Déclin du bipartisme, ascension de PODEMOS et renforcement du souverainisme en Catalogne

Pablo Echenique (avec l'écharpe blanche), le 5e député de PODEMOS
Pablo Echenique (avec l’écharpe blanche), le 5e député de PODEMOS

Par Jaime Pastor

En dépit du fait que la participation s’est élevée à seulement 45,85%, les élections au Parlement européen se sont converties en premier test de l’évolution de la situation politique et sociale espagnole depuis que le Parti populaire (PP) a accédé au gouvernement [fin 2011]. Pour cette raison, bien qu’elles ne soient pas extrapolables à des élections générales [1], les résultats marquent un tournant dans le cadre de l’aggravation de la crise de régime et du cycle de luttes inauguré il y a trois ans par le 15M, signalant un changement radical dans le panorama politique des années à venir. 

La donnée la plus importante réside dans le commencement de la fin du bipartisme (PP-PSOE), ainsi que cela a été reconnu dans la presque totalité des médias. En effet, le recul des deux grands partis est hors de doute, bien que ce soit le PSOE qui en est la principale «victime». Le PP passe de 42,12% des voix et 24 sièges en 2009 à 26,05% et 16 sièges aujourd’hui. Le PSOE passe de 38,78% des voix et 23 sièges à 23% et 14 sièges. Ce n’est jamais arrivé que l’addition des résultats des deux partis soit au-dessous des 50% des voix. Par conséquent, il semble que l’on puisse pronostiquer que cette tendance sera difficilement réversible à l’échelle de l’Etat, bien qu’il soit probable qu’elle s’exprime toutefois de manière inégale (comme dans le cas de l’Andalousie, où le PSOE résiste relativement bien) lors des élections autonomes [l’Espagne est divisée en 17 communautés autonomes dont chacune dispose de vastes compétences] et municipales de mai 2015.

• Le PSOE est sans aucun doute le plus affecté par les résultats électoraux, alors que se confirme la crise prolongée dans laquelle le parti se trouve depuis les dernières élections générales. Celle-ci est aggravée par la décomposition dont souffre le Partido Socialista de Catalunya (PSC) en raison de sa subordination croissante au discours espagnoliste [en faveur d’un Etat plus centralisé, s’opposant à une autonomie croissante, voire à l’indépendance de la Catalogne] du secrétaire général du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba [qui a annoncé sa démission avec comme échéance le prochain congrès du PSOE en juillet 2014]. La diminution du nombre de votes dans cette communauté catalane, passant de 36% en 2009 à 14,28%, a corroboré la croissante perte d’appui social dont souffre une force qui, dans le passé, était l’un des principaux bastions de ce parti.

La réaction de la direction «socialiste» face au désastre électoral qui le touche ne s’est pas fait attendre et, ce lundi [26 mai], elle a décidé de convoquer un Congrès extraordinaire en juillet de cette année, en parallèle à l’annonce d’élections «primaires ouvertes» dans le but d’élire celui qui va remplacer Rubalcaba comme numéro 1. S’ouvre ainsi un processus de débat interne dans lequel se discutera non seulement qui va assumer la direction, mais également la recherche d’un projet à même de faire oublier la coresponsabilité de ce parti dans «l’austericide» et le relier à une base sociale. Bien qu’une partie de celle-ci se soit réfugiée dans l’abstention, il semble qu’une fraction ait cette fois-ci exprimé son rejet du PP grâce à son vote en faveur d’autres formations (PODEMOS, Izquierda Unida) ou, dans le cas de la Catalogne, en faveur d’ERC-Gauche républicaine catalane (avec l’ex-président de la Generalitat – nom que porte l’exécutif de la communauté autonome – Pasqual Maragall) et de Ciutadans [Parti de la citoyenneté, qui est favorable à «un parti des citoyens et non pas des territoires», donc contre l’indépendance].

