I. L’uranium et la Suisse

Charles-André Udry

Au cours de l’année 2006, la presse anglo-saxonne avait soulevé un lièvre: un chargement d’uranium, illégalement extrait de la République démocratique du Congo (RDC) aurait transité par le territoire de la Confédération helvétique. Direction: l’Iran.

Othmar Wyss des Contrôles à l’exportation et sanctions, au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), a toujours répondu qu’un trafic de la sorte ne lui a pas été signalé (sic). Par contre, il doit admettre que «des importations en Suisse, qui sont en destination des centrales nucléaires. Les exportations suisses concernent le traitement des déchets radioactifs». On exporte par précaution…

Tous ces mouvements sont censés se faire sous «haute surveillance», des inspecteurs de l’AIEA. Quelles en sont les quantités ? L’administration fédérale des douanes fournit une statistique: entre 1 et 45 kilos d’uranium sont importés en Suisse ces dix dernières années. Un mystère: il faut plus de 300 tonnes annuelles pour servir de combustible aux centrales nucléaires helvétiques…

Au cours des années 1980, en «pleine guerre froide», qui justifiait la surveillance policière des citoyens, des dizaines de tonnes d’uranium sur le marché soviétique. De plus, la Suisse (plus exactement un certain nombre de sociétés bien protégées sur tous les plans) importe de l’uranium appauvri ou du plutonium, pour les réexporter ensuite à l’étranger.

L’expert français en sûreté nucléaire Pierre Tanguy reconnaît qu’en ce qui concerne l’uranium, depuis la création de l’AIEA en 1957, «le secret industriel s’est maintenu comme dans toute autre industrie».

L’absence d’un véritable contrôle indépendant, dont les résultats seraient rendus publics, a permis à la Suisse de constituer des stocks stratégiques: 1609 tonnes d’uranium naturel, 1422 tonnes d’uranium enrichi.

Ces données sont fournies à par Leo Scherer, de Greenpeace (Zurich), sur la base d’un rapport de l’OCDE couvrant la période 2005-2006.

Prévoyantes, les autorités fédérales auraient constitué l’essentiel des réserves à une époque où les prix étaient au plus bas, avec de l’uranium obtenu entre autres sur les marchés captifs de Namibie, les marchés sensibles du bloc de l’Est, ou de pays frappés d’embargo, à l’époque, comme l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid.

Soyons certains que les firmes helvétiques importatrices et exportatrices (comme plaques tournantes) l’uranium ont toujours fait très attention aux conditions de travail de ceux et celles qui l’extraient et le traitent, et du «réaménagement des sites», spécialement quand cela est en Afrique.

Gilles Labarthe de l’agence DATAS écrivait fin 2006: «L’historien Peter Hug note qu’en plein régime d’apartheid, le gouvernement suisse a bénéficié d’importations d’uranium «facilitées» dans le contexte d’une coopération militaire très étroite avec Prétoria. Des transactions «grises» auraient également été effectuées avec la Namibie, une ex-colonie de l’Afrique du Sud. Enfin, divers «trafics de matériel nucléaire avec les pays de l’Est» ont fait l’objet d’interventions parlementaires à Berne. L’existence d’une «mafia de l’uranium en Suisse» opérant parfois avec la complicité des services secrets suisses a aussi été dénoncée par des députés, pour des affaires concernant la découverte de lots mystérieux (10 kilos d’uranium naturel retrouvés en 1993 sur une aire de repos d’autoroute vers Zurich, 50 kilos retrouvés en 1989 dans un hôtel autrichien, proche de la frontière suisse).»

Rien à cacher… de ce qui se sait déjà

La Suisse coopère avec l’AIEA. D’ailleurs en juillet 2006 (protocole additionnel), les choses sont «réglées». Plus précis, on est vitrifié. Ainsi, la Suisse fournit: «Des renseignements indiquant l’emplacement, la situation opérationnelle et la capacité de production annuelle estimative des mines et des usines de concentration d’uranium ainsi que des usines de concentration de thorium et la production annuelle actuelle de ces mines et usines de concentration pour la Suisse dans son ensemble. La Suisse communique, à la demande de l’Agence, la production annuelle actuelle d’une mine ou d’une usine de concentration déterminée. La communication de ces renseignements n’exige pas une comptabilisation détaillée des matières nucléaires.

vi) Les renseignements ci-après sur les matières brutes qui n’ont pas encore une composition et une pureté propres à la fabrication de combustible ou à l’enrichissement en isotopes:

a) Quantités, composition chimique, utilisation ou utilisation prévue de ces matières, que ce soit à des fins nucléaires ou non, pour chaque emplacement situé en Suisse où de telles matières se trouvent en quantités excédant dix tonnes d’uranium et / ou vingt tonnes de thorium, et pour les autres emplacements où elles se trouvent en quantités supérieures à 1 tonne, total pour la Suisse dans son ensemble si ce total excède dix tonnes d’uranium ou vingt tonnes de thorium. La communication de ces renseignements n’exige pas une comptabilisation détaillée des matières nucléaires.»

