France/climat. Pour un marxisme écologique. Quelles interrogations peut susciter la formule à la mode d’«écosocialisme»?

Par Charles-André Udry

Tout un courant dit réformiste, au sein de secteurs «éclairés» des classes dominantes, aborde le thème de la crise environnementale et climatique sous l’angle technologique. À cela peuvent s’ajouter, comme nous l’avons indiqué à propos d’un projet de loi élaboré par des juristes et constitutionnalistes de Belgique, des projets législatifs contraignants, ayant une dimension positive face à l’immobilisme gouvernemental qui ne prend même pas en considération les traités internationaux signés.

Il existe, au sein du courant politique qualifié de «vert» – qui n’est pas sur la même orientation que lesdits Vert’libéraux, forces qui s’auto-dénomment de la sorte en Suisse –, une grande diversité de positions dont certaines renvoient à une approche éco-sociale.

Dans la propagande de la gauche plus ou moins radicale, le terme d’écosocialisme est très souvent adjoint à: anticapitalisme, féminisme, anti-impérialisme, antiracisme, etc. Il s’agit d’une tentative de définition cumulative qui fait allusion:

1° soit à une conception qu’un certain nombre de pays (tels que la Yougoslavie, l’URSS ou les pays membres du COMECON) se trouvaient dans une «transition bloquée vers le socialisme» (autrement dit, une forme d’État ouvrier bureaucratiquement dégénéré);

2° soit qui considérait ces pays comme participant du «socialisme réellement existant», une formule développée par des critiques du régime de la RDA (Allemagne de l’Est). Cette formule était le produit d’un objectivisme qui impliquait que le cadre géopolitique (Etats-Unis, RFA, etc.), les relations entre la RDA et l’URSS et le COMECON ne permettaient pas «un autre système». Une illustration pédagogique de cette pensée se retrouve métaphoriquement dans le film Good Bye Lenin.

La multiplication des attributs (féminisme, écosocialisme, etc.) qui collent à anticapitalisme a pour fonction, implicitement ou explicitement, de prendre des distances avec ce que le sens commun qualifiait de socialisme, avec tous les désastres écologiques aujourd’hui mis au grand jour depuis vingt ans, au moins.

• Certes, la crise dite climatique ne peut trouver une réponse en termes technologiques «a-sociaux». Car elle relève des rapports sociaux propres à la société capitaliste et de leurs relations à l’écosystème, c’est-à-dire à un ensemble formé d’une communauté d’êtres vivants en interrelation avec un milieu donné.

Pour des socialistes révolutionnaires, la référence programmatique est celle d’un marxisme écologique – nous reviendrons sur la sous-estimation complète de la dimension effectivement écologique dans l’œuvre en élaboration de Marx. Une orientation marxiste-écologique, explicitement, ou de facto, fait face à un défi énorme. Celui propre à la crise structurelle du système capitaliste mondialisé. Or, un courant éco-moderniste capitaliste cherche des ripostes réalistes, pratiques, à une orientation et à des mobilisations inspirées, de facto, par des éléments du marxisme-écologique. Certes, en aucune mesure, des socialistes révolutionnaires ne s’opposent à une série de revendications concrètes. D’autant plus que ces dernières mettent en relief la résistance endogène du système capitaliste mondialisé, ces résistances s’expriment au sein de formations sociales différentes et hiérarchisées à l’échelle planétaire. Voir, par exemple, le désastre au Brésil provoqué par la transnationale Vale (dont un des deux sièges est à Saint-Prex, l’autre à Jersey, biotope pour exilés fiscaux).

Dans ce courant «éco-moderniste» se trouvent des théoriciens proposant des approches technologiques de type «prométhéen» ayant pour fonction d’éviter la réalité structurelle de la crise sociale et écologique de notre époque. C’est-à-dire, de s’engager pour des changements révolutionnaires (au sens de dessécher la racine de la crise) des rapports de production existants, des transformations qui sont impératives pour initier une riposte protéiforme à la «catastrophe» climatique. On peut citer, pour faire court, parmi les modernistes technologiques, Christian Parenti et Leigh Phillips. Une écologie marxiste prend appui sur une conception matérialiste historique de la nature et une approche matérialiste de l’histoire. C’est dans ce sens que la thématique d’un métabolisme social, tel que présent dans l’œuvre de Marx et d’Engels, éclaire la façon dont le travail humain, au sens élargi du terme, et la production transforment la nature et les écosystèmes; et donc les fondements mêmes du fonctionnement des sociétés humaines.

En conséquence, le mode de production capitaliste, qui implique une aliénation (fonctionnement échappant en pratique à la majorité laborieuse) du métabolisme social, suscite des crises écologiques directement attribuables à l’économie de marché et à l’accumulation du capital.

