniers vingt ans, c’est-à-dire bien avant les mémorandums.

«Le minimum de ce qu’il faut faire…»

Le triptyque conventions collectives-licenciements collectifs-loi sur les droits syndicaux, qui est le sujet critique de l’évaluation suivante, ne permet pas au gouvernement d’espérer jouir d’un été calme. Le terrain est déjà rendu extrêmement périlleux suite au troisième mémorandum lui-même. En effet, il mentionne que «les changements en ce qui concerne le marché du travail ne devront pas signifier le retour à des politiques qui ne sont pas compatibles avec le but d’une croissance inclusive et durable».

Le gouvernement a investi sur les dites «meilleures pratiques européennes et internationales», mentionnées aussi dans le mémorandum, et qui sont en train d’être étudiées par une équipe de huit «experts» qui vont conclure à quelque chose de similaire à la loi Travail qui a provoqué en France, durant les derniers trois mois, les plus fortes mobilisations de la jeunesse et des syndicats depuis l’époque de Sarkozy. Car la loi «El Khomri» est la norme pour les créanciers, même pour ceux qui sont les plus «amicaux» face au gouvernement, comme le prétend être la Commission européenne.

Juncker a exprimé son soutien à Athènes dans la phase la plus critique du thriller de l’évaluation: «A voir les réactions que suscite, en France, la «loi Travail», je n’ose pas m’imaginer quelle aurait été la réaction de la rue, à Paris ou à Marseille, si votre pays avait dû appliquer des réformes comme celles qui ont été imposées aux Grecs. Alors que la réforme du droit du travail, voulue et imposée par le gouvernement Valls, est le minimum de ce qu’il faut faire…» (Le Monde, 20 mai 2016)

Un « socle » européen de dérégulation

Le commentaire de Juncker n’est pas accidentel. La loi française du travail résulte de l’application directe du cadre commun respectif avancé par la Commission à l’échelle européenne. Le dit «socle européen des droits sociaux», lancé en consultation publique avec l’ambition qu’il soit adopté jusqu’à la fin de l’année, menace les relations de travail et la sécurité sociale partout en Europe. La synchronisation entre la loi française et le «socle» européen et la deuxième évaluation grecque de septembre 2016 signifie que cette dernière ne sera pas facile pour le gouvernement Syriza-ANEL. En fait, elle pourrait tenter le FMI «obstiné» de rester partie prenante du programme grec, une question qui devrait trouver une réponse jusqu’à la fin de l’année [2]. (Article publié dans le bimensuel de DEA. Traduction de Sotiris Siamandouras; édition A l’Encontre)

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[1] Selon la presse grecque, le salaire minimum – actuellement fixé à 586 euros brut et à 510 euros pour les salarié·e·s en dessous de 25 ans – pourrait devenir un salaire de référence pour toute une «carrière professionnelle» et le salaire pourrait être fixé en dehors de tout contrat collectif. Jusqu’en 2011, le salaire minimum était de 200 euros au-dessus du seuil actuel. Les 13e et 14e salaires seront abolis. Aucune restriction ne devrait limiter les licenciements de masse. Le droit de grève sera mis en cause. La flexibilité sera accrue: «contrat d’urgence» d’une heure; contrat de quelques heures, etc. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Le FMI indique que les objectifs des institutions européennes, qui se matérialisent dans le troisième mémorandum, sont sans rapport avec la réalité de la situation économique de la Grèce. L’exigence d’un excédent primaire (avant le service de la dette) de 3,5% dès 2018 est, selon lui, irréaliste. De plus, le stock de la dette est maintenu, alors que le FMI propose une réduction. Donc, a priori, une sorte de convergence devrait exister entre le FMI et le gouvernement Tsipras. Or, la stratégie de Tsipras consiste, au cours des négociations avec l’UE et de ses composantes – dans le climat actuel de crise de l’UE –, à chercher à adoucir les contre-réformes et éclaircir l’horizon à l’échéance politique de 2019. Or, si le FMI se dit prêt à des concessions sur le stock de la dette, il apparaît aux yeux du gouvernement Tsipras comme «plus dur» pour ce qui est des contre-réformes à mettre en place dans des délais rapides. Le FMI acteur de l’évaluation serait donc pour Tsipras un allié de l’austérité à la Schäuble, une fois des concessions secondaires sur la dette faites. (Rédaction A l’Encontre)

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