France. «Pou la Gwiyann Dékolé»… après Pâques

Par Rosa Moussaoui

Le week-end de Pâques est terminé et les barrages sont de retour en Guyane. Depuis 22 heures, le lundi 17 avril, les routes sont à nouveau fermées dans le département d’outre-mer afin de «faire pression sur le gouvernement» explique le collectif à l’origine du mouvement.

«Pou la Gwiyann Dékolé» a fait parvenir un texte à l’exécutif, en métropole. Un protocole qui «acte» le plan d’urgence d’un milliard d’euros proposé par le gouvernement, propose d’ouvrir le dialogue sur les 2 milliards supplémentaires réclamés par les manifestants et pose deux conditions non-négociables préalables à la reprise du dialogue.

D’abord, l’exécutif devra «acter le fait que le peuple guyanais veut se prendre en main». Autrement dit, qu’il souhaite une consultation citoyenne sur l’avenir institutionnel du département. Ensuite, les protestataires demandent qu’aucune poursuite ne soit engagée contre les manifestants ayant pris part au mouvement. Une référence aux contrôles de police ordonnés sur les barrages, depuis vendredi 14 avril par la justice.

Une position très applaudie, lundi soir, lors de la présentation du texte, à Cayenne. Mais une partie de la population guyanaise doute que le gouvernement réponde favorablement à quelques jours, seulement, du premier tour de l’élection présidentielle. (18 avril 2017, selon RFI)

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Sur les braises rougeoyantes, les deux grandes marmites mijotent depuis la veille et lorsque François Cavalier lève le couvercle avec son coutelas, de délicieux arômes s’en échappent. C’est un bouillon d’awara, le plat traditionnel de Pâques. A la pâte délayée du fruit d’un palmier on ajoute des légumes et plusieurs sortes de viande – bœuf, porc, poulet. Entre deux averses, sous le carbet qui surplombe la crique Balaté, un bras du Maroni qui s’enfonce dans la forêt, les convives se régalent et la crise sociale qui secoue la Guyane depuis un mois occupe toutes les conversations.

«Nous sommes amazoniens, sud-américains»

Pour la trêve pascale décidée par le collectif «Pou Lagwiyann dekolé», les barrages ont été ouverts. Signe d’un essoufflement ou prélude à une «nouvelle phase du combat», comme le promet le porte-parole des 500 Frères, Mikaël Mancée, sur les ondes de Radio Peyi? Pour Katiana Joncart, ce «mouvement historique» exprime bien plus que des revendications sociales. «C’est un éveil du peuple guyanais sur le traitement discriminatoire que nous réserve la France. On nous répète que nous sommes français, mais ça ne correspond en rien à ce que nous vivons dans ce territoire abandonné par l’État. On nous nomme Domiens, Ultramarins, je ne me reconnais pas dans ces appellations. Nous sommes amazoniens, sud-américains», résume cette jeune femme de 32 ans. Dans un grand éclat de rire, elle évoque les visites éclair des responsables politiques français.

Deux candidats à l’élection présidentielle, seulement, ont fait escale ici durant la campagne. «Macron est resté à peine une journée. Pas suffisant pour se rendre compte que la Guyane n’est pas une île, sourit-elle. Quant à Marine Le Pen, elle s’est contentée d’une photo souvenir avec les paresseux d’un refuge pour animaux…» Faute de moyens de transport, bloqués par la grève, les professions de foi des candidats ne sont jamais arrivées jusqu’aux électeurs. Si le scrutin se tient, Katiana ira voter. Mais elle glissera dans l’urne un bulletin blanc ou nul. «Assez de blou blou, assez de promesses sans lendemain», tranche-t-elle, en reprenant le slogan des contestataires guyanais. Raphaël, lui, ne prendra même pas la peine de se rendre au bureau de vote. A ses yeux, «cette élection restera sans effet sur le dernier territoire d’Amérique du Sud qui reste une colonie».

Ce jeune médecin, installé depuis dix ans en Guyane, navigue d’un centre de santé à l’autre, sur les rives du fleuve Maroni. Au total, il y en a dix-sept, pour un territoire vaste comme le Portugal. Et la Guyane, désert médical, compte cinq fois moins de médecins par habitant que dans l’Hexagone. «Faute de moyens et du fait de l’enclavement, en cas de pépin grave, les patients courent un grand danger. Nous n’avons ni radiologie ni laboratoire d’analyses médicales. A Apatou, le bois du dispensaire est pourri. Toute la structure menace de s’effondrer dans le fleuve et l’État s’en fiche. Pas un euro n’est débloqué pour construire un autre lieu d’accueil pour ces populations qui vivent dans une misère noire», relate-t-il. Les infrastructures sont prévues pour 100’000 habitants. Officiellement, il y en a 244’000. En réalité, la population pourrait bien dépasser les 350’000 habitants. Pas seulement du fait des immigré·e·s venus du Surinam et du Brésil qui empruntent les incontrôlables chemins de traverse des fleuves et de la forêt amazonienne. «Je connais d’innombrables Français sans papiers, pour la plupart des Bushinengués, qui connaissent mal leurs droits et se voient refuser la carte nationale d’identité même lorsqu’ils entreprennent toutes les démarches nécessaires», assure Raphaël. Ces descendants des Nègres marrons, les esclaves en fuite qui négocièrent très tôt les conditions de leur liberté, sont tenus, pour certains, dans les limbes administratifs. Sans existence légale, ils sont privés de droits, de protection sociale, d’accès aux rares services publics.

Un mouvement pacifique et fédérateur

À 7000 kilomètres de Paris, dans cette atmosphère d’ébullition sociale, l’élection présidentielle paraît loin, très loin. En 2012, le scrutin avait rassemblé, au premier tour, à peine plus de 50 % des électeurs. Dans les rues désertées de Saint-Laurent-du-Maroni, seules quelques affiches de Jean-Luc Mélenchon témoignent de l’imminent scrutin. Les panneaux électoraux adossés aux grilles de la mairie restent nus. Certains évoquent, à demi-mot, une forme de boycott du rendez-vous électoral. François Cavalier, lui, rêve à haute voix de «l’émergence d’un peuple guyanais, jusqu’ici embryonnaire». «Pour la première fois, un mouvement pacifique fédère toutes les communautés de Guyane. Sans qu’une branche soit cassée, un espace s’est ouvert pour exprimer des revendications communes et singulières. Il y a là un potentiel extraordinaire», remarque Serge Abatucci, codirecteur du théâtre-école Kokolampoe, qui a investi le camp de la Transportation, infernale destination de milliers de bagnards jusqu’en 1947. Bien amarrée au siècle et au continent, la Guyane veut défricher, par-delà l’horizon électoral, les chemins d’une vie meilleure pour tous. (18 avril 2017, Humanité)

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