Obama: le changement dans la continuité

Barack Obama et George John Mitchell

Par Mouin Rabbiani et Chris Toensing

Les analyses superficielles font florès quant à la nouvelle politique qu’Obama devrait mettre en œuvre en relation avec le «conflit israélo-palestinien». Le rôle attribué par le nouveau président à George John Mitchell en fournirait un sérieux indice, si ce n’est une preuve. Dans cet article, Mouin Rabbiani et Chris Toensing, qui animent le Middle East Research and Information Project, tracent les éléments structurels de continuité de la politique étatsunienne face à Israël. (Réd.)

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Le Président Barack Obama avait promis que son administration commencerait à travailler pour la paix au Moyen-Orient dès le premier jour de son entrée en fonction et il a pratiquement tenu cette promesse.

En effet, le 21 janvier 2009, à peine vingt-quatre heures après son investiture, Obama a téléphoné depuis le Bureau ovale au Premier Ministre israélien Ehoud Olmert, au Président de l’Autorité Palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, au Président égyptien Hosni Moubarack et au Roi de Jordanie, Abdallah II. Le jour suivant, en compagnie du Vice-président Joe Biden et de la Secrétaire d’Etat [ministre des affaires étrangères] Hillary Clinton, il a visité le Département d’Etat pour annoncer la nomination de l’ancien Sénateur George Mitchell [1] en tant que nouvel envoyé spécial pour le Moyen-Orient.

Presque tous ceux qui ont suivi ces démarches s’en sont dits satisfaits, en premier lieu parce qu’Obama paraissait comprendre ce qu’il disait et parlait avec des phrases cohérentes et complètes [par comparaison à W.Bush]. Pour certains, sa volonté de donner aussi vite des directives à la diplomatie américaine sur la crise israélo-palestinienne représentait un souffle d’air frais après huit ans de «négligence» sous le règne de l’ancien Président George W. Bush. D’autres suggéraient qu’Obama semblait avoir pris la mesure des erreurs commises dans les années 1990, lorsque Washington a omis de mettre en avant son propre programme pour un règlement permanent jusqu’à ce que ce soit trop tard. D’autres encore, dans des chancelleries arabes, sont simplement reconnaissants qu’Obama reconnaisse les souffrances des Palestiniens écrasés sous l’assaut aérien  et le blocus économique Israéliens.

Ils ont également été nombreux à applaudir le choix de Mitchell, que ce soit à cause de son précédent succès diplomatique en Irlande du Nord ou de son expérience passée dans les problèmes israélo-palestiniens. Mais avant tout, on louait Obama pour avoir donné le signal d’une rupture claire avec l’héritage catastrophique de son prédécesseur – héritage qui était clairement visible dans les récentes ruines de Gaza. Cependant les attitudes décrites ci-dessus supposent une foi aveugle, qui n’est pas justifiée par l’histoire de la politique états-unienne face audit conflit Israël-Palestine, et surtout par les développements sur le terrain, un terrain qui brûle encore suite à des bombardements israéliens d’une intensité sans précédent.

L’évolution

Les médias états-uniens ont été rapides à décréter que les «importants appels téléphoniques d’Obama au Moyen-Orient» témoignaient encore du «changement» que le nouveau président est censé, assez injustement, apporter à tous les domaines de la vie américaine.

Cependant, le système politique américain n’a pas pour habitude d’effectuer des changements subits et significatifs dans la politique étrangère, encore moins suite à des directives émanant du Bureau ovale. Ce qui est vrai, par contre – et peut-être nulle part autant qu’au Moyen-Orient – la politique étrangère est caractérisée par une évolution plutôt lente. En effet, issue de différents intérêts rivaux au sein de la bureaucratie, des élites des affaires, des militaires, du Congrès et d’une variété de lobbies, cette politique a tendance à ne changer que lorsqu’un consensus est atteint sur une nouvelle orientation. Et dans ce processus le président joue un rôle plutôt formel que catalyseur. Le fameux aphorisme de Bush «Je suis le décideur» relevait plutôt d’une ambition que d’une réalité.

