Etat espagnol. Obstacles et soutiens pour rechercher une vie ailleurs

NoNosVamosPar Pablo Elorduy

Par le biais du porte-parole de la Santé du groupe [du parti] populaire (PP) au Congrès, le gouvernement s’est empressé de jeter du sable sur l’incendie qu’il avait provoqué. Rubén Moreno expliqua aux médias que la réforme de la Ley General de la Seguridad Social qui retire de la carte d’assurance maladie (tarjeta sanitaria) aux personnes qui passent plus de 90 jours en dehors du pays n’affectera pas les chômeurs de longue durée ni les étudiant·e·s.

Affirmant, en définitive, que la mesure, publiée dans le Bulletin officiel du 26 décembre 2013, est destinée à qui cherche à gagner sa vie au sein de l’économie informelle d’autres pays. Ce qui est certain, en effet, est que les accords européens garantissent l’accès à certains droits en matière de soins à toutes les personnes. Quelle est donc la finalité que recherche cette annonce?

Il s’agit d’un complément au décret royal 16/2012 d’exclusion des soins et elle est dirigée contre «la population résidente en Espagne, qui a développé de nouvelles stratégies de mobilité», selon les termes d’Amparo González Ferrer, auteure du rapport La nouvelle émigration espagnole de la Fundación Alternativas [1]. Parmi ces stratégies, on trouve certaines comme se rendre quelques mois à l’étranger pour exercer un travail temporaire, précise Amparo González. Cette chercheuse du Consejo Superior de Investigaciones Científicas souligne un autre effet de la modification approuvée: l’augmentation des obstacles pour que ceux qui migrent fournissent une information sur leur situation dans le pays de destination. [voir à ce sujet l’article publié ce 14 février 2014, intitulé : «Combien d’Espagnols ont-ils été expulsés par la crise?»]

Le 15 décembre 2013 fut présenté le projet Así nos vamos [2], une expérience de journalisme de données [periodismo de datos, data journalism] qui cherche à offrir une information statistique autour des flux de sorties et d’entrées de la population depuis le début de la crise.

Les informations sur ce que l’on a appelé «l’exil de travail» ont mis en évidence des chiffres très disparates sur un phénomène qui, quoi qu’il en soit, qui ne sont pas évalués avec des instruments de mesure fiables. La journaliste Gloria Rodríguez-Pina, qui participe à Así nos vamos, explique qu’il n’y a pas de méthodes standards pour établir un chiffre approximatif: «il n’y a que deux personnes qui se consacrent à cela au sein de l’Institut national de statistique (INE)», d’où le fait que les 200’000 sorties estimées par cet institut sont considérées comme une convention par ce même INE.

Il y a cependant des études qui baissent ce chiffre jusqu’à 40’000 sorties depuis le début de la crise! C’est le cas du rapport «¿Emigran los españoles?» réalisé par la chercheuse Carmen González pour l’Institut royal Elcano. Le biais est évident: cette étude reflète seulement la sortie de personnes «indigènes» (oriundos), c’est-à-dire la population née sur le territoire espagnol, et non ceux qui ont obtenu la nationalité plus tard. Contre cela, Amparo González établit le nombre de sorties du pays à 700’000 personnes. Il s’agit du résultat d’un coefficient réalisé suite à la confrontation des données du recensement avec celles des registres de populations d’Allemagne ou du Royaume-Uni, principales destinations de la population espagnole.

Quoi qu’il en soit, ainsi que l’explique Amparo González à Diagonal, son rapport n’est pas un calcul exact mais il entend «illustrer la sous-estimation qui existe». Cette chercheuse considère que l’information est plus digne de foi lorsqu’elle vient de sources qui sont en relation avec les nécessités vitales de ceux qui s’en vont. Chiffres de la sécurité sociale, registres d’identification fiscale ou les démarches nécessaires pour louer un logement, fournissent plus d’informations sur les tendances que le simple enregistrement du cens consulaire, une démarche que peu de personnes effectuent et qui est celle sur laquelle se fonde le registre de l’INE. Amparo González, indique que, par exemple, les chiffres de l’identification fiscale en Allemagne sont sept fois plus importants que les personnes enregistrées au consulat.