Puis, la Suisse indique les «Quantités, composition chimique, emplacement actuel et utilisation ou utilisation prévue de chaque importation en Suisse de telles matières à des fins expressément non nucléaires en quantités excédant:

1) Dix tonnes d’uranium, ou pour des importations successives d’uranium en Suisse, dont chacune est inférieure à dix tonnes mais dont le total dépasse dix tonnes pour l’année;

2) Vingt tonnes de thorium, ou pour des importations successives de thorium en Suisse, dont chacune est inférieure à vingt tonnes mais dont le total dépasse vingt tonnes pour l’année; étant entendu qu’il n’est pas exigé que des renseignements soient fournis sur de telles matières destinées à une utilisation non nucléaire une fois qu’elles se présentent sous la forme voulue pour leur utilisation finale non nucléaire

L’uranium, une matière qui grimpe

Or, dans le contexte actuel (prix du pétrole, effets polluant du charbon) le nucléaire reprend des forces. Sa disgrâce se termine, ou plus exactement un effort important est effectué pour cela. Le communiqué de presse du G8 réuni à Saint-Pétersbourg (15-18 juillet 2006) a explicitement confirmé la priorité attribuée au développement des sources d’énergie nucléaire, comme alternative aux combustibles fossiles.

Les effets ont été constatés de suite. Le cours des actions des producteurs d’uranium est à la hausse, le cours s’enrichit, pas seulement l’uranium. En 1995, le prix du kilo se situait à quelque 23 euros. En 1996, il dépasse la barre des 40 euros, puis redescend jusqu’en 2003. Depuis, le kilo d’uranium (extrait de la mine) passe de 40 euros à 183,1 euros en 2007. Il n’a jamais été aussi élevé depuis 1968. (source The UX Consulting Company). Le parc mondial de réacteurs nucléaires, en fonction, compte 435 unités ; de plus 28 centrales sont en construction et 64 sont planifiées. La World Nuclear
Association (WNA) compte 158 projets en préparation. Les pays qui en regroupent le plus sont la Chine et les Etat-Unis.

D’ailleurs, anticipant ce tournant, le groupe japonais Toshiba a annoncé son intention de racheter Westinghouse, fabricant américain de réacteurs nucléaires.Toshiba a en vue un objectif: le gouvernement chinois va investir des sommes colossales dans la construction de centrales atomiques sur les vingt à trente prochaines années; un marché gigantesque s’ouvre. Le voyage du premier ministre Abe en Chine, en octobre 2006, traduit, entre autres, cette accélération des relations économiques et des investissements japonais en Chine. L’Asie est certainement le continent où les programmes du nucléaire civil vont connaître le plus grand essor.

Il ne fait pas de doute que le marché de l’uranium va affronter des goulots de production. Ils sont liés à des délais réglementaires plus prolongés, que pour d’autres sites de production de matières premières, afin d’exploiter de nouveaux gisements. Les délais vont être contractés. Aucun doute à ce sujet. Et les populations et les travailleurs vont en payer le prix.

La disgrâce du nucléaire, depuis les années 1980, a de même provoqué un certain retard dans la mise en place de nouvelles technologies d’extraction et les coûts de production sont, actuellement, à la hausse. Ainsi se combinent des stocks insuffisants et une production (35’000 tonnes par an) inférieure à la demande.

Enfin, les travailleurs de ce secteur sont conscients que le rapport de forces en leur faveur, étant donné le marché tendu (offre-demande), peut leur permettre d’exiger des salaires moins misérables. D’où le «danger» de grèves – ou bien de grèves effectives – dénoncé, déjà, par les producteurs. Les restrictions environnementales sont considérées comme trop «rigides». Elles seront «flexibilisées».