La décision de Macron sur la réduction de l’émission des gaz à effet de serre (voir article ci-dessous) concrétise la dimension réactionnaire de sa politique et la morbidité d’un modernisme économique dit néo-capitaliste – c’est ce qu’a saisi le rédacteur du billet que nous publions ci-dessous. (Charles-André Udry, 11 février 2019)

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France/Climat. Macron ordonne: «ne changez rien»

Par Arjuna Andrade

En passant de l’objectif de réduction par 4 des émissions de gaz à effet de serre à celui de neutralité carbone, le gouvernement opère un renoncement sans précédent, s’en remettant, toujours et encore, à la science et au progrès comme seuls remèdes à nos excès.

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot

Le gouvernement a décidé d’abandonner le facteur 4 en matière de réduction des gaz à effet de serre. Un renoncement d’une rare gravité et dont on a, cette semaine, trop peu parlé. Difficile en effet de captiver les esprits avec une expression aussi barbare que technocratique. Pourtant derrière ces termes compliqués de « facteur 4 »  se cache une réalité assez simple : la volonté énoncée par le gouvernement français de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050.

Un objectif qui remonte à 2005, sous la présidence de Jacques Chirac, et qui fût confirmé, depuis, par chacun de ses successeurs : Nicolas Sarkozy en 2009, avec le Grenelle de l’environnement et François Hollande avec la loi de transition énergétique. Le gouvernement s’apprête donc à supprimer un élément central de la politique énergétique et climatique de la France, sans que cela ne semble émouvoir les foules.

Il faut dire que la décision du gouvernement a été pour le moins discrète… C’est ainsi en examinant le projet de loi énergie, transmis au Conseil économique et social par l’exécutif, que les journalistes de Libération ont repéré que les mots « diviser les émissions de GES par quatre  » avaient été remplacés par « atteindre la neutralité carbone  à l’horizon 2050 ». Or ça n’est pas, mais alors pas du tout la même chose.

Ainsi, la loi en vigueur fixe clairement un objectif de réduction des émissions de GES et donc de consommation d’énergie. Avec le projet du gouvernement, la logique est toute autre : il s’agit d’atteindre un équilibre entre la quantité de gaz émis et celle absorbée ou captée. En clair, continuez de consommer, de polluer, ou d’expulser des tonnes de gaz dans l’atmosphère, on trouvera bien des solutions pour les compenser.

Parmi ces solutions, on retrouve ainsi des méthodes relativement traditionnelles de compensation du CO2, comme la création et la préservation de forêts, prairies et autres  zones humides, mais aussi des procédés techniques, industriels mêmes, de capture et de stockage du carbone.

Des méthodes de captation et de stockage qui sont pourtant loin de faire l’unanimité,  car ces méthodes sont jugées problématiques, tant au niveau technique que politique. Ainsi des chercheurs pointent les limites et les risques liés à ces technologies, qui vont de l’aspiration du CO2 dans l’atmosphère à l’injection de minéraux dans l’océan pour y fixer le carbone, et dont on arrive encore mal à prédire les effets -potentiellement désastreux- sur les écosystèmes.

Si les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de retirer du CO2 de l’atmosphère, pour atteindre l’objectif de limitation des températures à 2 degrés, ils nous mettent toutefois en garde face au risque politique, éthique même, présenté par de telles solutions. Le danger étant de se reposer intégralement sur le progrès technique pour ne rien changer à nos pratiques.

Les solutions technicistes concourent en effet à maintenir l’illusion selon laquelle l’homme peut continuer de consommer, produire et polluer, comme il le fait de toute modernité, la science sera toujours là pour le sauver.

C’est justement ce qui est critiqué ici avec la décision du gouvernement. Car en passant du facteur 4 à la neutralité carbone, le gouvernement abandonne l’objectif d’une réduction absolue des émissions, pour se livrer à des comptes d’apothicaire et voir si les émissions, quel que soit leur niveau, ont bien été compensés.

Or les scientifiques sont formels, on ne pourra faire face à cette crise sans précédent si l’on ne change pas drastiquement nos modes de vie, de consommation et de production. Cette logique de neutralité carbone est donc un signal désastreux envoyé aux consommateurs, aux investisseurs, aux industriels.

C’est une manière de dire, « ne changez rien », d’autres se chargent de compenser votre action. Une manière, de prôner, toujours et encore, la science et le progrès comme seuls remèdes à nos excès. Une manière de légitimer l’inaction, de promouvoir l’impuissance pour garantir, toujours, l’économie et la croissance. («Les nouvelles de l’éco», France Culture, 11 février 2019)

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