Ainsi, l’idée d’un changement de régime en Irak avait ses racines dans l’administration de Bush père, et elle a été mise en pratique sur le plan politique sous le Président Bill Clinton, bien avant d’être poursuivie par Bush fils. De même le retrait d’Irak, si vanté par Obama, tout comme sa promesse de négocier avec l’Iran, est en continuation plutôt qu’en rupture avec une politique introduite au cours des dernières années de la deuxième administration Bush. Contrairement à ce que laisserait supposer la surexcitation de la droite américaine, même l’administration Bush a songé une ou deux fois à fermer la zone hors la loi de la Baie de Guantanamo.

Lorsqu’il y a des changements profonds dans la politique états-unienne, ils répondent en général à des événements importants dans la région plutôt qu’à des décisions importantes de Washington.

Il en va de même pour le conflit israélo-palestinien. Preuve en est le résumé des appels téléphoniques d’Obama qui a été présenté par Robert Gibbs, porte-parole de la Maison-Blanche: Le Président a informé les autres chefs d’Etat et dirigeants de gouvernement qu’il s’était engagé en faveur de «l’établissement de mesures efficaces contre la contrebande pour éviter que le Hamas ne se réarme et pour faciliter, en partenariat avec l’Autorité palestinienne, un effort important de reconstruction pour les Palestiniens à Gaza

Dans la première phrase de sa promesse, Obama reconnaît implicitement la légitimité de l’opération israélienne «Plomb durci». Bush l’avait déjà faite emphatiquement en confirmant l’objectif de la guerre fixé par Israël avant d’appeler à un arrêt des attaques le 18 janvier 2009. Il reconnaît également l’accord conclu entre Israël et l’ex Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice lors de son dernier jour en fonction. La deuxième clause indique également une continuité avec l’orientation de l’administration Bush, puisque Obama se référait à la partie de l’AP située en Cisjordanie, dirigée par la présidence périmée de Mahmoud Abbas et dominée par son parti du Fatah, à l’exclusion du gouvernement canard boiteux de la Bande de Gaza, contrôlé par le Hamas, qui dispose également d’une majorité dans le législatif de l’AP.

Cette apparente continuation de la politique d’exclusion du Hamas est contestable, non seulement parce qu’elle cherche à annuler les résultats des élections palestiniennes de 2006 et donner à Washington le droit de décider qui représente les Palestiniens, mais aussi pour des raisons pratiques. Comme l’observe Nathan Brown dans une analyse faite pour la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale, «Si l’aide [pour les besoins humanitaires et de reconstruction de Gaza] doit transiter par les canaux habituels de l’AP, ces derniers sont responsables devant le Hamas. Même si la reconstruction et l’aide sont attribués non à l’AP, mais à des acteurs internationaux, ces derniers ne peuvent opérer qu’avec l’accord et la coopération de l’AP de Gaza

Le 22 janvier 2009 à Foggy Bottom [Quartier de Washington D.C], Obama a consacré une bonne partie de ses remarques à expliquer son approche du conflit arabo-israélien, et il a conclu en annonçant que Mitchell serait envoyé dans la région «dès que possible pour aider les parties à assurer que le cessez-le-feu qui a été obtenu devienne durable et soutenable

Mitchell est effectivement parti le 26 janvier. Lors de son apparition dans l’émission de la présentatrice vedette Rachel Maddow de la MSNBC [une des grandes chaîne d’information TV des Etats-Unis], l’ancien conseiller à la sécurité nationale de l’époque Carter, Zbigniew Brzezinski, a salué le «sens d’urgence» transmis par les commentaires d’Obama. Pourtant rien dans ces remarques n’aurait pas été conforme au texte de la dernière conférence de presse de W. Bush, que ce soit au sujet d’Israël, des Palestiniens, des Etats arabes, du rôle des Etats-Unis ou du programme diplomatique.