Actuellement, l’essentiel de la demande émane de l’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis. Mais la Chine va la faire exploser. Sous cette impulsion, la demande mondiale d’uranium va croître très vite. Et l’Inde va suivre. Et pourquoi pas le Brésil de Lula ? L’uranium est un bon placement. La plaque tournante helvétique va tourner plus vite et les traders, qui ont le siège de leurs firmes établi à Zoug ou à Genève, vont s’activer. Ils le font déjà.

Quelques grands producteurs canadiens et australiens dominent encore le marché. Toutefois, partout, fleurissent des nouveaux producteurs ou des sites ouverts par des grandes firmes, sous-traitées afin d’éviter les répercussions gênantes provoquées par des «déboires» environnementaux et / ou des accidents.

C’est donc un marché oligopolistique: 82 % de l’uranium est aux mains de huit sociétés, parmi lesquelles trois ont un rôle majeur: la canadienne Cameco; la britannique Rio Tinto et la française Areva. Donc les prix sont négociés, une fois par année, entre un nombre réduit de vendeurs et d’acheteurs. Vive la concurrence ! Certes, lors de ces négociations, les producteurs-vendeurs peuvent pousser les prix à la hausse. Dans les années qui viennent, les cours de cette matière très première ne vont pas atteindre le ciel, mais des hauteurs

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II. Les conditions d’exploitation de l’uranium par les filiales d’AREVA… et les normes ISO

CRIIRAD

L’exploitation des mines d’uranium constitue une des étapes les plus polluantes du cycle du combustible nucléaire non seulement pendant l’exploitation, mais également longtemps après la fermeture et le réaménagement des sites. En effet, l’extraction de l’uranium entraîne la dispersion dans l’environnement de matières radioactives et la constitution de stocks de déchets à très longue durée de vie.

AREVA [1], la contamination durable en France

Les différentes études conduites par le laboratoire de la CRIIRAD depuis plus de 15 ans montrent que, sur le territoire français, des problèmes radioécologiques sont rencontrés systématiquement sur les anciens sites d’extraction d’uranium et que les maigres progrès enregistrés ne le sont que sous la pression des associations de protection de l’environnement. En France, la CRIIRAD découvre des situations de pollution ou de violation de la réglementation chaque fois qu’elle réalise des contrôles à proximité de sites dépendants du groupe AREVA NC.

Ce fut encore le cas ces derniers mois à Malvesi (Aude – usine COMURHEX qui reçoit tous les concentrés uranifères traités en France), à Saint-Pierre (Cantal – ancienne mine et usine d’extraction de l’uranium) ou à Gueugnon (Saône et Loire – ancienne usine CEA- COGEMA qui a reçu en son temps les préconcentrés uranifères en provenance du Gabon)

Et à l’étranger

La France est totalement dépendante en termes d’approvisionnement en uranium. La dernière mine d’uranium située sur le territoire français a fermé en 2001. Actuellement, pratiquement tout l’uranium utilisé en France provient de l’étranger. L’uranium qu’a produit le groupe AREVA NC en 2005 (plus de 6000 tonnes d’uranium soit 10 % de plus qu’en 2003) provient de sites situés à l’étranger, principalement au Canada, au Niger et au Kazakhstan.

SHERPA [2], Médecins du Monde et la CRIIRAD ont rendu publics le 4 avril 2007, à Paris, les résultats des enquêtes menées depuis 2003, en Afrique, en collaboration avec des ONG locales regroupant d’anciens travailleurs des filiales d’AREVA en charge de l’exploitation de l’uranium au Niger et au Gabon. Il est apparu que les informations données par AREVA sur l’impact environnemental et sanitaire de ses activités ne rendent absolument pas compte de la réalité.

Les problèmes concernent aussi bien les sites en cours d’exploitation (Niger) que les sites réaménagés (Gabon).

Le Gabon

Le CEA (Commissariat pour l’énergie atomique, France) puis la COGEMA [Compagnie générale des matières nucléaires, jusqu’au 1er mars 2006; aujourd’hui AREVA NC, soit Nuclear cycle], ont exploité à travers la société COMUF plusieurs gisements d’uranium au Gabon, à Mounana, entre 1958 et 1999.

AREVA a annoncé en 2007 sur son site web que le réaménagement du site de Mounana était terminé. Il s’agit du «premier réaménagement en forêt équatoriale conforme aux standards internationaux. La qualité du réaménagement a été confirmée par quatre missions de l’AIEA [Agence internationale pour l’énergie atomique] effectuées de 2001 à 2006 pour le compte du gouvernement gabonais».

