France. Le licenciement facilité au nom de «sécurisation de l’emploi»

Laurence Parisot (MEDEF), Michel Sapin (Ministre «socialiste»)
Laurence Parisot (MEDEF), Michel Sapin (Ministre «socialiste»)

Par Eric Beynel

Il est d’usage, dans les milieux patronaux, de critiquer l’épaisseur de Code du travail et d’en appeler à un code de vingt pages, ainsi que cela a pu s’entendre de la bouche de certains de leurs représentants lors de rencontres organisées par l’actuel ministre du Travail [Michel Sapin : ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social], à la recherche d’une caution pour porter un coup décisif à l’inspection du travail.

Si la remarque sur l’épaisseur du Code du travail n’est pas sans fondement, la critique, elle, est bien mal venue de la part des représentants du patronat. L’accroissement vertigineux de ce code au court des dernières années, et plus encore la complexification du droit, résulte essentiellement de l’intégration dans la loi des accords interprofessionnels signés par les syndicats patronaux et, au premier rang, par le Medef [Mouvement des entreprises de France].

La création de la période de mobilité volontaire sécurisée dans le tout récent Accord national interprofessionnel – ANI de son petit nom ou «accord sur l’emploi» — est, à cet égard, exemplaire. Changer temporairement d’entreprise

L’accord prévoit en effet que le salarié qui justifie d’une ancienneté minimale de deux ans dans une entreprise de 300 salariés et plus peut, à son initiative et avec l’accord de son employeur, mettre en œuvre une période de mobilité lui permettant de découvrir un emploi dans une autre entreprise.

Autrement dit, il peut demander à changer temporairement d’entreprise — parce qu’il a envie de voir ailleurs, parce que c’est une période creuse dans son activité, ou pour tout autre raison —, ou son employeur peut le lui proposer, et ils en discutent. Or, il existe, parmi le très grand nombre d’articles regroupés dans le chapitre 2 du titre IV du livre premier de la troisième partie (!) du Code du travail, un passage donnant droit à un congé sabbatique.

Ce texte permet depuis près de 30 ans de suspendre son contrat de travail. Il permet même plus: l’employeur ne peut s’opposer, contrairement à ce qui est prévu pour la période de mobilité volontaire de l’ANI, au départ du salarié. Au plus peut-il reporter de six ou neuf mois, selon la taille de l’entreprise, son départ.

Autrement dit, la période de mobilité contenue dans l’ANI, dès lors, n’apporte aucun droit nouveau au salarié. Elle ne crée aucune obligation à charge de l’employeur, puisque cette période repose exclusivement sur la négociation entre les parties au contrat de travail. Enfin, si on avait voulu modifier les conditions d’exercice de ce droit, on aurait pu faire évoluer celles qui existent d’ores et déjà pour le congé sabbatique. Une simple redondance?

Les cinq nouveaux articles du Code du travail dédiés aux congés de mobilité sécurisée sont en conséquence, du strict point de vue juridique, dénués de tout sens. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont chargés d’un sens, mais d’une tout autre nature.

Le retour à l’accord national permet de le dévoiler pleinement. Les dispositions correspondantes stipulées dans son article 7 se situent dans le titre dénommé «Créer de nouveaux droits pour les salariés afin de sécuriser les parcours professionnels».

Si cela commence dans ces termes: «Afin de développer leurs compétences, les salariés souhaitent de plus en plus pouvoir changer d’emploi, mais peuvent y renoncer faute de sécurisation adaptée», la réalité dans toute sa crudité s’énonce plus bas dans ces termes:

«En cas de démission du salarié au terme de la période de mobilité […] l’entreprise est exonérée, à l’égard du salarié concerné, de l’ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d’un licenciement pour motif économique.»

Un moyen de faciliter le licenciement

On voit ainsi que la période de mobilité est pensée comme s’inscrivant dans le cadre de la gestion des effectifs de l’entreprise, comme moyen de contourner les dispositions relatives aux licenciements économiques.[1]

Il ne s’agit de rien d’autre que d’une mesure de reclassement externe en cas de réduction des effectifs, ayant pour objet d’échapper à l’ensemble des règles protectrices des salariés, tant collectives (information du comité du comité d’entreprise, établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi), qu’individuelles (versement des indemnités de licenciement, etc.).

Et, parce que cette période se négocie avec chaque salarié·e, cette mesure ouvre la porte à un traitement différencié de ceux-ci, voire discriminatoire, sans contrôle possible des représentants du personnel.

Les ruptures conventionnelles furent elles aussi présentées comme une plus grande liberté pour les salarié·e·s. Quatre ans plus tard, elles s’avèrent être surtout un outil facile de licenciement pour les entreprises.

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siteoff0Eric Beynel est porte-parole d’Union Syndicale Solidaires. Cette tribune a été publiée le 3 avril 2013 sur Rue 89. Titre de A l’Encontre.

[1] En droit français le licenciement pour motif économique, donc non inhérent à la personne du salarié, doit trouver son origine et être justifié par des difficultés économiques sérieuses, par des changements technologiques qui mettent en cause la survie de l’entreprise, la cessation de l’activité de l’entreprise, une mise en cause importante de ladite compétitivité de l’entreprise. Cela implique, entre autres, que c’est une mesure de dernier recours. Le motif du licenciement doit être indiqué, avec précision, dans la lettre de licenciement. En cas de litige, le conseil de prud’hommes doit vérifier la valeur intrinsèque des explications données dans la lettre de licenciement. Les salarié·e·s ont le droit d’avoir recours à l’aide d’un bureau de conseil en la matière. On est loin de la réalité helvétique (A l’Encontre)

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