Obama, les chemisiers explosifs, les drones, les civils «collatéraux». Et les ambassades qui ouvrent à nouveau leurs portes après le ramadan

Drone Predator, un des ceux utilisés par l'armée états-unienne pour ses attaques au Pakistan ou au Yémen.
Drone Predator, un des ceux utilisés par l’armée états-unienne pour ses attaques au Pakistan ou au Yémen

Le mercredi 7 août 2013, la presse annonçait que, selon les responsables de tribus dans le sud du Yémen, sept membres présumés d’Al-Qaida ont été tués dans une attaque menée par un drone [1], probablement américain, ce même jour à l’aube. Il s’agissait de la cinquième attaque du genre depuis le 28 juillet. Elles avaient fait 24 morts. Le 6 août quatre hommes se déplaçant à bord d’un véhicule ont été visés par un drone. Il a été détruit par plusieurs missiles selon le témoignage d’un responsable tribal. Cette attaque est intervenue alors que les Etats-Unis ont placé leurs représentations diplomatiques en état d’alerte dans plusieurs pays du Moyen-Orient dont le Yémen. Elles seront fermées par la suite. Un grand déploiement médiatique, scénarisé, indiquant combien Obama est plus décidé, en «matière sécuritaire» (et d’espionnage de tout type), à protéger les Etats-Unis (de quoi exactement?) que W. Bush.

Le «bug» de Benghazi (dans l’est de la Libye), sous le règne d’Hillary Clinton, le mardi 11 septembre 2012 – attentat contre la représentation des Etats-Unis, avec la mort de quatre fonctionnaires américains, dont l’ambassadeur – a été le déclencheur d’une contre-attaque politique publique. Le système de surveillance (PRISM et Xkescore qui analysent les contenus des mails, des sites visités, etc.) et la «chasse» au terrorisme au moyen de drone existent depuis longtemps. Les «raisons officielles» de tout cela devaient être étalées au «grand jour». Un véritable TJ, presque aussi croquignolesque que le TJ de la Radio Télévision de Suisse romande (mis à part ses enquêtes sérieuses sur le secret du fromage d’Appenzel).

Le 9 août 2013, la Maison-Blanche annonçait accroître le nombre de fermetures des ambassades dans de nombreux pays. Avec une unanimité digne du commandement de l’OTAN, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France «hollandaise», l’Allemagne ont fermé leurs ambassades; il n’est vrai qu’au Yémen. Le Yémen, pays privilégié, avec le Pakistan, d’attaques répétées de drones états-uniens dans leur dite «guerre contre Al-Qaida». Trois, pour le seul jeudi 8 août, avec 12 morts.

Selon le Département d’Etat, en date du 5 août 2013, dix-neuf représentations diplomatiques sont fermées. Parmi les dernières vouées à des vacances forcées on trouve celles de l’île Maurice, de Madagascar, du Burundi, du Rwanda. Le 10 août elles seront ouvertes à nouveau, avec plus de précision horaire que les cibles attaquées par les drones.

_60856628_yemen_jaarLa presse anglo-saxonne s’étonne qu’au Pakistan les «menaces spécifiques» concernent leur représentation à Lahore, une ville qui n’a pas connu d’attentat à l’opposé de Karachi, Peshawar ou Quetta. Est-ce une application erronée de la théorie mathématique des probabilités qui a conduit à cette décision?

Plus sérieusement, un journaliste, le 18 juillet 2013, rapportait cette interrogation du Yémen: «Une réponse, juste une réponse à cette question: pourquoi son fils et son petit-fils ont été tués? C’est tout ce que tente d’obtenir Nasser al-Awlaki, universitaire et ancien ministre de l’Agriculture yéménite. En septembre 2011, Anwar, son fils, suspecté d’être en relation avec Al-Qaida, est tué par un tir de drone américain au Yémen. Il n’y avait ni preuve de son implication, ni crime à son actif.
Deux semaines plus tard, c’est Abdulrahman, son petit-fils de 16 ans, qui est à son tour tué dans les mêmes conditions. Né à Denver, aux Etats-Unis, Abdulrahman était un adolescent américain typique: il écoutait Snoop Dogg, regardait Les Simpson et lisait Harry Potter. Il y a deux ans, Nasser al-Awlaki a écrit au président Obama pour savoir pourquoi les Etats-Unis avaient tué sans raison deux de leurs concitoyens. Il attend toujours la réponse. Il espère maintenant que les efforts de transparence promis par le gouvernement Obama permettront de l’obtenir. Dès vendredi 19 juillet 2013, Nasser al-Awlaki déposera une requête et ce sera donc à la Cour fédérale de Washington de répondre à cette demande de transparence.» Il attend toujours.

