Etat espagnol. Andalousie: quel programme pour une alliance Vox-PP?

Juan Maria Moreno, dirigeant du PP en Andalousie, et Francisco Serrano, leader de Vox dans la communauté

Par François Musseau

L’Andalousie, la région la plus peuplée d’Espagne et l’une des plus frappées par le chômage (22,8%, 8 points de plus que la moyenne nationale), s’est convertie en laboratoire politique depuis que l’extrême droite s’y est imposée dans les urnes. Promotion de la tauromachie et de la chasse, recentralisation musclée du pays rappelant l’ère franquiste, dénonciation d’un «fondamentalisme féministe», charges contre l’islam et les immigrés d’origine musulmane, défense de l’enseignement privé au profit des institutions contrôlées par l’Opus Dei: quelque 90 mesures élaborées par la formation radicale Vox ont été projetées au centre de l’attention médiatique.

«Aujourd’hui, résume le politologue Enrique Gil Calvo, c’est Vox qui agite le nouveau curseur idéologique.» A la suite du scrutin régional, la formation d’extrême droite, qui n’avait aucun siège dans un parlement espagnol, est forte de 495 000 suffrages et de 12 députés: elle reste loin de la majorité absolue, fixée à 55 sièges, mais elle est en assez bonne position pour convaincre les deux principaux partis de droite, le Parti populaire et Ciudadanos, d’en finir avec trente-six ans de domination socialiste… et de prendre ainsi le pouvoir.

Juan Maria Moreno soumis au chantage de Vox

Concrètement, le dirigeant du Parti populaire Juan Maria Moreno, qui sera intronisé sauf accident la semaine prochaine à la tête de l’Andalousie, est soumis au chantage exercé par Vox. Tout particulièrement par le leader régional Francisco Serrano, un ancien juge réputé pour ses verdicts contre ce qu’il appelle «le talibanisme féministe». Au terme d’innombrables heures de tractations entre les deux partis, Vox a certes dû revoir à la baisse quelques mesures maximalistes – comme la suppression des 50 millions d’euros d’aide aux femmes victimes de violence conjugale. Mais, dans l’ensemble, sa ferveur idéologique a obligé les conservateurs du PP à muscler leur discours et leur programme.

Ainsi, le futur exécutif andalou a l’intention d’appliquer un programme économique ultralibéral, de renforcer les aides à la chasse et à la corrida (en crise), de démanteler le service public audiovisuel, de réviser la législation sur la «mémoire historique» (qui défend les victimes du franquisme) et de renforcer le «droit de conscience» des parents d’élèves sur le contenu scolaire – ceux-ci pourront obtenir que leurs enfants n’assistent pas à des matières au contenu idéologique comme les sciences naturelles, la sexualité, l’instruction civique.

Une coalition des droites ambiguë

La fragile coalition des droites demeure ambiguë, cependant, sur d’autres mesures défendues avec véhémence par les dirigeants de Vox: la recentralisation de l’Etat espagnol, qui passerait par la rétrocession de prérogatives telles que la santé ou l’éducation, et un durcissement de la politique migratoire. Le chef de file national du parti, Santiago Abascal, défend la construction d’un mur en béton armé (sur le modèle de celui que prévoit Trump sur la frontière avec le Mexique) à Ceuta et à Melilla, les deux enclaves espagnoles en territoire africain, ainsi que l’expulsion immédiate de 57 000 sans-papiers, d’origine africaine pour la plupart, résidant en Andalousie.

Ce jusqu’au-boutisme provoque l’embarras du Parti populaire, au point que plusieurs «barons» régionaux se sont positionnés publiquement contre une alliance avec la formation ultra. Elle suscite aussi la gêne des centristes libéraux de Ciudadanos, arrivés sur la scène politique pour «régénérer la démocratie et lutter contre la corruption» et menacés aujourd’hui de «se salir les mains». A gauche, le parti Podemos dénonce «un pacte occulte et diabolique des droites».

Quant au socialiste Pedro Sanchez, le chef socialiste du gouvernement espagnol, il pourrait bien tirer profit de l’irruption de la formation ultra qui droitise le Parti populaire et Ciudadanos, ses adversaires politiques. Reste que, comme le souligne l’observateur Enric Juliana, «les sondages indiquent que les Espagnols penchent de plus en plus vers des prises de position droitières. Il est fort possible que le laboratoire andalou anticipe ce qui va se passer à l’échelle nationale.» Les scrutins municipal, régional et européen de mai permettront d’en avoir le cœur net. (Pour information, article publié dans le quotidien Le Temps, en date du 11 janvier 2019; titre de la réd. A l’Encontre)

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