Espagne. «Podemos» et le besoin d’un renouvellement politique

Teresa Rodriguez
Teresa Rodriguez

Par Teresa Rodríguez

L’initiative Podemos [Nous le pouvons; le logo renvoie à demos et à pouvoir] a été impulsée par Pablo Iglesias [professeur de science politique à l’Université Complutense de Madrid et animateur de deux émissions de débat sur deux chaînes de TV], Miguel Urban [animateur culturel, membre de Izquierda anticapitalisa], Jaime Pastor [professeur de Science politique, membre de Izquierda anticapitalista], Cecilia Salazar-Alonso [enseignante de philosophie dans un lycée de Madrid], Juan Carlos Monedero [professeur de science politique à l’Université Complutense et écrivain] et moi-même [Teresa Rodríguez, enseignante, syndicaliste et animatrice de la Marée verte, c’est-à-dire le mouvement des enseignants opposé à la privatisation, aux contre-réformes] ainsi que d’autres personnes au moyen du document Mover Ficha: convertir l’indignation en changement politique [Mover Ficha: déplacer un pion] qui a reçu un accueil chaleureux au cours de sa brève existence. Des centaines de personnes se sont organisées dans ce qu’on a appelé des Cercles avec la volonté de participer et d’être acteurs de la création d’une nouvelle force politique. En ce moment, Podemos est engagée dans le processus des élections primaires ouvertes à l’ensemble des citoyens et citoyennes pour choisir celles et ceux qui feront partie de sa liste électorale à l’occasion des prochaines élections européennes [le 25 mai 2014, dans l’Etat espagnol].

Podemos est un organe politique vivant en cours de structuration, dont l’avenir dépendra exclusivement de la volonté de ceux et celles qui l’ont organisé et de l’accueil qu’il recevra de l’électorat. Il ne s’agit ni d’un parti ni d’un simple mouvement d’opinion. A mon avis, dans l’avenir immédiat, ce seront tous ceux et toutes celles qui font partie de Podemos qui décideront de sa nature, de ses objectifs, de ses principes, de ses statuts, de sa structure territoriale, de ses procédures démocratiques de décision et de l’élection des candidat·e·s pour les organes de direction ou de représentation.

Il ne peut pas en être autrement dans la mesure où Podemos est né du rejet massif de l’actuel système politique suite au manque d’instruments et possibilités de participation démocratiques pour les citoyens et leur ras-le-bol face aux principaux partis politiques. Rejet également à cause des mécanismes institutionnels sclérosés, du modèle élitiste et bureaucratisé des partis qui a été mis en évidence par la clameur du 15 M, du caractère de masse des mouvements, des luttes contre les expulsions des logements, des nouvelles luttes dans les entreprises, et de la participation, qui a dépassé toutes les prévisions, aux Marches pour la Dignité du 22 M [voir à propos du 22M les divers articles publiés sur le site alencontre.org].

Pourquoi avons-nous créé Podemos? Simplement parce qu’aucune des options politiques de gauche ne nous convainquait et ne se montrait capable d’affronter les avancées de la droite. Nous avons accumulé l’indignation provoquée par les politiques antisociales, d’austérité, autoritaires et antidémocratiques d’une élite politique autiste, incapable de résoudre les problèmes réels et par les vieilles organisations sociales et politiques incapables de canaliser le mécontentement et les revendications qui se sont exprimées dans le mot d’ordre: «Nous ne payerons pas cette crise». Comme des milliers et des milliers de personnes qui, le 15 M se sont opposées à l’ensemble des partis et en particulier au bipartisme [la monopolisation du système politique par Parti Populaire et le PSOE – Parti socialiste ouvrier espagnol] et à la corruption systématique, nous sommes arrivés à la conclusion qu’ils «ne nous représentent pas». Nous avons entendu et nous avons fait nôtre le cri: «Ils l’appellent la démocratie, mais elle ne l’est pas».

Ce cri exprime le rejet des formes sclérosées de participation et les restrictions croissantes des libertés, mais aussi un éloignement par rapport à une Constitution que la majorité de la population actuelle n’a pas votée [elle a été «adoptée» en 1978] et qui protège une démocratie de basse intensité, des institutions et une monarchie discréditées et qui consacrent la subordination à la Troïka [BCE, FMI, UE-CE]. Nous avons également constaté les limites des luttes populaires, massives mais strictement défensives et qui manquaient d’une expression politique.

Mais nous avons aussi constaté le «Oui, on peut», le retour enthousiaste à la lutte auto-organisée, solidaire, coopérative et collective, à l’éthique publique et à la dignité sociale. Tout cela a impliqué l’apparition de nouveaux sujets sociaux et politiques.