La BBC, le 8 août 2013, dans un reportage de Yalda Hakim, rapportait qu’un mécanicien, Mohamed Ahmad Bagash, vivant près de la ville de Jaar, reconnaissait qu’Al-Qaida (ou du moins ce qu’il qualifie comme tel) avait déposé des munitions dans un hôpital contre la volonté des médecins. Par la suite, «un missile tomba sur l’hôpital et Mohammed ainsi que ses deux enfants ont couru se protéger dans l’école, en se cachant dans les soubassements. Mais, par la suite, l’école fut détruite par un missile présumé tiré par un drone. “C’était comme si tout le monde brûlait. C’était tout noir”, déclarait Mr Bagash. “Quand la fumée s’est dispersée, J’ai vu la jambe d’un de mes fils saigner, et ma fille était frappée derrière la tête.”» Le récit continue: «Il sortit les deux enfants. Son fils survivait, mais sa fille âgée de huit ans a saigné à en mourir sur le chemin de l’hôpital. “Alors qu’elle saignait, elle est devenue jaune. Elle s’est rétractée dans mes bras” dit-il.» De nombreux enfants ont été blessés dans cette seule attaque.» Selon des reportages sérieux de la BBC, dans la région du sud Yémen, si Al-Qaida est blâmé et surtout ceux qui le financent, la guerre des drones suscite plus d’ennemis étant donné les destructions matérielles et humaines provoquées par leurs missiles d’une «précision» redoutable pour ceux qui en sont les victimes. Zéro mort dans les 63 bases de lancement de drones comptabilisées, en juin 2012 (plus depuis celles installées dans divers pays, entre autres en Afrique), des milliers de morts et blessés dans ces pays que les guerres impérialistes, avec leurs sous-traitants régionaux, ont offert comme chaudrons favorables aux développements (politiques, militaires, religieux) d’un djihadisme – souvent de revanche – qui n’apporte rien aux populations, qui produit une autre oppression, mais qu’il ne faut pas confondre dans ses origines et ses méfaits (plus d’une fois, encouragés par les Etats impérialistes et coloniaux, comme prétendus contre-feux) avec une politique coloniale et impérialiste issue d’une «domination dite civilisatrice» datant de plusieurs siècles dans cette région. Dans ce sens, la revue de presse publiée ci-dessous démontre la réaction d’un journaliste qui tente, fort bien, de démêler l’information. (Rédaction A l’Encontre)

[1] Voir à ce sujet l’ouvrage Théorie du drone. La fabrique des automates politiques. Editions la Fabrique, 2013. Grégoire Chamayou est agrégé de Philosophie, chercheur au CNRS, au laboratoire Cerphi de l’ENS Lyon. A lire au moment où tous les Etats revendiquent l’acquisition de drones. (Réd. A l’Encontre)

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Par Eric Biegala

Si le but ultime d’Al-Qaida est bien de terroriser l’Amérique… là on peut dire que c’est parfaitement réussi! En quelques jours, depuis l’annonce de la fermeture préventive d’une vingtaine (ou plus) d’ambassades le week-end du 3 et 4 août, toute l’Amérique bruisse de rumeurs, d’alertes, de contre-feux, mais aussi de célébrations du désormais célèbre programme d’écoute PRISM qui aurait empêché… Qui aurait empêché quoi exactement? Nul ne semble en mesure de le dire.

La palme de l’histoire qui a fait le plus peur revient sans doute au site web de la chaîne de télévision ABC News qui, lundi soir, commet un long article expliquant que les fonctionnaires de sécurité américains redoutent un nouveau mode d’attaque, à base de vêtements explosifs, indétectables par les portiques de sécurité et qu’un kamikaze pourrait faire détonner n’importe où, de préférence au milieu d’une foule. «On craint qu’Al-Qaida ne puisse utiliser une nouvelle génération d’explosifs liquides; la tactique permettrait aux terroristes, explique le site d’ABC, de tremper un vêtement ordinaire dans ce liquide pour le transformer en explosif une fois sec.» Et le site en ligne – citant d’anonymes experts du gouvernement US – d’expliquer que la technique a été mise au point par le fameux Ibrahim Al Asiri, l’artificier en chef d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique, basée au Yémen: la branche la plus redoutée de l’administration américaine.

Parce que c’est du Yémen qu’est parti semble-t-il l’alerte principale, le réseau d’espionnage américain y ayant intercepté une communication du chef d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri ordonnant à la branche yéménite de lancer une attaque importante ces jours-ci.

