Catalogne. Référendum ou référendum?

La Diada, le 11 septembre 2016 à Barcelone
La Diada, le 11 septembre 2016 à Barcelone

Par Martí Caussa

Référendum négocié avec l’Etat [espagnol] ou, si ce n’est pas possible, un référendum convoqué par la Generalitat [l’exécutif de la Communauté autonome de Catalogne] sur la base de la légalité catalane. C’est là la principale nouveauté du débat sur la question du vote de confiance au président Carles Puigdemont (élu en janvier 2016) qui s’est déroulé les 28 et 29 septembre. Sur cette base, le président a obtenu le soutien de la majorité du Parlament, grâce aux 62 suffrages de sa coalition [1], auxquels se sont ajoutées les 10 voix de la CUP [Candidature d’unité populaire, formation de la gauche radicale catalane indépendantiste qui réunit plusieurs organisations]. C’est de cette façon que l’unité des forces indépendantistes s’est reformée alors qu’elle avait été fortement compromise par le veto que la CUP a opposé à l’adoption du budget et qui a été à l’origine du vote de confiance.

La proposition de négociation d’un référendum est valide pour tout gouvernement qui se forme au niveau de l’Etat et contient tous les points importants: la [formulation de la] question, la date, le quorum nécessaire, le délai qui devra s’écouler avant la tenue d’un nouveau référendum ainsi que la gestion des résultats.

Cette proposition ne paralyse toutefois pas l’activité de la majorité indépendantiste qui renouvelle l’engagement contenu dans la résolution du 9 novembre 2015 du Parlament qui doit culminer, à court terme, dans la création d’une république catalane indépendante. Le gouvernement espagnol peut altérer à tout moment ce processus s’il se résout à négocier un référendum. Il ne peut toutefois y mettre un terme s’il refuse d’en négocier la tenue. Le dilemme qui porte sur le type de référendum qui aura lieu dispose d’un délai pour sa résolution. En effet, Puigdemont a enclenché le compte à rebours lorsqu’il a annoncé que le vote sur l’indépendance se tiendra au cours de la seconde quinzaine de septembre 2017. Il reste donc moins de douze mois.

Les raisons du référendum

La proposition d’un référendum quelle que soit la situation ne figurait ni dans la feuille de route de Junts pel Sí, ni dans la résolution de novembre 2015 du Parlament, ni même dans les conclusions de la commission d’étude du processus constituant approuvées en juin dernier. Ces dernières mentionnaient un «mécanisme unilatéral» ambigu «de l’exercice démocratique qui aura pour objet d’activer la convocation de l’Assemblée constituante».

Le débat sur ce qui était appelé au départ un Référendum unilatéral d’indépendance (RUI) avait toutefois gagné une importance croissante. En particulier, depuis que l’ANC (Assemblée nationale catalane), la principale organisation de masse du mouvement indépendantiste, lors d’une consultation interne en juin 2016, a décidé d’«exiger des institutions catalanes qu’elles convoquent le peuple de Catalogne à un référendum afin de se prononcer sur l’indépendance.» Cette revendication figurait au centre des manifestations du 11 septembre [la Diada, soit le «jour nationale de la Catalogne» qui commémore la prise de la ville par les forces alliées aux Bourbons lors de la Guerre de Succession d’Espagne, en 1714], lesquelles, pour la cinquième année consécutive, ont réuni des centaines de milliers de personnes.