Pablo Iglesias
Pablo Iglesias

Le fait de donner cours aux énergies sociales et démocratiques qui ont mis en question les politiques d’austérité et le profond déficit démocratique du régime politique actuel exigent un nouvel acteur politique et c’est cela qu’est Podemos. Personne ne peut penser que la seule représentation parlementaire d’une gauche de la gauche suffira à changer la société. Par contre, elle peut aider à réorganiser et à impulser, en alliance avec les mouvements sociaux, la résistance populaire face aux politiques néolibérales.

Cela dit, tout reste à faire. Le projet avancera dans la mesure où des propositions utiles seront faites pour résoudre les problèmes de la société, ceux des classes laborieuses, ceux des victimes des mesures antisociales imposées par le gouvernement du PP qui suivent les diktats de la Troïka. Le projet progressera s’il est capable de proposer des mesures pratiques facilitant la participation démocratique de la société face à une Union européenne peu démocratique et très éloignée des peuples, mais également face au système corrompu du bipartisme qui s’appuie sur une Constitution espagnole qui entrave l’exercice d’une série de droits fondamentaux et qui impose la monarchie. Enfin, il faut souligner que le projet ira de l’avant s’il réussit à devenir une organisation très différente des partis conventionnels, où la figure du leader remplace la voix des membres, où la hiérarchisation empêche la participation et où le «sommet» obstrue la prise de décision démocratique.

Cette nouvelle force ne reçoit aucun financement externe ni institutionnel, ce qui lui permet d’être indépendant par rapport aux puissances financières. Podemos dépend totalement de la volonté des militants et des militantes qui la composent. Il s’agit d’un projet en voie de construction qui te permet de participer, à partir de zéro, pour que ce soit en fin de compte ton – notre – projet. Un nous collectif et unitaire. Ce projet constitue déjà un embryon d’alternative politique puisqu’il a déjà accompli un bout de chemin et avancé des propositions sur des thèmes importants:

  • la réalisation d’un audit citoyen de la dette;
  • le refus d’accepter toute coupe sociale, d’où qu’elle vienne, dans la mesure où elle découle de la dette illégitime et d’une politique fiscale injuste;
  • la défense du secteur public et des intérêts de la majorité face aux profits de la minorité;
  • la garantie des droits sociaux, de la santé et de l’enseignement public; et l’augmentation des salaires ou réduction de la journée de travail,
  • la sauvegarde des biens communs;
  • la liberté absolue des femmes à gérer leur corps, un droit inaliénable et non négociable;
  • le droit à la libre décision des peuples qui forment la réalité plurinationale de l’Etat espagnol; à mon avis cela implique le soutien à la réalisation de consultation catalane [le Premier ministre Mariano Rajoy juge illégal de référendum sur l’indépendance de la Catalogne ; elle compte 7,5 millions d’habitants]
  • la conquête de la démocratie radicale sans entraves et la participation quotidienne de l’ensemble des citoyens et citoyennes aux décisions;
  • la nécessité d’un nouveau modèle productif, soutenable sur le plan environnemental;
  • l’impérieuse nécessité de la construction de l’Autre Europe, celle de la liberté, des droits, des personnes, de la participation, de la justice et de l’égalité face à la Banque centrale européenne, aux multinationales, à l’austérité, à la pratique des expulsions xénophobe des migrants et à la répression des peuples qui résistent.

Nous voulons synthétiser toutes ces revendications dans un discours émancipateur. Dans cette perspective, nous impulsons une méthodologie pour «hacer pueblo», pour intégrer et rendre possible la participation de l’ensemble des citoyens, pour obtenir l’habilitation des gens, d’où notre insistance sur l’auto-organisation et sur des dispositifs tels que l’assemblée populaire, le référendum, l’initiative législative populaire ou les primaires. Nous soutenons les consultations décisionnelles de l’ensemble des citoyens en tant que formule de démocratie participative quotidienne, aussi bien dans le cadre de l’Etat espagnol que dans celui de l’Union européenne.

C’est la combinaison des formules représentatives dans les parlements et les municipalités et celle de l’expression directe de la volonté populaire face à des thèmes concrets qui donnera lieu à une réelle démocratie. La démocratie deviendra réelle si nous restons vigilants et si nous combattons activement la connivence public-privé qui favorise la corruption. Cela exige de combattre dans la pratique les privilèges des élites politiques, c’est la raison pour laquelle je pense que nous devons nous engager à rendre publics notre patrimoine et nos revenus et à les ajuster, au cas où on serait élus, au salaire moyen de la classe travailleuse de l’Etat espagnol. C’est du moins ce que je ferai si j’étais élue.

Au-delà des élections européennes, nous essayerons de constituer, avec le temps, une nouvelle majorité sociale capable de mettre sur pied un nouveau processus constituant au service des intérêts de la majorité. Rien de moins. (Traduction A l’Encontre; Teresa Rodriguez est candidate aux élections primaires de Podemos; article paru sur le site Viento Sur)

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