«Chercher à plaire au marché par la rigueur est une erreur»

Entretien avec Alfredo Calcagno

Nous publions ici cet entretien conduit par Alain Faujas pour une raison fort simple. Un économiste de la Cnuced, Alfredo Calcagno, d’un point de vue keynésien peu exacerbé, met en cause les dogmes qui structurent la politique régressive et désastreuse des gouvernements européens. De quoi susciter, peut-être, une réflexion critique parmi des fractions de membres de la «social-démocratie». (Rédaction)

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La conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) a publié, mardi 6 septembre, son « Rapport 2011 ». Alfredo Calcagno, l’un des responsables de ce travail, explique pourquoi les politiques de rigueur des pays industrialisés ne s’attaquent qu’aux symptômes et risquent même d’aggraver la crise.

Pourquoi la Cnuced accuse-t-elle le Fonds monétaire international (FMI) de précipiter la récession?

La politique de resserrement budgétaire que le Fonds a préconisée repose sur un diagnostic erroné. Il prétendait que l’économie mondiale était repartie et qu’il était temps de rassurer les marchés inquiets de la dette publique accumulée.

Nous, nous pensions que le secteur privé n’avait pas redémarré en raison de la montée du chômage et de la stagnation du pouvoir d’achat. Il ne fallait donc pas retirer les aides quand les ménages se désendettaient et consommaient peu, les banques leur prêtant moins. Tout concourt à étouffer la demande et la croissance.

Chercher à plaire aux marchés par la rigueur, comme le préconise le FMI, est une erreur. Ceux-ci savent qu’elle empêchera le remboursement des dettes. Pour recouvrer leur confiance, il faut le retour de la croissance. Tout programme ne comportant pas de redémarrage en Grèce est voué à l’échec. On ne freine pas sur le verglas.

Qu’est-ce qui fonde votre avis?

En 1998, l’Argentine était en récession et ne parvenait pas à s’en sortir. Le FMI et le gouvernement d’alors ont dit qu’il fallait rassurer les marchés par une loi «déficit zéro», un peu votre «règle d’or» en projet. Elle fut votée en 2001 et obligea à tailler les dépenses, notamment en baissant de 13% les salaires des fonctionnaires: les recettes de TVA chutèrent de 33% et le déficit empira. Aujourd’hui, le budget argentin est ultra-expansionniste et n’est plus déficitaire. Une loi du Parlement ne peut pas déroger aux règles de l’économie.

Voulez-vous dire que tout déficit budgétaire est bénéfique?

Je ne dis pas que qu’il ne faut rien faire pour contenir un déficit, mais que celui-ci n’est pas à considérer a priori. Pour préserver la relance, on peut jouer sur la composition de la dépense et de la recette.

Par exemple, on sait que les plus défavorisés ont une propension à consommer supérieure à celle des riches. Leur rendre du pouvoir d’achat par le biais de soutiens sociaux est un multiplicateur plus efficace que la baisse des taux d’intérêt. En revanche, baisser les impôts des plus fortunés renforcera leur épargne au détriment de la croissance.

Cela signifie-t-il que la Cnuced est peu favorable aux positions des républicains américains qui veulent réduire recettes et dépenses publiques?

Ils préconisent une mauvaise politique. Certes, il y a beaucoup de progrès à faire du côté des dépenses du budget américain, mais revenir sur les cadeaux fiscaux de l’administration Bush aux riches contribuables aurait amélioré les comptes de l’Etat fédéral sans peser sur l’économie.

Ne dit-on pas qu’une dette dépassant 90% du PIB asphyxie l’économie?

Cette généralisation n’est pas sérieuse. La dette nippone a dépassé les 200% avec un taux d’intérêt nul et le Japon paie moins d’intérêts que le Brésil dont le taux d’endettement est de quelque 60%, mais avec l’un des taux d’intérêt les plus élevés du monde.

Pourquoi votre rapport incrimine-t-il les banques au sujet du marasme qui affecte l’Europe?

Elles n’ont pas pris les mesures pour éviter un retour de la crise. Les préconisations de Bâle III [les nouvelles règles prudentielles des banques] n’empêchent pas le shadow banking, ces entreprises, tels les hedge funds, fonctionnant avec peu de capitaux et transformant les dettes en titres financiers.

La directrice du FMI, Christine Lagarde, ne va-t-elle pas dans votre sens en appelant les banques européennes à se recapitaliser pour affronter les risques de défaut des Etats?

Ce n’est pas qu’une question de capital. Les quatre banques américaines qui se sont trouvées en difficulté en 2008-2009 affichaient un ratio de capitalisation supérieur à la moyenne. La question est: qu’est-ce que les banques financent et comment? Avant la crise, elles ne se demandaient pas si l’emprunteur était solvable, mais comment refiler cette créance douteuse à leur voisin.

Il faudrait de la diversité bancaire et réintroduire des établissements postaux ou mutualistes, afin  d’en finir avec la monoculture financière qui rend le système pro-cyclique, toutes les banques achetant et vendant ensemble. Il faut revenir à la banque traditionnelle qui gagne sa vie de la différence entre le taux auquel elle emprunte et celui auquel elle prête, après avoir vérifié le risque.

Actuellement, elle fait supporter celui-ci par le client ou par l’Etat, selon le principe «pile, je gagne; face tu perds». Seule une régulation mettra de l’ordre dans la grande pagaille qu’est devenue la finance mondiale.

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Cet entretien a été publié dans le quotidien français Le Monde en date du 8 septembre 2011.

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