A partir de l’enquête conduite sur place par SHERPA, en juin 2006,, des témoignages d’anciens travailleurs Gabonais et d’expatriés, et des documents consultés par la CRIIRAD, il ressort que:

• La protection des travailleurs n’était pas correctement assurée (formation et information sur les risques très insuffisantes, situations avec exposition à des poussières radiotoxiques sans port de masque respiratoire adapté).

La CRIIRAD rappelle que de l’uranate à 75 % d’uranium présente une activité en uranium de 19 millions de Becquerels par kilogramme, sans compter les premiers descendants radioactifs de l’uranium 238 et 235.

L’inhalation de seulement 0,006 et 0,12 gramme de poussière d’uranate pourrait alors conduire à dépasser la dose maximale annuelle admissible actuellement en vigueur respectivement pour les personnes du public et les travailleurs du nucléaire (coefficients de la directive Euratom 96 / 29). Cela correspond à l’inhalation de respectivement 17 et 329 microgrammes par jour sur l’année.

Dans ces conditions, le travail au contact de ces matières radioactives sans masque, sans gants, sans information sur les risques et sans précautions élémentaires (ne pas manger, ne pas fumer, à proximité de ces matières) conduit à des risques de contamination interne très élevés.

A ces risques de contamination interne, il faut ajouter les risques liés à l’exposition externe. Des mesures réalisées par le laboratoire de la CRIIRAD en septembre 2006 au droit du parc de stockage des concentrés uranifères de l’usine COMURHEX-AREVA de Malvési (Aude) ont montré que l’excès de rayonnement gamma est mesurable à plus de 200 mètres au droit de la clôture.

• Le suivi médical était inadapté et les médecins non formés.

• Des bâtiments ont été construits à Mounana avec des matériaux radioactifs (maternité, école, marché). Certains bâtiments ont dû être détruits.

De telles situations ont malheureusement eu cours également sur le territoire français. Dans certains cas des situations conduisant à un risque sanitaire inacceptable pour le public ont été révélées par le laboratoire de la CRIIRAD en des lieux qui avaient pourtant été précédemment contrôlés par la COGEMA. Ce fut le cas par exemple lorsqu’en 2001 la CRIIRAD démontra que dans une scierie construite sur des remblais radioactifs de l’ancienne mine d’uranium CEA-COGEMA des Bois Noirs (Loire), les concentrations en radon conduisaient à un dépassement d’un facteur supérieur à 20 des normes sanitaires pour le public. Ce site avait pourtant été contrôlé quelques années auparavant par un technicien de la COGEMA. Suite aux mesures de la CRIIRAD, les autorités ont imposé à la COGEMA la décontamination du site.

• A Mounana, plus de 2 millions de tonnes de résidus radioactifs ont été simplement déversés dans la rivière entre 1961 et 1975. La CRIIRAD tient à rappeler que de tels résidus posent des problèmes radiologiques à long terme car ils sont caractérisés par:

• Une radioactivité importante, supérieure à 100 000 Bq / kg et parfois à plus de 500 000 Bq / kg. Le rapport COMUF 1983 indique que la teneur typique du minerai était de 3 à 4 kg d’uranium par tonne. Même en supposant un rendement d’extraction de l’usine à 100 % (extraction de tout l’uranium métal), il subsiste dans les résidus issus d’un minerai à 4 Kg U / Tonne une radioactivité égale à 50 000 Bq / kg pour les descendants de l’uranium 238 à partir du thorium 230, soit une activité totale qui peut dépasser 500 000 Bq / kg.

• Une faible granulométrie (boue fine) qui favorise la dispersion ultérieure des radionucléides. Le minerai initial, roche dure située en profondeur, devient un résidu d’extraction sous forme d’une boue de très fine granulométrie. Lorsque cette boue sèche, les poussières radioactives qu’elle contient peuvent être dispersées par le vent. Si elle est humide, le transport est possible via les eaux. Or ces résidus contiennent des éléments très radiotoxiques par inhalation (thorium 230) et par ingestion (plomb 210 et polonium 210).

• La présence de 100 % du radium 226 initialement contenu dans le minerai. Sa désintégration génère en permanence un gaz radioactif, le radon 222, difficile à confiner.

• La présence de radionucléides à très longue période physique, ce qui pose la question du confinement à long terme. Ces déchets seront radioactifs pendant des centaines de milliers d’années compte tenu de la période physique du thorium 230 (75 000 ans).