L’opportunité de ce référendum peut être défendue pour plusieurs bonnes raisons. En particulier, la légitimité démocratique insuffisante pour proclamer l’indépendance que représentent les 47,74% suffrages obtenus par les partis indépendantistes lors des élections du 27 septembre 2015, ainsi que la nécessité de s’appuyer sur le pourcentage très élevé (supérieur à 80%) de citoyens de Catalogne qui sont de l’avis qu’un référendum sur l’indépendance devrait être autorisé. L’argument décisif qui a remporté la conviction du président Puigdemont a toutefois été la mobilisation du 11 septembre. Une fois de plus, celle-ci a fourni la preuve que le gouvernement ne contrôle pas le mouvement. Au contraire, celle-ci est autonome et dispose d’une capacité de modifier la feuille de route du gouvernement. La majorité des moyens de communication opposés à l’indépendance expliquent le changement en affirmant que le gouvernement est l’otage des 10 députés de la CUP, sans lesquels la présidence ne dispose pas d’une majorité absolue. A mon avis, cependant, sans les mobilisations du 11 septembre, ces 10 députés n’auraient pas suffi à changer la feuille de route du gouvernement.

En réalité, le président Puigdemont a dû convaincre une partie significative de son propre parti, qui s’était opposé au référendum. C’était le cas en particulier de l’ancien président Artur Mas, du député Francesc Homs, ainsi que de certains membres de son propre gouvernement. Le président a compris que pour gouverner il devait chercher des consensus: en premier lieu avec le mouvement de masse indépendantiste; ensuite au sein de sa propre coalition, Junst pel Sí, autant avec ERC (la Gauche républicaine de Catalogne dont l’audience croît dans les sondages) qu’avec les indépendants; enfin, bien que cela lui soit désagréable, avec la CUP, car il ne peut se dispenser de ses députés.

Des difficultés pour l’unité du souverainisme

Le débat sur la question de la confiance a suscité un certain nombre d’espoirs quant à la possibilité d’aboutir à des progrès dans l’unité du souverainisme. C’est précisément la centralité qui est désormais dédiée au référendum qui la rendra possible.

Selon les sondages, une ample majorité de la société catalane (supérieure à 80%) est d’avis qu’un référendum sur l’indépendance doit être autorisé, bien qu’elle soit en désaccord sur le fait qu’il puisse être négocié ou qu’il puisse se tenir de façon unilatérale. C’est cette réalité que l’on a coutume de nommer par le terme de majorité souverainiste. Au sein de ce bloc, la majorité (environ 47%) est favorable à l’indépendance; ces indépendantistes ne se rencontrent pas seulement parmi les électeurs de Junts pel Sí et de la CUP puisque, selon le dernier sondage du CEO [Centre d’études d’opinion de la Generalitat], on y trouve 30,5% des électeurs de Catalunya Sí Que Es Pot, la coalition catalane à laquelle appartient Podem.

Carme Forcadell (présidente du Parlament) et Carles Puigdemont (président de la Generalitat)
Carme Forcadell (présidente du Parlament) et Carles Puigdemont (président de la Generalitat)

Le fait que Puigdemont place le référendum au centre du débat semblait augmenter les possibilités d’aboutir à un accord. En particulier parce qu’il est désormais clair qu’un gouvernement espagnol progressiste disposé à négocier un référendum ne constitue pas une possibilité à court terme. Le fait que cette année des représentants de Podem, d’En Comú Podem et de Barcelona en Comú aient participé et appelé à participer aux manifestations du 11 septembre paraissait de bon augure. Il n’en a toutefois pas été ainsi, Catalunya Sí Que Es Pot a voté en bloc contre lors du vote de confiance, comme cela avait déjà été le cas en juillet contre les conclusions de la Commission d’étude sur le processus constituant.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de débat ni d’approches plurielles dans le monde des «communs» [les forces autour de Podem et de la coalition animée par la maire de Barcelone, Ada Colau]. Il s’agit d’un monde hétérogène et dont les expressions sont diverses. Barcelona en Comú constitue la liste de convergence qui a remporté les élections municipales et qui administre la ville en accord avec le Parti socialiste catalan. Catalunya Sí que Es Pot est une coalition qui compte 11 députés au parlement catalan et qui défend un référendum uniquement s’il est négocié. En Comú Podem est une coalition qui compte 12 députés au parlement espagnol qui figurait en tête en Catalogne et dont la défense d’un référendum était forte. Des membres importants de toutes ces organisations ont rendu public des points de vue différents. L’éventail d’avis est des plus amples. Il va de Joan Coscubiela [secrétaire du syndicat CCOO de Catalogne entre 1995 et 2008, membre d’Iniciativa per Catalunya-Verds, le pendant catalan d’Izquierda Unida] qui a annoncé qu’il ne participerait pas aux manifestations du 11 septembre ; en passant par Jaume Asens [adjoint d’Ada Colau à la mairie de Barcelone, c’est un avocat qui a assuré la défense de plusieurs personnalités de la gauche radicale, autant en Catalogne qu’au niveau de l’Etat espagnol] qui admet la possibilité d’un référendum qui ne soit pas agréé par l’Etat espagnol.

