Ecologie. Irma. «La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent…»

Alexandre Araújo Costa

«Combien de fois un homme doit-il regarder en l’air avant de réussir à voir le ciel ?
Oui, et combien d’oreilles un homme doit-il avoir pour pouvoir entendre pleurer les gens?
Oui, et combien faudra-t-il de morts pour qu’il comprenne que beaucoup trop de gens sont morts?
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent!
La réponse est soufflée dans le vent… »

Bob Dylan

La réponse se trouve dans les vents d’Irma soufflant à 297 km/h, dans les 1200 millimètres de pluie provoqués par l’ouragan Harvey; dans les milliers de personnes qui ont péri dans les pluies du sud asiatique et d’Afrique. La réponse est en train d’être enfoncée dans la tête de l’humanité et de son élite capitaliste fossile.

Elle est en train de se mêler aux excréments des coquins qui infestent les réseaux sociaux de leur négationnisme climatique et elle est en train d’être peinte en grandes lettres même devant ceux qui, se disant les défenseurs d’un monde juste et allant jusqu’à parler de «socialisme , vendent la fausse idée selon laquelle il sera possible de financer la sortie de gens de leur condition de misère grâce au «passeport pour le futur» appelé le pré-sal [ressources pétrolières se situant à une très grande profondeur dans l’océan;choix des gouvernements de Dilma Rousseff et de Michel Temer] .

D’innombrables records ont été battus en moins d’un mois, à commencer par le déluge qui s’est abattu sur la côte du Texas. Selon une brève étude qui cherche à extrapoler la courbe de distribution de probabilités de précipitation accumulée, ce phénomène ne devrait se produire que tous les 25’000 ans, et en certains points, la chance d’occurrence étant de moins de 0,0002%, seulement tous les 500’000 ans!

A certains endroits du Texas, les pluies qui ont été déversées lors de l’ouragan Harvey seraient, théoriquement, de celles qui ne se produisent que tous les 540’000 ans!

Avec Irma et José déjà en scène, nous avons eu pour la première fois dans l’histoire trois ouragans consécutifs qui ont atteint la catégorie 4 et plus. Pour la première fois, un CAT5 (Irma) a atteint Cuba. Egalement pour la première fois, deux CAT4 (Harvey et Irma) ont débarqué sur le territoire des Etats-Unis au cours de la même année.

Irma est l’ouragan qui a eu la vie la plus longue et celui qui a produit le plus d’énergie cinétique depuis le passage d’Ivan (en 2004), avec un total d’énergie équivalent à la moyenne de toute une saison d’ouragans. Au-delà de cela, le 8 septembre 2017 est entré dans l’histoire comme étant le jour où il y a eu, de toute l’histoire, le plus d’énergie dans des ouragans sur l’Atlantique.

Nous sommes encore en septembre, la saison des ouragans est encore devant nous, et le nombre de jours accumulés connaissant des ouragans de grande portée (catégorie 3 ou plus) sur l’année 2017 se trouve déjà au troisième rang dans le registre historique (juste derrière deux désastres lointains en 1899 et 1933). Les vents d’Irma, qui atteint les 297 km/h, ont été les plus intenses jamais enregistrés dans la partie ouverte du bassin de l’Atlantique (ils figurent en seconde position, derrière Allen, si l’on considère le bassin entier, celui qui inclut la Mer caraïbe et le Golfe du Mexique). Avec trois jours consécutifs en catégorie 5, Irma n’a pas connu d’adversaire dans ce petit morceau d’océan.

Laissons la physique de côté et ne nous fatiguons pas à expliquer ce qui est relativement simple. Sur de l’eau chaude, l’air humide est chauffé et produit des nuages, générant une basse pression sur la surface de l’océan. Du fait de la combinaison entre l’« effet de Coriolis » provenant de la rotation de la Terre et la chute de la pression atmosphérique (une zone dite dépressionnaire [1], cela produit des vents horizontaux qui extraient plus de vapeur et d’énergie de l’océan. Ainsi, le phénomène évolue, passant par des phases de dépression ou de tempête tropicale, jusqu’au moment où arrive l’ouragan, avec des vents à plus de 119 km/h (CAT1) et la formation de l’œil de l’ouragan.