• La présence de produits chimiques liés au traitement (attaque à l’acide sulfurique, éventuelle neutralisation à la chaux) dans une proportion de 100 kilogrammes par tonne environ.

• Le «réaménagement» des sites a consisté, semble-t-il, à simplement recouvrir certains secteurs radioactifs de remblais en terre végétale. Les déchets radioactifs sont toujours dans le sol. Compte tenu de leur très longue période physique, la procédure de «réaménagement» est totalement insuffisante. Les frais de ce «réaménagement» ont été pris en charge par un budget Européen (Fond Européen de Développement). AREVA n’est même pas en mesure d’assumer sa responsabilité financière.

• La «qualité» du réaménagement a été vérifiée par l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique). Ceci pose problème quant à la neutralité des contrôles compte tenu de la vocation affichée de l’Agence (développement du nucléaire).

La CRIIRAD a déjà mis en évidence dans le passé la partialité et l’insuffisance des diagnostics radiologiques de l’AIEA (atoll de Moruroa). La CRIIRAD a adressé une demande aux autorités de radioprotection du Gabon pour obtenir copie des résultats des contrôles radiologiques effectués à Mounana. Le Ministère compétent a refusé de transmettre ces données.

Niger

La SOMAÏR (société des mines de l’Aïr) et la COMINAK, (compagnie minière d’Akouta) exploitent – depuis respectivement 1971 et 1978 – des gisements d’uranium situés dans le nord du NIGER, en bordure du Sahara [3].

Outre les mines, chacune de ces sociétés exploite une usine d’extraction physico-chimique de l’uranium. La production s’élève à 3 000 tonnes de concentré d’uranium par an, un apport essentiel pour l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises.

En ce qui concerne l’impact de ces activités sur la population nigérienne, le site internet de la Cogema précise: «La présence de SOMAÏR [et de] COMINAK apporte non seulement des emplois, mais aussi un support sanitaire et social aux populations locales dans une région isolée et économiquement défavorisée.».

La réalité peut être approchée à partir des constats issus des rapports CRIIRAD, SHERPA et des témoignages des membres de l’ONG AGHIR IN MAN [4].

• Les filiales d’AREVA ont fait pression sur l’ONG AGHIR IN MAN pour faire annuler la mission CRIIRAD de décembre 2003. Les appareils de mesure de la CRIIRAD ont été confisqués à l’atterrissage à Niamey.

• Les investigations conduites par la CRIIRAD, en décembre 2003, à l’aide d’un petit radiamètre dans le cadre de la formation dispensée aux membres d’Aghir in’man ont permis de mettre le doigt sur un problème très sérieux: la dispersion des ferrailles contaminées. Compte tenu du niveau de vie très bas de la population nigérienne, tout est susceptible d’être récupéré et utilisé pour la construction des maisons, de l’outillage, des ustensiles de cuisine, etc. Le tuyau métallique acheté par la CRIIRAD sur le marché d’ARLIT était contaminé par un dépôt contenant une très forte activité en radium 226 (235 000 Bq / kg). Malgré l’alerte donnée par la CRIIRAD, en fin décembre 2003, AREVA a attendu plus d’un an pour lancer en mars 2005 une «campagne systématique de recensement et de détection radioactive des ferrailles proposées à la vente sur les marchés».

• Les eaux industrielles et les eaux potables sont puisées dans une nappe fossile, c’est-à-dire non renouvelable (40 % de cette eau douce sert aux besoins industriels). Les mesures réalisées par la CRIIRAD entre 2003 et 2005 sur des échantillons d’eau distribuée par les compagnies minières ont permis de constater une contamination en uranium conduisant à une exposition supérieure aux normes de l’OMS. Pourtant les documents AREVA à destination du grand public évoquent: «l’absence de contamination des eaux». Récemment encore (juillet 2006), au niveau du camp d’Imouraren, la COGEMA a laissé consommer pendant plusieurs semaines des eaux chargées en uranium.

• Les stériles (déchets d’extraction du minerai) constituent d’immenses verses accessibles à tous, hommes comme animaux.

• Les résidus (déchets d’extraction de l’élément uranium) qui se présentent sous forme de sable fin particulièrement radiotoxique (activité supérieure à 500 000 Bq / kg pour les déchets de COMINAK), constituent de véritables montagnes (verse COMINAK de 50 hectares et plus de 10 millions de tonnes de déchets). Les sociétés minières n’ont même pas fait l’effort de creuser le sol pour y enfouir les déchets et les protéger un minimum de l’érosion éolienne.