Les 5 et 6 octobre [voir addenda ci-dessous] le Parlament catalan débattra de la politique générale. Cela sera, peut-être, l’occasion d’aboutir à un accord. Il a été dit, par exemple, que Junts pel Sí pourrait appuyer deux résolutions concernant le référendum: une avec la CUP et l’autre avec Catalunya Sí Que Es Pot dans laquelle il ne serait pas précisément indiqué que le référendum peut uniquement être négocié avec l’Etat espagnol.

Le débat sur le budget et la pression exercée sur la CUP

Le vote de confiance demandé par Puigdemont trouve son origine dans le fait que la CUP a présenté un amendement à l’ensemble du budget 2016, ce qui n’a pas permis qu’il soit discuté en réunion plénière. Pour cette raison, le président a tenu des propos très durs: «soit le budget est adopté […] soit je ferai usage de mon pouvoir pour convoquer des élections. Je conseille donc à ceux qui n’ont pas l’intention d’approuver le budget qu’ils nous fassent gagner du temps et nous évitent de l’incertitude, que demain ils me refusent la confiance que je réclame.» 

Tout indique cependant que ne se reproduiront pas les difficultés antérieures, que l’on négociera avec la CUP et que les comptes ne seront pas transmis au Parlament avant que ne soient obtenues des garanties qu’ils seront débattus en plénière et que c’est là que la CUP présentera ses amendements. Au cours de ce débat, les différences en matière de politique économique et sociale qui existent entre Junts pel Sí, d’un côté, et, de l’autre, la CUP et Catalunya Sí Que Es Pot seront mises en évidence. Il nous faudra attendre le mois de novembre pour les connaître.

Quelques mots sur les perspectives en Catalogne et en Espagne

Pour les prochains mois, le plus probable est un approfondissement du conflit entre le mouvement indépendantiste catalan et l’Etat espagnol.

Il semble, d’un côté, très improbable que se manifeste un changement d’attitude envers le droit à décider et un référendum sur l’indépendance en Catalogne de la part des partis qui s’y opposent frontalement: le PP, Ciudadanos et le PSOE. Il semble également très improbable, de l’autre, d’assister à une démoralisation du mouvement indépendantiste, que cela soit en raison de divisions internes ou à cause de la répression ou même d’une combinaison des deux.

Dans ces conditions, si le mouvement indépendantiste ne souhaite pas boiter, il ne lui reste pas d’autre option que d’aller plus loin sur le chemin de la désobéissance civile face à l’Etat [espagnol]. Ou, ce qui revient au même, d’affirmer une obéissance exclusive aux institutions catalanes, ainsi qu’il l’a fait: lors de la consultation du 9 novembre 2014; par l’adoption de la résolution du 9 novembre 2015 par le Parlament; par l’approbation des conclusions de la Commission d’étude sur le processus constituant le 19 juillet 2016. Et, comme le gouvernement n’entend pas modifier sa route, il optera pour réprimer la désobéissance, ainsi qu’il a déjà commencé à le faire. Ainsi, concernant la consultation du 9 novembre, il a lancé une procédure en justice contre Artur Mas, Joana Ortega, Irene Rigau et Francesc Homs. L’Audience nationale [haut tribunal dont le siège est à Madrid avec une juridiction s’étendant à tout le pays et qui intervient dans des «cas graves»] a envoyé des injonctions à environ 300 municipalités. Enfin, le gouvernement a demandé au Tribunal constitutionnel d’engager des poursuites pénales contre la présidente du Parlament, Carme Forcadell.

