France. Des élus UMP face au FN: «C’est eux ou nous»

Yves Foulon, député UMP de Gironde
Yves Foulon, député UMP de Gironde

Par Matthieu Goar et Alexandre Lemarié

Lors du second tour des élections partielles dans la 4e circonscription du Doubs – pour succéder à l’actuel commissaire européen Pierre Moscovici – s’affrontaient deux candidats: Frédéric Barbier du Parti socialiste et Sophie Montel du Front national. Nous avions présenté sur notre site (en date du 2 février) certains aspects plus généraux de cet affrontement électoral régional, entre autres la continuité biaisée du discours du FN. F. Barbier a obtenu 51,43% des votes exprimés et S. Montel 48,57%. Le taux d’abstention s’est élevé à 50,93%. Le FN avait obtenu 32,6% lors du premier tour, le PS 28,8% et l’UMP 26,5%. F. Barbier a remercié «les forces républicaines» et S. Montel a qualifié «d’extraordinaires les suffrages obtenus». Il est utile d’avoir à l’esprit les réactions des «cadres» politiques de l’UMP face à l’attraction par le FN d’une part de leur base électorale.

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Les cadres locaux de droite s’interrogent sur la façon de retenir leurs électeurs séduits par le vote lepéniste.

Conseillers municipaux, députés, candidats aux départementales… Ils sont en première ligne. Loin de la rue de Vaugirard [siège de l’UMP à Paris] et de ses débats sur la pertinence du «ni-ni» [mot d’ordre de vote ni PS ni FN], les élus UMP assistent, impuissants, à la montée du FN qui leur semble irrésistible.

Partout, ils constatent sa progression dans les urnes, sa pénétration dans les assemblées locales, son grignotage des territoires et des esprits. Leurs électeurs déçus ne se cachent plus et assument leur vote frontiste, comme dans le Doubs, où une partie des sympathisants de l’UMP s’est reportée au second tour de la législative partielle sur Sophie Montel, la candidate frontiste, dimanche 8  février. Alors ils s’interrogent sur les solutions à apporter pour lutter contre cette porosité qui menace directement leur parti.

Premier constat: les consignes des formations politiques ne servent plus à rien. Lors de la législative partielle du Doubs, l’UMP avait fini par demander à ses électeurs de s’abstenir ou de voter blanc. Peine perdue. «J’observe même un phénomène inverse: plus on leur demande de ne pas voter FN et plus les gens ont envie de le faire. C’est comme la pomme d’Adam et Eve, plus on dit aux gens de ne pas croquer dans le fruit défendu et plus ils sont tentés», témoigne Julien Aubert, député UMP du Vaucluse, fief de Marion -Maréchal-Le Pen, où le parti d’extrême droite a récolté 36,4 % des voix aux élections européennes.

Réinvestir le terrain

La démonétisation des dirigeants nationaux de l’UMP semble être partout à l’œuvre. Et les arguments moraux face à un FN de plus en plus banalisé ont de moins en moins d’impact sur les citoyens. «Les consignes de vote datent de l’âge de pierre», tranche Damien Abad, député de l’Ain où le parti lepéniste a frôlé les 30 % aux européennes, très énervé par le spectacle donné par ses dirigeants entre les deux tours: «Il faut laisser les citoyens libres et arrêter les débats anesthésiants car, si l’on continue à enfiler des perles et à mener un combat exclusivement moral, Marine Le Pen sera au pouvoir dans trois ans.»

Les élus préconisent un combat frontal et jugent urgent de réinvestir le terrain. A l’instar du nouveau maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, qui a constaté une poussée de Marine Le Pen dans sa ville, où elle est arrivée en deuxième position à la présidentielle de 2012. «Nous avons parfois trop délaissé certains quartiers. Il faut discuter avec tout le monde, répondre aux inquiétudes après un cambriolage, trouver des réponses appropriées tout en faisant son autocritique. A Hénin-Beaumont, le FN a patiemment construit ses relais avant d’arriver au pouvoir», explique-t-il.

Alors que le FN dispose de plus en plus d’élus et de représentants locaux, les partis politiques cherchent à répondre au besoin de dialogue. «Les permanences ne désemplissent pas mais nous pouvons encore améliorer les choses. Les citoyens doivent pouvoir identifier les élus, leur parler pour y croire à nouveau», remarque Jean-Pierre Decool, député du Nord, rejoint par M.  Aubert: «Cela demande un investissement sur la durée pour les retourner un par un. J’ai réussi à en détourner quelques-uns en m’occupant de leurs problèmes concrets de la vie quotidienne. Du coup, on me dit: “Je ne vais pas voter pour l’UMP mais je vais voter pour vous.”»

Renouer le lien, un préalable indispensable. Mais le nerf de la guerre est surtout d’apporter des solutions concrètes pour lutter contre la défiance généralisée. Des idées à inventer dans les territoires car le programme de l’UMP n’est même pas en cours de rédaction et les candidats à la primaire ne se dévoileront qu’en  2016. «Il y a un choix par dépit qui profite au FN. Alors nous devons répondre par des solutions de bon sens et très locales. Sur la sécurité, sur les désertions des centres-villes, sur l’emploi en faisant revenir les magasins…», préconise Alexandre Cassaro, ancien candidat UMP aux municipales à Forbach (Moselle), où il avait affronté le frontiste Florian Philippot, arrivé en tête du premier tour (35,74 %, contre 12,25 % pour M. Cassaro).

Pour d’autres, la droite doit investir les thématiques chères à l’extrême droite, dans l’espoir de lui couper l’herbe sous le pied. «Les électeurs prêts à voter FN sont des gens qui crient au secours. Il faut donc écouter leurs sujets de préoccupation et y répondre concrètement par des mesures très fermes sur l’immigration, la sécurité ou la laïcité», estime Dominique Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône et premier adjoint à la mairie de Marseille, où le FN a réalisé de gros scores aux municipales. En campagne pour les départementales, M.  Abad assume lui aussi un message d’autorité, prônant le retour de la morale à l’école, la suppression des allocations familiales pour les parents encourageant leurs enfants sur la voie de l’islamisme radical ou la lutte contre la «fraude sociale»: «Nous devons assumer nos convictions, décliner nos valeurs par des mesures concrètes.»

Puisque les dirigeants du FN font de moins en moins peur, l’UMP tente de diaboliser leurs idées, déconstruire son programme. En meeting, Nicolas Sarkozy a comparé plusieurs fois les solutions économiques préconisées par Marine Le Pen à celles de Jean-Luc Mélenchon. Un argumentaire repris par de nombreux ténors et des élus locaux. «J’essaie de démonter précisément les propositions du FN, point par point», témoigne Christophe Coulon, responsable de la fédération UMP dans l’Aisne, où le FN a enregistré son niveau le plus élevé des européennes (40 %). Je mets en garde contre le risque que pourrait causer l’application du programme, en insistant par exemple sur les dégâts possibles d’une sortie de l’euro.»

Dans ce combat qui se joue au niveau national et au niveau local, l’UMP joue une partie de son avenir. C’est le message que relaie Yves Foulon, député de Gironde: «Je tente de faire prendre conscience à nos électeurs que le FN veut notre peau. La menace est telle que, désormais, c’est eux ou nous.» (Publié dans Le Monde le 10 février 2015)

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