• La grande surprise de ces élections a été, sans aucun doute – et c’est ainsi qu’ont dû le reconnaître la majorité des grands médias de (dés)information qui l’ont ignoré durant la campagne – le succès électoral réalisé par PODEMOS: 1’239’133 voix, 7,96% et 5 sièges. Il se révèle être la troisième force politique dans certaines communautés autonomes comme Madrid (avec 11,27% des voix), les Asturies, la Cantabrique et l’Aragon ainsi que dans de nombreuses villes et villages. Il s’agit de quelque chose d’inédit dans notre histoire électorale. En à peine cinq mois, cette liste est parvenue à susciter un espoir parmi de nombreux secteurs sociaux différents touchés par la crise, visant à être comme le principal catalyseur de l’indignation populaire qui s’est exprimée, au cours des dernières années, face à la «caste politique» corrompue au service de la Troïka et de Merkel [2].

Cette initiative – surgie au milieu du mois de janvier 2014, avec Pablo Iglesias Turrión comme dirigeant et un grand nombre de Cercles qui se sont créés et constitués dans plus de 400 villes, quartiers et villages – a développé une campagne fondée sur l’autofinancement [le budget de la campagne s’élève à un peu plus de 130’000 euros] et une méthode participative, active en particulier sur les réseaux sociaux. Elle s’est manifestée autant dans l’élaboration du programme que dans l’élection des candidats devant figurer sur la liste par le biais de primaires auxquelles participèrent 33’165 personnes. Une «méthode» qui a démontré que d’autres formes de faire de la politique sont possibles et qui a sous-tendu un discours dans lequel la dénonciation de la «caste politique» a été accompagnée de propositions distinctes, comme la défense ferme des droits sociaux, la dénonciation du «sauvetage» des banques et de la dette illégitime ainsi que la revendication de la souveraineté et du droit à décider [c’est-à-dire de mener une consultation en faveur de l’indépendance, en particulier en Catalogne].

Son entrée au Parlement européen avec 5 représentant·e·s a provoqué une inquiétude parmi les partis du régime et les médias de droite. Mais cette entrée donne également à PODEMOS une responsabilité énorme face à l’espoir de changement provoqué en aussi peu de temps sur le thème: «oui, on peut» non seulement résister, mais mettre un terme à la dictature du 1%. Avec son irruption comme quatrième force politique à l’échelle de l’Etat espagnole, il se voit aussi obligé de se convertir en tant que référence pour de nouveaux regroupements et de convergences avec d’autres forces sociales et politiques dans la perspective d’une mobilisation dans la rue et de la préparation des prochaines élections autonomes et municipales.

• Izquierda Unida (une alliance avec d’autres forces similaires au sein de la candidature de l’Izquierda Pluaral) est passée de 3,71% en 2009 à 9,99% des voix, avec un total de 1’555’275 votes et 6 sièges. La Gauche unie (IU) est parvenue, par conséquent, à tripler ses résultats, mais n’a pas pu masquer son incapacité à se connecter avec des secteurs sociaux significatifs qui, en cette occasion, ont opté pour PODEMOS, en particulier dans des lieux aussi emblématiques que Madrid. Il est donc probable que s’enclenche également au sein de ce parti un processus de réflexion sur la nécessité d’une convergence avec PODEMOS qui, pour être crédible, devrait impliquer une mise en question de sa participation à des gouvernements, comme en Andalousie, aux côtés du PSOE, une débureaucratisation interne et une sensibilité plus importante devant les revendications de nouvelles formes de faire de la politique qui depuis longtemps proviennent des différents acteurs sociaux (15M, Plateforme contre les expulsions de logement, les Mareas, les Marches de la Dignité…) qui ont émergé au cours des trois dernières années.