En d’autres termes, l’ouragan surgit et se maintient aussi longtemps qu’il y a de l’eau chaude au-dessous de lui. Il peut alors éventuellement parvenir à la CAT3 (vents de plus de 178 k/h), ce qui est la limite pour être classifié comme étant « de grande intensité » ou, comme dans le cas d’Irma, entrer dans une catégorie plus élevée encore, la CAT5, dans laquelle entrent les vents excédant 252 Km/h.

De gauche vers la droite: Kátia, Irma et José

En ce moment, la planète connaît un déséquilibre énergétique dû à l’excès de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, avec un point culminant pour le CO2 de 2,29 W/m2 (watts par mètre carré, mesure d’intensité de l’énergie solaire). Cette chaleur équivaut à l’explosion de 18 bombes d’Hiroshima chaque seconde. Et où le 93% de celle-ci s’accumule-t-il justement? Dans les océans, puisque par la chaleur spécifique de l’eau accumulée, les océans fonctionnent comme le plus grand réservoir thermique de la planète.

Mais même dans leur gigantisme, les océans terrestres ne parviennent pas à accumuler l’énergie indéfiniment et à un certain moment, ils ont besoin de la libérer vers l’atmosphère. Quant aux ouragans, avec la grande quantité d’énergie thermique convertie en énergie cinétique et la libération d’une chaleur latente dans les portions supérieures de l’atmosphère, ils sont très efficaces dans ce sens. En somme, que pouvons-nous espérer d’un monde recouvert à 71% par des océans si ceux-ci se réchauffent? La réponse est évidente : les conditions deviennent non seulement plus favorables à la formation d’ouragans, mais aussi plus favorables à la formation d’ouragans de plus en plus intenses.

De là, si le combustible pour les ouragans est l’eau chaude, la libération irresponsable de gaz à effet de serre qui réchauffent les océans est une garantie d’approvisionnement énergétique pour ceux-ci. Le fait d’approvisionner des voitures, des camions et des centrales thermoélectriques avec du charbon, du gaz et des dérivés du pétrole consiste donc également à approvisionner ces terribles bêtes. La relation avec le réchauffement global est cristalline et nier un tel fait est une démonstration d’ignorance pure et simple. Mais c’est clair, à l’ère du narcissisme virtuel, il y a des gens qui se réjouissent de leur propre folie.

La bataille continue et il faut vaincre les médias et le négationnisme sur les réseaux sociaux, ceux dont le but n’est que d’éviter, quelle que soit la grandeur des évidences, que la société s’aperçoive de la dimension du risque climatique et de l’urgence qu’il y a à affronter la question. En pleine période de deuil et d’efforts de reconstruction matérielle dans les petites îles caribéennes, à Cuba et aux Etats-Unis, croyez-le, ils disent cyniquement que nous ne devons pas parler de réchauffement global en ce moment, «par respect». Pour le Titanic, ils auraient probablement dit que ce n’était pas le moment de parler d’icebergs! Cyniques, ils veulent que rien ne change! Sur ce même Titanic, ils auraient sans doute demandé avec insistance à l’orchestre de continuer de jouer…

Même leur instinct d’auto-préservation de classe (de riches) est précaire, Ils gardent donc l’illusion qu’ils hériteront le monde. Sur le Titanic encore, ils ordonneraient de verrouiller les cales, confiants dans le fait que rien ne va leur arriver. Plus ridicule encore, ils ont leurs chiens de garde négationnistes, ces fous qui continuent à nier. Sur le Titanic, face à un immense iceberg, ils affirmeraient : «Vous pouvez continuer à avancer. Ce bateau est insubmersible!» (Article publié dans Correio da Cidadania; traduction A l’Encontre)

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Alexandre Araújo est un scientifique auteur du blog «Que feriez-vous si vous saviez ce que je sais?»

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[1] L’unité de pression s’appelle l’ «hectoPascal», abrégé par hPa, la pression normale par beau temps est de l’ordre de 1035 hPa au niveau de la mer. Une baisse de pression de -1 hPa provoque une montée de la mer de 1 cm. Or, un cyclone provoque assez classiquement une chute de pression entre 50 et 80 hPa dans sa zone, donc le niveau de l’eau peut monter de 50 à 80 cm. L’eau monte parce qu’en dehors du cyclone, la pression atmosphérique reste aux environs de 1035 hPa. A cette montée des eaux, il faut encore ajouter les vagues dont les creux peuvent atteindre plusieurs mètres en plus des vents de plus de 200 km/h. (Réd. A l’Encontre)

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