Royaume-Uni. L’évacuation des camps de sans-abri a triplé. Des ONG alertent sur une crise «hors de contrôle»

Steve de Stepney Green et David de Belfast vivent dans un camp à Northampton sur un site abandonné de gare routière. Photographie: Sean Smith/The Guardian

Par Sarah Marsh
et Patrick Greenfield

Les chiffres montrent que les autorisations de campement par les autorités locales à travers le Royaume-Uni ont augmenté en flèche au cours des cinq dernières années.

Le nombre de camps de sans-abri éliminés de force par les conseils municipaux du Royaume-Uni a plus que triplé en cinq ans, selon les chiffres, ce qui incite les militants à mettre en garde contre le fait que la crise des sans-logis est hors de contrôle et est devenue une partie intégrante de la vie dans ce pays.

Des tentes, des structures en carton et un abri de jardin faisaient partie des centaines de campements de sans-abri démolis par les autorités locales au cours des cinq dernières années, le nombre de campements de tentes étant passé de 72 en 2014 à 254 l’année dernière.

254 campements de sans-abri ont été éliminés par les conseils municipaux l‘année dernière,
182 de plus qu’en 2014

Les organismes de bienfaisance affirment que l’évacuation des camps est le symptôme d’un grave problème de SDF, causé par les changements apportés à l’aide sociale, le manque de services de soutien adéquatement financés et les logements insalubres. Les militants ont critiqué les autorités pour leur approche autoritaire. Certains conseils s’emparent des tentes et font même payer leur restitution.

A Brighton, qui abrite la deuxième plus grande population de sans-abri d’Angleterre en 2017, les autorités locales demandent 25 livres sterling pour une tente confisquée. Dans l’East Dorset, le montant est de 50£.

Le conseil municipal de Brighton a déclaré que la somme de 25£ était annulée si les articles étaient «réclamés par quelqu’un qui avait besoin de ses biens et qui était incapable de payer à cause de son statut de SDF». Le conseil d’East Dorset s’est refusé à tout commentaire.

Des chiffres distincts obtenus par le Guardian montrent que les plaintes adressées aux conseils concernant les campements de sans-abri ont augmenté de 448% en cinq ans, passant de 277 en 2014 à 1241 en 2018, augmentant d’année en année, avec une forte croissance en 2016 et 2017. Dimanche, une femme d’une trentaine d’années a été retrouvée morte dans un campement de sans-abri au centre-ville de Leeds.

 

L’an dernier, 1241 plaintes ont été déposées auprès des conseils municipaux au sujet de ce qu’on appelle les villages de tentes

 

Le nombre de personnes vivant dans des camps de fortune au Royaume-Uni n’est pas enregistré comme une statistique spécifique. L’autorité britannique d’établissement des statistiques a averti qu’il ne fallait pas se fier aux chiffres officiels concernant le nombre de personnes dormant dans la rue, bien qu’ils visent à inclure les personnes dormant dans des tentes et des abris. Et les chiffres obtenus grâce à des enquêtes indépendantes suggèrent que le problème est de plus en plus important.

Matthew Downie, directeur de la politique et des affaires extérieures de l’ONG Crisis, a déclaré que les résultats n’étaient pas surprenants. «Nous savons que le nombre de personnes dormant dans la rue sous des tentes a augmenté de 165% depuis 2010», a-t-il déclaré.

Il a ajouté: «Nous avons maintenant atteint des niveaux sans précédent d’exclusion liée au logement en Angleterre. La hausse est hors de contrôle… Nous en sommes au point où, municipalité par municipalité, les gens luttent pour savoir quoi faire, surtout quand il n’y a pas assez de logements abordables.»

Au Royaume-Uni, les conseils municipaux ont eu recours à toute une série de pouvoirs légaux, souvent appliqués par le biais d’ordonnances judiciaires, pour évacuer des centaines de camps de sans-abri entre 2014 et 2018 avec l’aide de la police. Le Guardian a également demandé à toutes les forces de police du Royaume-Uni combien de fois des ordres de dispersion avaient été utilisés pour évacuer les camps de sans-abri, mais toutes les forces ont déclaré qu’il faudrait trop de temps pour recueillir les données.

Matthew  Downie a déclaré que les modalités d’évacuation n’étaient pas bonnes. «L’idée d’une action de dispersion et d’application de la loi contre les personnes sans domicile et démunies n’est pas simplement la mauvaise chose à faire sur le plan moral, mais pratiquement elle est aussi la moins utile à mettre en œuvre. Cela pousse les gens plus loin dans la misère et les rend plus susceptibles de passer plus de temps dans la rue.»

Au cours de l’année écoulée, des campements de différentes tailles ont été signalés dans des villes et villages tels que Peterborough, Brighton, Bristol, Milton Keynes, Cardiff, Manchester, Leeds, Londres et Northampton.