• La troisième donnée nouvelle, bien qu’attendue, réside dans la transformation d’ERC (Gauche républicaine catalane) en première force électorale en Catalogne, avec 23,67% des voix contre 9,2% en 2009, devançant CiU (Convergence et union) [3], qui est passée de 22,44% à 21,86%. Il faut ajouter à ces deux partis la montée d’ICV-EUiA [Iniciativa per Catalunya Verds-Esquerra Unida i Alternativa] qui a passé de 6,08% à 10,30%; cette formation est aussi en faveur du droit à l’autodétermination de la Catalgone. Le total du vote de ces forces s’élève à 55% alors que ceux opposés à l’indépendance (PSC, PP et Ciutadans) cumulent un peu plus de 30% des voix. Se confirment ainsi la montée du mouvement souverainiste et indépendantiste ainsi que la progression d’une ferme volonté d’appeler à une consultation [un référendum] le 9 novembre 2014.

• Dans le Pays basque, EH Bildu – avec 2,08% des voix et devenant à Naforroa [en Navarre] la première force politique – obtient un siège, réaffirmant son projet indépendantiste. Primavera Europea – une alliance entre Compromís (coalition d’une formation venant d’IU et d’une autre issue du nationalisme valencien), Equo (lié aux Verts européens) et Chunta Aragonesista – a obtenu un siège, avec 1,91% des voix.

Face à cet ensemble de forces, d’autres comme Unión Progreso y Democracia (UPyD) (avec 6,49& des voix et 4 sièges) et Ciudadanos (avec 3,16% et 2 sièges) ont obtenu une présence parlementaire, dont les caractéristiques propres reposent dans la prétention de se situer à la marge de l’axe gauche-droite et en faveur de la défense d’un nationalisme espagnol laïc, mais belliqueux face aux nationalismes «périphériques» et affirmant un rejet radical de la corruption.

• Nous entrons donc ainsi dans une nouvelle phase politique au sein de laquelle l’affaiblissement des piliers fondamentaux du régime et la montée de nouvelles forces qui se réclament de «l’esprit du 15M» peuvent aider à renouer et à intensifier la mobilisation sociale sur le chemin qu’elle avait déjà initié lors des Marches de la dignité du 22 mars dernier, avec pour but de faire reculer ce gouvernement et la Troïka pour ce qui touche à ses politiques «austéricides».

En résumé, ainsi que l’a bien indiqué Josep María Antentas (dans le quotidien Publico) d’Izquierda Anticapitalista: «C’est le moment de travailler pour articuler une majorité politico-sociale anti-austérité et favorable à l’ouverture de processus constituant(s) démocratiques qui rompent les chaînes forgées par la peur en 1978» [date de l’adoption de la Constitution lors du processus de sortie du franquisme]. Un horizon nécessaire qui passe par la compréhension, ainsi que l’écrit également Antentas, que la consultation catalane du 9 novembre est loin d’être «l’affaire» des seuls Catalans, puisque «si Rajoy est défait en Catalogne, il sera blessé à mort comme le sera le régime dont il est le garant». (Article publié le 26 mai 2014 sur le site Viento Sur. Traduction A l’Encontre)

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[1] Selon les indications publiées le lundi 26 mai, si les élections européennes avaient été des élections législatives, cela aurait donné les résultats suivants: le PP perdrait 49 sièges (à 137), le PSOE 3 (à 107, mais c’était une chute énorme en 2011), IU en gagnerait 13 (à 24) ; PODEMOS en aurait 19, et la « gauche républicaine catalane » (ERC): 12 (à 15).

[2] Dans les déclarations du leader de PODEMOS Pablo Iglesias, les allusions sont nombreuses au fait de lutter contre «la colonisation de la part de l’Allemagne».  On y retrouve le thème d’un combat des «peuples du sud» contre ceux du nord (ou de l’Allemagne). Dans la mesure où la notion de citoyenneté a une connotation le plus souvent aclassiste, le piège d’un souverainisme de gauche n’est pas absent de l’orientation du principal porte-parole de PODEMOS. (Réd. A l’Encontre)

[3] Parti de droite, qui est à la tête de la communauté autonome et qui mène une politique d’austérité. Artur Mas, leader de CiU, est président de la Généralité de Catalogne depuis décembre 2010. Il a remplacé la figure bourgeoise catalane Jordi Pujol. (Réd. A l’Encontre)

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