France. «Face à l’extrême droite, les syndicats doivent être unis»

VISAEntretien avec Luz Mora
conduit par Guy Zurkinden

En France, la crise sociale et politique fournit le terreau idéal à l’avancée du Front national. Réunis dans l’organisation VISA, des syndicalistes tentent de contrer l’influence du FN sur les lieux de travail.

Le 6 décembre 2015 (élections régionales en France), le FN (Front national de Marine le Pen) a récolté le 27,73% des suffrages – plus de 6 millions de voix, un score historique. Une organisation intersyndicale, Vigilance Initiative Syndicales Antifascistes (VISA) vise à contrer l’influence du FN dans le monde du travail. Questions à Luz Mora, militante de VISA, salariée du Ministère du travail à Paris et militante du syndicat SUD (Union syndicale Solidaires).

Depuis son arrivée à la tête du parti, Marine Le Pen essaie de présenter un nouveau visage du Front National (FN). Ce parti a-t-il vraiment changé?

Luz Mora – Depuis 2011, Marine Le Pen a mené une campagne de dédiabolisation du FN. Son objectif: prouver que ce parti peut tenir les rênes du pays. Pour cela, elle a rompu avec une partie du discours de son père, Jean-Marie Le Pen, en reconnaissant les camps de la mort et en expulsant une partie des éléments les plus radicaux du FN. Elle utilise aussi un langage à double sens sur la question des droits des femmes. Le programme du parti va être étoffé: il reprend la conception autoritaire de l’Etat héritée de son père, mais développe un discours sur la défense du service public; il reprend la posture antimondialiste et anti-Union européenne, tout en défendant une réindustrialisation basée sur les PME et la mise sur pied de taxes douanières.

Marine Le Pen prolonge ainsi en quelque sorte le premier tournant pris par le FN dans les années quatre-vingt-dix, sous l’impulsion de Bruno Mégret. Alors que Le Pen s’était présenté jusque-là comme le Reagan européen, Mégret gommait les pans les plus libéraux de son programme. En parallèle, il continue à remplacer la question sociale par la question nationale, avec par exemple son slogan: «un million de chômeurs égale un million d’étrangers en trop», doublé du slogan apparu à cette époque: «le social, c’est le FN». C’est aussi là que le FN a commencé à se revendiquer comme un parti des travailleurs, à côté des petits artisans et commerçants, sa base traditionnelle. Et qu’il a continué à asseoir son électorat.

Si la façade est différente, il y a cependant une continuité dans le programme du FN. Aujourd’hui, Marine Le Pen a intégré dans son discours une certaine conception de la laïcité. Plutôt que parler de «préférence nationale», elle thématise les «différences culturelles». Mais c’est une méthode pour stigmatiser l’ensemble de la population d’origine arabe. C’est une tendance qu’on retrouve plus largement en Europe. Je pense qu’en Suisse, l’UDC joue aussi là-dessus.

Les termes changent, mais le programme reste basé sur la préférence nationale, donc sur une politique raciste. Le FN reste donc un parti avec des traits fascistes: le remplacement de la question sociale par la question nationale, la figure du «sauveur de la Nation», l’Etat fort et autoritaire, l’exaltation du corporatisme et une ligne clairement antisyndicale.

Pourtant, le discours du FN a un fort impact auprès de certains milieux salariés ?

En France, le premier parti des ouvriers et chômeurs reste celui de l’abstention. Mais le vote FN progresse parmi les salariés. Son influence est la plus importante dans les villes moyennes, habitées par des salariés qui sont partis des grandes villes car ils ont peu d’argent et vivent dans une grande précarité. Ce sont les CDD, les intérims, des travailleurs très peu syndiqués, aux perspectives d’avenir bouchées. Deux aspects du discours FN font écho chez eux: le thème de la préférence nationale, à force d’être répété, s’est ancré dans la tête des gens; et le discours «le Front national, c’est le parti des gens qui travaillent», contre ceux qui «profitent du système et ne veulent pas travailler», fait aussi mouche.

La montée du FN est aussi due au fait que la gauche se déporte à droite, ainsi qu’à la faiblesse de la «gauche de gauche». Leurs avancées sont faites de nos reculs: dès qu’un mouvement social perd, on assiste à une augmentation des votes FN. Ces dernières années, il y a aussi une augmentation très inquiétante du vote des jeunes et des femmes pour le Front national – sous Le Pen père, ce vote restait très faible.

Selon VISA, le FN représente un danger pour les salariés et les syndicats.

La tactique du FN consiste à dresser les uns contre les autres les précaires, les immigrés, les chômeurs et ceux qui ont un emploi. Ce faisant, le FN affaiblit la position de l’ensemble de la classe travailleuse. Notre devoir de syndicalistes est au contraire de défendre la solidarité de tout le salariat.

Luz Mora
Luz Mora

Ensuite, si on les analyse, on remarque que les «solutions» du Front national consistent en autant d’attaques contre les salariés. Le FN ne lutte d’aucune manière contre la précarité ou le travail intérimaire: il n’y a pas une ligne là-dessus dans leur programme. Au contraire. Dans les mairies FN, ses élus prennent des mesures qui accentuent les contrats précaires. Pour maintenir le «pouvoir d’achat», son programme propose de réduire les cotisations sociales, ce qui entraînera une baisse des recettes pour les retraites, le chômage, l’assurance maladie, etc. Le FN affirme aussi défendre le service public, alors qu’il est pour le «zéro déficit», qui ne peut que se traduire par des coupes sombres dans les budgets. Dans sa campagne pour les régionales dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen a d’ailleurs affirmé qu’elle ne remplacera pas l’emploi d’un fonctionnaire sur deux, à l’occasion de départs à la retraite.

Le FN a aussi une ligne clairement antisyndicale. Ils sont systématiquement anti-grèves, anti-actions syndicales, contre la mise sur pied de commissions paritaires, etc. S’ils arrivent au pouvoir, c’est clair qu’ils vont s’attaquer aux droits syndicaux.

Que fait VISA face à cette évolution?

VISA s’est créée en 1996, au moment où le FN entamait son pseudo «tournant social». Il s’agit d’une association intersyndicale composée d’une cinquantaine de structures syndicales: la FSU, l’Union Syndicale Solidaires, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF ainsi que le syndicat de la Magistrature. Notre objectif: être un outil pour toutes les forces syndicales qui veulent lutter contre l’implantation de l?’extrême droite dans le monde du travail. VISA n’a pas pour vocation de remplacer les partis: on fait un travail syndical, on donne des arguments aux salariés.

Face à l’extrême droite, les syndicats doivent être tous unis, au-delà des divergences qu’ils ont sur d’autres questions. La lutte antifasciste doit être intersyndicale.

Concrètement, nous faisons des formations syndicales. Nous réalisons des argumentaires, des dossiers, des articles et des livres qui déconstruisent le discours du FN sur les objets ayant un lien avec le monde du travail, informons la politique menée par les élus FN. L’objectif est que les militants aient les arguments pour répondre à leurs collègues sur les lieux de travail, et que les fédérations syndicales puissent produire leurs propres matériels, adaptés à leurs réalités. Nous dénonçons en parallèle toutes les discriminations racistes, sexistes, homophobes dans et hors des entreprises, ainsi que la présence dans les structures syndicales de militants d’extrême droite. Nous centralisons aussi les tracts et brochures syndicales pour les mettre sur notre site, et faire ainsi une base de données à disposition des syndicats. L’écho rencontré est grand: nous réalisons énormément de formations syndicales. %Entretien publié dans le journal du SSP/VPOD: Services publics)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*