France. «Les entreprises pourront choisir les informations à communiquer et le rythme des négociations»

Entretien avec Sophie Binet
conduit par Sophie Ducatteau

Sophie Binet est responsable du collectif femmes-mixité de la CGT. Les ordonnances rayent tous les outils inscrits dans le Code du travail en faveur de l’égalité femmes-hommes. Une cinquantaine d’organisations syndicales, politiques et des personnalités ont publié, la semaine dernière, une tribune pour dénoncer les répercussions de cette nouvelle loi travail sur les droits des femmes.

Pourquoi avoir réagi cette fois, alors que ça n’avait pas été le cas pour la loi El Khomri?

Sophie Binet Les femmes en ont marre d’être prises pour des quiches [il n’est pas impossible que la proposition de loi venant du gouvernement Hollande suscitait moins d’oppositions ouvertes dans le collectif? – Réd.]. Emmanuel Macron a déclaré l’égalité hommes-femmes grande cause nationale de son quinquennat. Or, en quelques semaines, il a supprimé le ministère plein et entier des Droits des femmes, baissé de 27 % le budget du secrétariat d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, et supprimé les contrats aidés, dont 60 % des bénéficiaires étaient des femmes. Si la loi XXL est défavorable à tous, elle annonce une véritable catastrophe pour les femmes. Les ordonnances rayent de la carte l’ensemble des outils mis en place depuis le début des années 1980 pour agir sur les inégalités hommes-femmes au travail. Les employeurs n’auront plus à se gêner pour discriminer les femmes. Le mot «sanction», par exemple, est totalement absent des textes.

Pourquoi un tel constat alarmiste?

S .B. La régression est générale. Les sanctions appliquées aux employeurs seront optionnelles, les négociations à géométrie variable, la prévention aléatoire. Ainsi, les employeurs ne seront plus soumis à sanctions s’ils ne respectent pas la loi Roudy qui impose des négociations annuelles sur l’égalité professionnelle dans l’entreprise. En plus, c’est aux patrons de fournir aux salariés les données sur l’égalité. A l’avenir, les entreprises pourront donc non seulement choisir les informations à communiquer, mais aussi le rythme des négociations. Actuellement annuelles, celles-ci pourront devenir quadriennales. Idem pour les négociations sur le temps partiel, qui concerne à plus de 80 % les femmes. Autre exemple: le plafonnement des indemnités prud’homales. Le gouvernement nous assure qu’il n’est pas discriminatoire. C’est faux. Il s’appliquera aux licenciements abusifs de femmes enceintes ou en cas de manque de disponibilité pour raison familiale. Le nombre de femmes chefs de famille monoparentale indique clairement qui pâtira le plus de cette disposition.

Pourquoi craignez-vous que les droits familiaux soient fragilisés par les ordonnances?

S.B. Dans les banques, les femmes enceintes bénéficient de quarante–cinq jours de congé supplémentaires rémunérés à 100 %. Avec les ordonnances, ces dispositions seront négociées au niveau de chaque entreprise. Il en est de même de l’aménagement du temps de travail dans les grandes surfaces. A partir de leur troisième mois de grossesse, les salariées bénéficient d’une réduction de quinze minutes de leur temps de travail. Avec les ordonnances, ces droits seront négociés magasin par magasin. Quand on sait le nombre de fausses couches dans ce secteur, on court à la catastrophe.

La flexibilité imposée est catastrophique pour tous, mais plus encore pour les femmes. D’ailleurs, ce message a convaincu l’ensemble des syndicats membres du conseil supérieur pour l’égalité professionnelle. Tous se sont prononcés contre les ordonnances, qui finalement n’ont été soutenues que par les seules organisations patronales et Marlène Schiappa. La secrétaire d’Etat à l’Egalité hommes-femmes a, sans répondre à nos questions, prétendu que «tout est verrouillé» au niveau des branches. (Entretien publié dans L’Humanité datée du 11 septembre 2017)

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Post-scriptum de la Rédaction de A l’Encontre. Il est très rare que les critiques des Ordonnances abordent un thème élémentaire. Tous les juristes du travail – à l’exception de ceux qui se réclament d’une école juridique trouvant ses racines dans les théories de von Hayek – constatent que le contrat de travail n’est pas passé entre deux «acteurs égaux», qui agissent, chacun, en «toute liberté et égalité». Un contrat signé implique que le/la salarié·e – contraint de vendre sa force de travail car n’ayant pas accès aux moyens de production et de consommation et ne disposant pas d’une fortune propre à un rentier «à vie» – se retrouve dans un rapport de subordination vis-à-vis de son employeur. L’existence d’une organisation syndicale et de «lois protectrices» peut réduire le degré d’expression de cette inégalité, mais pas introduire une égalité. Même si le Code du travail et les protections juridiques des «délégués syndicaux» constituent une assurance de plus pour restreindre les décisions relevant du «bon vouloir» patronal, d’autant plus dans une situation où un chômage de masse imprime ses contraintes sur chaque salarié·e·s et «chercheur d’emploi».

L’inégalité structurelle est le propre des rapports sociaux de classe capitalistes. Il est d’autant plus grave que les ordonnances du gouvernement Macron-Philippe privent les salarié·e·s des entreprises de moins de 50 salarié·e·s d’avoir recours aux syndicats et la justice prud’homale d’être un défenseur, en dernière instance, d’une certaine intégrité des travailleurs et travailleuses. Le début d’une offensive plus vaste. (Réd. A l’Encontre)

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