Même au niveau rhétorique, voici une phrase, type langue de bois, qui aurait tout aussi bien pu émaner du prédécesseur d’Obama: «Nous devons affronter des défis globalisés extraordinaires, complexes et interconnectés: la guerre contre le terrorisme, les divisions sectaires et la diffusion d’une technologie mortifère. Nous n’avons pas demandé ce fardeau, que l’Histoire nous a imposé, mais les Américains le porteront.» Il en va de même pour la déclaration du président: «La terreur d’une roquette tirée sur des Israéliens innocents est tout aussi intolérable qu’un avenir sans espoir l’est pour les Palestiniens

On évoque la cause des craintes israéliennes, mais non celle qui perpétue le désespoir des Palestiniens. En fait, même si Obama a ensuite appelé à une ouverture des passages de frontière à Gaza, il a d’abord insinué, comme l’avait déjà fait l’équipe de Bush, que les Palestiniens étaient probablement en partie responsables de leur bouclage. Il a ajouté que les Israéliens ne pouvaient pas tolérer les tirs de roquettes mais que «le peuple palestinien lui-même ne le devrait pas non plus, car les actes de terreur ne peuvent qu’aller contre leurs intérêts

Un retour sur 2001

Comme ils l’avaient déjà fait pour le discours d’Obama, les médias et l’industrie du processus de paix de Washington ont accueilli avec des hosannas bruyants l’investiture de Mitchell en tant qu’en envoyé spécial. M. J. Rosenberg, le directeur des analyses politiques du Israel Policy Forum, a intitulé sa colonne habituelle du vendredi: «Voici enfin un intermédiaire honnête». Brzezinski a également accordé son approbation à cet ancien sénateur comme étant une personne «de confiance» aussi bien pour Israël que pour ses voisins arabes, une personnalité disposée à prendre les choses en main, dont la fonction «ne serait pas seulement de présider à des dialogues inutiles et sans fin.» Et parce que Mitchell est d’origine partiellement libanaise, le New York Times ajoutait que sa nomination était un indice que Washington «est également sensible aux nombreuses doléances légitimes des Palestiniens

Les «points de vue» dans la presse faisant l’éloge sur Mitchell mettent en avant sa précédente intégration dans les va-et-vient diplomatiques au Moyen-Orient. En octobre 2000, le président Clinton a contacté Mitchell pour qu’il dirige un «Comité de recherche d’informations» sur la situation qui avait entraîné le soulèvement palestinien [deuxième Intifada] qui s’était déclenché en septembre 2000. Le rapport subséquent de Mitchell a été acclamé pour son «équilibre» et son «pragmatisme», et ce non seulement à l’époque mais aussi dans des rétrospectives récentes. Le principal mérite qu’on lui reconnaît est qu’il était «acepté par les deux parties».

Dans le Washington Post du 23 janvier 2009, Jackson Diehl évoque des aspects plus sombres. Il note en particulier le «conservatisme» de la nomination de Mitchell «à un moment où les vétérans de longue date de la diplomatie israélo-palestinienne appellent à un changement radical dans la stratégie états-unienne». L’éditorialiste explique que la nomination de Mitchell pourrait «avoir pour effet de renvoyer la politique états-unienne à ce qu’elle était avant octobre 2001». Diehl se souvient que le rapport Mitchell recommandait une série de mesures propres à «construire la confiance» pour pousser graduellement les parties à reprendre le chemin de négociations exhaustives.

D’abord l’AP, à l’époque contrôlée par Yasser Arafat, devait faire un «effort à 100% pour empêcher les opérations terroristes», une formulation qui, à l’époque, visait les attaques sur des soldats ou des colons dans les Territoires Occupés. Après l’aboutissement de cet effort, Israël devrait de son côté «prendre en considération» des mesures pour «construire la confiance», comme la diminution du fardeau de l’occupation qui pesait sur les Palestiniens et l’arrêt de la construction de colonies dans les territoires occupés en 1967. Cette approche laborieuse, par étapes, était vouée à l’échec, et pas seulement, comme le suggère Diehl, parce qu’elle était trop «engagée» pour l’administration Bush,.