Ainsi, comme le signale Rodríguez-Pina, l’information que pourraient apporter les compagnies de téléphonie serait utile pour établir plus de précisions, alors que les mesures approuvées en matière de soins dissuadent ceux qui se déplacent à l’étranger à fournir des informations.

Ce ne sont pas les seules difficultés, la possibilité de perdre sa place sur une liste d’attente est un autre élément «dissuasif» que détecte Amparo González. Cette chercheuse est convaincue que prendre des mesures pour dépasser cette sous-estimation n’est pas logiquement impossible: «c’est bon marché, mais ce n’est pas simple», résume-t-elle.

Mise au travail et organisation

Des adolescents qui rentrent avec leurs parents [ex-émigrés] qui regroupent leur foyer en Amérique latine. Chercheurs qui reviennent pour faire leur balluchon. Des jeunes accablés par le marché du travail espagnol très flexible. Citoyens du monde qui s’en vont après avoir surmonté les démarches nécessaires pour obtenir la nationalité. Personnes âgées de 35 ans qui s’installent en Allemagne ou au Royaume-Uni avec peu de perspectives – ou peu d’envies – de rentrer. Il n’y a pas de profil unique. Mais il y a des données qui renforcent l’idée que la crise a déclenché la migration en vue de trouver du travail.

Depuis 2008, le volume des envois [d’argent] expédiés depuis l’étranger vers l’Espagne a augmenté de 22% et depuis 2013 les entrées d’argent depuis l’étranger ont dépassé les envois vers les autres parties du monde.

QuesevayanellosMais, bien qu’il soit risqué d’interpréter certains chiffres, ils ne reflètent pas la tendance à l’organisation de beaucoup de ces «nouveaux migrants». De Scandinavie à Montevideo, les «marées grenats» [3] surgies à partir de la campagne No nos vamos, nos echan [«Nous ne partons pas, on nous jette»] de Juventud Sin Futuro du printemps 2013, recueille et partage des informations sur cet «exil du travail» [4]. Londres, Berlin ou Vienne sont quelques-uns des nœuds les plus actifs de cette marée, dont le travail s’articule autour de deux axes: l’appui mutuel et la mobilisation pour faire connaître et tenter de changer la situation dans l’Etat espagnol.

La marée grenat de Londres explique à ce journal que le dénominateur commun «est que nous ne voulons plus revenir à une société déchirée et sans droit. Nous ne voulons pas revenir dans un pays qui a été détruit par des politiques ineptes et des banquiers sans scrupule.» Des thèmes comme la Loi sur l’avortement [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 27 décembre 2014] et les mobilisations comme les marches prévues le 22 mars font partie de l’agenda de cette marée, grenat, comme la couleur du passeport.

En parallèle à une activité centrée sur l’agenda de la péninsule, autant à Berlin qu’à Vienne ou à Londres, s’est mis en place des bureaux de conseil en matière de logement, d’aides, de travail ou d’accès aux soins. «Il est très difficile de commencer si on ne connaît pas bien les lois, les coutumes, les dynamiques et les particularités viennoises» indique-t-on du côté de la marée de la capitale autrichienne. Simultanément, la coordination entre ces groupes croît et les mouvements autochtones croît, autant pour faire connaître la situation en Espagne que pour faciliter de nouveaux projets importants qui rencontrent un appui fondé sur l’horizontalité et la solidarité.  (Traduction A l’Encontre; article publié dans le numéro 214 – 16-29 janvier 2014 – du bimensuel d’actualité critique de l’Etat espagnol Diagonal)

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[1] Fundación Alternativas [http://www.falternativas.org/]

[2] http://asinosvamos.es/

[3] http://www.diagonalperiodico.net/movimientos/la-marea-granate-arranca-con-acampadas-londres-y-berlin.html

[4] http://www.diagonalperiodico.net/movimientos/la-juventud-del-exilio-grita-se-vayan-ellos.html

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