A Northampton, le père Oliver Coss héberge un groupe de tentes dans ce qui servait de cimetière derrière l’église All Saints à Mercers Row depuis novembre 2018. Ce qui a commencé comme trois tentes est devenu 11 quand le campement était à son plus point le plus élevé il y a environ un mois. Aujourd’hui, environ cinq personnes y séjournent dans trois tentes, dont une quatrième est inoccupée.

Mais Coss a récemment pris la décision de demander à ceux qui vivent dans des tentes de partir après qu’ils eurent refusé d’accepter les offres de soutien du conseil municipal, qui leur donnait un préavis de 28 jours. Il a dit que c’était une décision difficile à prendre, mais qu’il estimait qu’il valait mieux soutenir ceux qui vivent au sein de l’église. «Nous avons pris notre décision actuelle parce qu’il nous a semblé difficile d’avoir un échange sur le fait de partir, parce que le camp était apparemment sûr et qu’il était installé de manière régulière, et nous avons donc saisi l’occasion d’engager un processus juridique léger et de signifier la décision aux gens, en leur donnant 28 jours pour s’en aller», a dit Coss.

Et d’ajouter: «Etre dans la rue, c’est avoir une culture et une résilience particulières pour survivre et cela passe par le rythme de la rue… Nous pensons que [ces gens] valent plus qu’une tente dans un cimetière quelque part.»

L’un des résidents du cimetière est Paul, 52 ans, qui est devenu sans-abri lors d’une séparation. «Je suis ici depuis presque quatre semaines. Je suis sans abri depuis 2013 et j’ai fait des allers-retours en prison. On nous a dit qu’on avait 28 jours pour partir, mais c’est la seule maison qu’on a.»

 

Frais de restitution des tentes et des biens confisqués

Il a ajouté: «Nous avons beaucoup de problèmes sociaux et de dépendances. On veut juste sortir de la réalité et se défoncer ou se soûler. Il y a trop de règles dans les refuges et elles vous menacent d’expulsion. Autant être dans une tente et faire mes propres règles.»

Le conseil d’arrondissement de Northampton a indiqué que tous les habitants de la rue de la région s’étaient vu offrir un soutien et qu’il consacrait des ressources supplémentaires pour soutenir les services aux sans-abri.

Stephen Robertson, directeur général de la Big Issue Foundation, a déclaré: «Cette situation de plus en plus alarmante est le résultat d’une pensée binaire au plus haut niveau. Les antécédents de notre gouvernement en matière de construction d’un nombre annuel acceptable de logements sociaux abordables sont bien documentés; la demande dépasse largement l’offre, ce qui entraîne un manque de logements pour les personnes sans abri.

»La croissance des communautés vivant dans la rue est maintenant évidente dans tout le pays, à tel point qu’elle s’est suffisamment normalisée pour faire l’objet d’un épisode dans la série Coronation Street il n’y a pas si longtemps. Il n’est pas étonnant que le public soit profondément bouleversé par ce qu’il voit.

»Les gens vivent de plus en plus dans des tentes non pas parce qu’ils ont un nouvel enthousiasme pour le camping. Ils sont forcés de créer des communautés dans la rue parce que le gouvernement et les décideurs politiques refusent catégoriquement de répondre à ces questions et de saisir les occasions qui s’offrent à eux pour mettre un terme à une crise humanitaire.»

Le Guardian a demandé à tous les conseils du Royaume-Uni combien de campements de sans-abri avaient-ils évacué depuis 2014, combien de plaintes avaient-ils reçues concernant les campements et des détails sur les frais pour la restitution des tentes et des biens confisqués. Un campement était défini comme un endroit où une ou plusieurs personnes sans abri vivaient dans la région sur des terres privées ou publiques. Trois cent trente-six autorités locales ont répondu à la demande.

En réponse aux chiffres sur les camps pour sans-abri, un porte-parole du ministère du Logement, des Communautés et des Gouvernements locaux a déclaré que le gouvernement était en train de fournir cette année des centaines de lits supplémentaires et du personnel de soutien pour les SDF, et un financement supplémentaire de 100 millions de livres pour éradiquer l’exclusion extrême due à l’absence de logement.

L’Association des collectivités locales a déclaré que les mesures d’application de la loi n’étaient qu’un dernier recours et que les conseils adoptaient toujours une approche équilibrée lorsqu’ils traitaient avec les habitants de la rue, affirmant également qu’un déficit de financement de 421 millions de livres d’ici 2024-25 entravait leurs efforts pour prévenir la croissance du nombre de sans-abri. (Article publié dans The Guardian, dans sa version datée du 18 juin 2019; traduction A l’Encontre)

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