Si, ainsi que cela semble probable, la crise gagne en intensité, elle n’affectera pas uniquement la Catalogne, mais bien toute la société espagnole, car il ne sera pas possible de se détourner lorsque la répression passera de la menace à la réalité. Il s’agira d’une répression contre des revendications démocratiques et contre des formes de désobéissances pacifiques, une répression qui serait parfaitement évitable sans commettre des actes «illégaux» (ce sur quoi sont d’accord de nombreux juristes pour ce qui a trait à la question du référendum), simplement avec la volonté d’élargir la démocratie rachitique que nous a laissée la Transition. Car accepter le droit à décider et résoudre des questions importantes par le biais de référendums est non seulement une forme adéquate pour trancher le type de relation entre la Catalogne et l’Espagne, mais aussi sur de nombreuses autres questions. Comment faire face à la dette sans recourir à la réforme expresse [d’août 2011] de l’article 135 de la Constitution? Comment assurer un droit au logement ou des solutions alternatives que des coupes budgétaires dans les soins et l’éducation et d’autres secteurs? Le conflit catalan a mis sur la table la nécessité d’une démocratie meilleure et plus étendue, il indique qu’il faut cesser d’utiliser la Constitution comme un blindage contre la participation des gens sur des questions décisives, qu’il faut mettre un terme aux modifications antidémocratiques décidées par quelques-uns et ouvrir la voie à la participation populaire au sein d’un processus constituant.

La résolution du conflit entre la Catalogne et l’Etat espagnol et l’élargissement de la démocratique sont deux aspects intimement liés. Tout dépendra de la réaction de la société civile, des gens de Catalogne et d’Espagne. (Article publié le 5 octobre sur le site VientoSur.info; traduction A L’Encontre)

Addenda, 7 octobre

J’indiquais, dans l’article ci-dessus, que le débat de politique général des 5 et 6 octobre pourrait être l’occasion d’un accord entre les différentes composantes souverainistes. Il en a été ainsi. Catalunya Sí Que Es Pot s’est abstenu sur la résolution portant sur le référendum présenté par Junts pel Sí et la CUP, laquelle ratifie et concrétise ce qui a été approuvé lors du vote de confiance: référendum ou référendum [c’est-à-dire, négocié ou unilatéral]. De son côté, la CUP s’est abstenue et Junts pel Sí a voté en faveur de la résolution présentée par Catalunya Sí Que Es Pot qui propose: «regrouper autour de l’exigence de référendum le plus grand nombre de forces… » et que ce référendum dispose «des garanties les plus étendues visant à inclure l’ensemble de la société catalane, qu’il stimule la participation la plus vaste et cherche à obtenir la reconnaissance préalable de l’Union européenne et de la communauté internationale.» La principale nouveauté de cette dernière résolution, c’est qu’elle ne dit pas explicitement que le référendum doit être négocié avec l’Etat; elle laisse en suspend la question de savoir s’il devra se tenir au cas où, malgré les efforts en ce sens, il n’obtient pas de reconnaissance préalable de la part de la communauté internationale. En résumé, les différences au sein du souverainisme restent importantes, mais il faut se féliciter du petit pas en avant unitaire qui a été réalisé et faire en sorte qu’il se traduise en une activité pratique commune. (Marti Caussa, 7 octobre 2016; traduction A l’Encontre)

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[1] Junts pel Sí : coalition formée par la Gauche républicaine de Catalogne, le Parti démocrate européen catalan (présidé par Artur Mas, nouveau nom adopté, en juillet, par la Convergence démocratique de Catalogne) et soutenu par les puissantes organisations indépendantistes que sont l’Assemblée nationale de Catalogne et Omnium. (Réd. A l’Encontre)

 

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