• Les activités minières conduisent à la dispersion de poussières radioactives et à de forts transferts de gaz radioactif (radon) à l’atmosphère.

• Les concentrés uranifères sont transportés dans des conditions de sécurité très insuffisantes (présence de passagers assis sur les fûts irradiants, chauffeurs payés de façon irrégulière, mauvais état des pneumatiques). En janvier 2004 un accident de transport a fait 5 morts. De la matière radioactive s’est répandue sur la chaussée et malgré les injonctions du Centre National de Radioprotection de Niamey, l’exploitant a mis plus d’un mois pour finir la décontamination, laissant ainsi dans l’environnement des sols dont la contamination en uranium était 1000 à 10’000 fois supérieure à la normale selon les mesures de la CRIIRAD.

• Les ordures des cités minières collectées pour le compte des exploitants sont déversées à même le sol en périphérie immédiate des villes d’Arlit et d’Akokan. Femmes, enfants et animaux s’y rendent quotidiennement à la recherche de nourriture, d’objets et de matériaux à récupérer.

Pourtant le Groupe AREVA indique sur son site web: «SOMAIR et COMINAK, filiales minières de COGEMA, sont les deux premières entreprises à être certifiées ISO 1400 au Niger. Leurs certifications attestent de la mise en place d’un système de management environnemental comparable à celui pratiqué par les plus grandes entreprises certifiées à travers le monde. Ces deux filiales nigériennes appartiennent au cercle très restreint des entreprises certifiées ISO 14001 en Afrique de l’ouest».

Que peut-on faire ?

Les citoyens doivent ouvrir les yeux et ne plus se contenter des affirmations rassurantes du grand groupe industriel, dont les certifications ISO 14 001 cachent une réalité qui est loin de correspondre à des pratiques réellement respectueuses de l’environnement et de la santé des salariés et des populations. Compte tenu des bénéfices que tire la France de l’exploitation minière à l’étranger, il importe que les citoyens français se mobilisent pour aider les citoyens de ces pays à défendre leurs droits: droit à une surveillance des activités à risque par leur propre gouvernement, droit à la réalisation de contrôles indépendants, droit à la gestion correcte des déchets toxiques, droit à l’information, droit à la préservation de leur environnement et de leur santé. Il est essentiel d’assurer un suivi médical de qualité et des soins aux anciens travailleurs des mines et usines d’extraction de l’uranium, et ceci plusieurs décennies après la fermeture des mines. En effet, certaines pathologies et en particulier les cancers ne se déclarent parfois que plusieurs décennies après l’exposition.

Or les travailleurs locaux de la COMUF (Gabon) et les expatriés, ne font pas l’objet d’un tel suivi médical. L’hôpital de Mounana a fermé avec la fin de l’extraction.

La CRIIRAD s’efforcera pour sa part d’alerter les autorités françaises et l’opinion publique nationale et internationale afin que les sociétés minières assument pleinement leurs responsabilités en matière de protection de l’environnement et de protection sanitaire de leurs anciens employés et des populations locales.

Est-il normal de produire à moindres coûts l’uranium qui alimente les centrales nucléaires des pays riches au détriment de la santé des populations des pays les plus pauvres ?

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1. AREVA: groupe français qui se présente comme «expert mondial dans les métiers de l’énergie, propose à ses clients des solutions technologiques pour produire l’énergie nucléaire et acheminer l’électricité en toute fiabilité». Cette société emploie directement 61’000 salarié·e·s dans le monde.

2. SHERPA regroupe des juristes qui se sont fixés pour mission de défendre les droits des travailleurs et des populations de toutes nationalités face aux multinationales.

3. La Cogéma est l’actionnaire principal de ces 2 sociétés: elle détient 63 % de participation de Somaïr et 34 % de participation de Cominak. Les autres actionnaires sont le gouvernement nigérien, des compagnies japonaises (OURD) et espagnoles (ENUSA).

4. Cette ONG dont le nom signifie «bouclier vivant» a pour objectif le mieux être des populations (santé, éducation, condition des femmes…) et la préservation de leur environnement. Les comptes rendus de missions au Niger et au Gabon peuvent être consultés sur les sites internet de la CRIIRAD: www.criirad.org et de SHERPA: asso-sherpa.org

CRIIRAD: Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité, 471 av. V. Hugo – 26000 Valence Compléments www.criirad.org

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