Alors bien sûr, rappellent en cœur tous les médias américains, l’artificier Ibrahim Al-Asiri s’est fait connaître pour l’ingéniosité de ses bombes et le correspondant «sécurité» de la BBC Franck Gardner d’énumérer: «l’une cachée dans les sous-vêtements d’un jeune Nigérian; elle aurait dû exploser dans un avion à l’atterrissage sur Detroit en 2009; les passagers du vol ont empêché le kamikaze de faire détonner l’engin. L’autre suffisamment petite pour être cachée dans l’aine ou peut-être même le rectum d’un autre kamikaze, le propre frère de l’artificier, qui effectivement s’est fait exploser devant le chef des services de renseignement saoudiens quelques mois plus tard. Mais la cible n’a été que légèrement blessée à la main…

«Pour l’Occident, explique encore Franck Gardner, Al Qaida dans la péninsule Arabique est dangereuse 1/ localement pour les ambassades et les nationaux occidentaux vivant au Yémen 2/ Idéologiquement: c’est elle qui édite en ligne le « magazine terroriste » anglophone « Inspire » et 3/ elle est dangereuse globalement par sa capacité à placer des bombes dans des avions.»

«Cela dit, tempère Foreign Policy, l’histoire du “chemisier explosif”, c’est quand même un peu n’importe quoi…» d’abord rappelle le magazine, pour ingénieuses qu’elles soient les bombes imaginées par Al-Asiri n’ont pas eu l’effet escompté: la première, dans l’avion de Detroit, n’a pas fonctionné, quant à la seconde elle n’a fait que tuer le kamikaze qui la portait… et Foreign Policy de convoquer un expert en explosifs pour expliquer qu’un vêtement trempé dans un explosif c’est en effet plausible: «Le coton c’est du carbone et si on y ajoute un combustible, ça peut exploser», explique l’expert… Mais dès qu’il se mettra en mouvement le terroriste prendra un risque terrible: le vêtement va bouger se tordre, il y aura des frottements, des chocs, de l’électricité statique… toutes choses qui font qu’une bombe ça fait boum!; et elle n’aurait pas la puissance nécessaire pour tuer quelqu’un d’autre que ledit terroriste», affirme l’expert.

A se demander si l’on ne surjoue pas un peu la menace: «A quoi joue l’administration Obama?» demande par exemple le site en ligne Slate «La dramatisation autour de l’annonce d’une menace imminente d’attentats à l’étranger et sur le sol américain n’est pas sans rappeler l’utilisation politique pendant des années du risque terroriste par l’administration Bush…»
Et puis «si cette menace, qui ne s’est pas encore matérialisée, est bien réelle, elle pose un autre problème. Celui de la crédibilité des discours triomphants de l’administration Obama et du président lui-même annonçant la défaite d’Al-Qaida. On ne ferme pas 22 ambassades et consulats en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie pour faire face à la menace d’une organisation en déroute. Au contraire, l’ampleur des mesures de précaution indique une menace provenant d’un réseau capable de frapper presque n’importe où.»

Maison détruite à Zinjibar au sud du Yémen
Maison détruite à Zinjibar au sud du Yémen

Ailleurs, on se félicite surtout que cette menace – hypothétique – ait été éventée: dans son éditorial, l’édition new-yorkaise du Daily News demande à ses lecteurs de «remercier leur bonne étoile d’avoir ces agressifs programmes d’espionnage électronique – précisément ceux qui font l’objet d’attaques en règle de la part des libéraux. On peut dire que les agences de renseignement américaines, utilisant certainement leurs extraordinaires capacités techniques, se sont débrouillées pour pénétrer les communications ennemies au plus haut niveau. Et ça mérite qu’on s’en réjouisse», conclut le Daily News

L’Amérique joue donc un peu à se faire peur… Mais pour ce qui est de la peur, la vraie… c’est sans doute au Yémen qu’il faut aller la chercher. Pas celle des attentats d’Al-Qaida, mais bien la peur des drones. Car dans le même temps où Washington fermait ses ambassades, évacuait ses personnels et demandait aux civils américains de quitter le pays, les Etats-Unis ont lancé au moins quatre bombardements de drones durant les dix derniers jours… «Dimanche les drones américains ont survolé Sanaa, pendant près de dix heures», rappelle Hakim Almasmari, l’éditorialiste du Yémen Post et c’était bien la première fois qu’on les voyait dans le ciel de la capitale. «Aujourd’hui les rues et les restaurants sont vides, poursuit l’éditorialiste; les femmes poussent leurs enfants à l’abri en craignant le pire; les hommes se consument de colère en constatant à quel point la vie des Yéménites est devenue sans valeur… les gens redoutent que Washington ait décidé de transformer Sanaa en une sorte de Kaboul bis, la ville symbole de l’échec américain dans cette guerre contre le terrorisme.»

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