Selon Diehl, «l’industrie» du processus de paix, dans les rangs de laquelle inclut l’ex – et bientôt nouveau – fonctionnaire au Département d’Etat Dennis Ross, insiste sur le fait que les mesures de «construction de confiance» auraient pu réussir «si seulement la diplomatie américaine s’était montrée suffisamment énergique»». Il est vrai que l’administration Bush, soucieuse de laisser la bride sur le cou à Israël dans les Territoires Occupés, n’a pas fait grand-chose pour que les recommandations du rapport Mitchell puissent porter leurs fruits, préférant mettre son poids  derrière la politique de «destruction constructive» de l’ex-Premier Ministre Ariel Sharon face à l’AP. Mais le rapport Mitchell était le prédécesseur direct de la «feuille de route» pour la paix de Bush en 2003. Elle prônait la même approche par étapes, commençant avec la cessation de la violence de la part des Palestiniens, telle qu’elle était jugée  par Israël et les Etats-Unis. La «feuille de route», à son tour, a préparé le chemin au processus d’Annapolis qui a débuté en novembre 2006. Inutile de dire que toutes ces initiatives ont complètement échoué.

Le rapport Mitchell partageait la même faille que toutes les interventions états-uniennes sur la question israélo-palestinienne après l’effondrement des pourparlers à Camp David en juillet 2000. Chaque fois – que ce soit en exigeant un arrêt de la résistance palestinienne ou une réforme constitutionnelle ou de la sécurité ou la construction d’une institution – ces interventions plaçaient le fardeau d’un progrès vers la paix et de la possibilité d’un Etat palestinien sur le peuple qui subissait l’occupation, laissant pour plus tard les devoirs de la puissance occupante. Et elles ne mentionnaient jamais la première de ces obligations: celle de mettre un terme à l’occupation.

Ceux qui pensent que l’administration Obama apporte de bonnes nouvelles pour la paix au Moyen-Orient n’ont donc, pour l’essentiel, que deux arguments en leur faveur. Le premier est qu’Obama s’est engagé pour une amélioration des rapports avec le monde musulman et comprend que ceci ne peut se faire sans résoudre le conflit israélo-palestinien.

Le deuxième est que l’impact international de la guerre menée par Israël contre Gaza laisse penser qu’Obama ne pourra pas mettre le conflit aux oubliettes – comme beaucoup suspectent qu’il aurait souhaité le faire, au moins durant la plupart de son premier mandat – de manière à pouvoir d’abord  gérer la crise financière globale, les guerres en Irak et en Afghanistan dans lesquelles l’Amérique est directement engagée, et des menaces plus directes aux intérêts états-uniens qui se développent depuis l’Iran et le Pakistan.

Obsolescence programmée

Il est cependant impossible de retourner en 2001. S’il y avait une différence significative entre l’approche d’Obama – telle qu’elle a été présentée à ce jour – et celle de Bush, c’est qu’une grande partie de ce qu’a dit Obama a été rendu obsolète par la campagne militaire israélienne à Gaza: Mahmoud Abbas, l’initiative de paix arabe de 2002 et le processus de paix font tous partie du passé. La normalisation des Etats arabes avec Israël est en train de faire marche arrière, et aujourd’hui le Fatah a besoin du Hamas pour survivre davantage que les Islamistes palestiniens n’ont besoin de l’AP de Ramallah [siège de l’AP] pour acheminer des approvisionnements d’urgence vers la Bande de Gaza. Il est possible que Mitchell puisse aller de l’avant en laissant Ramallah en dehors de son itinéraire, mais il ne peut réussir sans au moins la coopération tacite du Hamas.

En fait, l’attaque d’Israël contre la Bande de Gaza a contribué à solidifier des tendances émergentes au Moyen-Orient dont il est peu probable qu’elles soient inversées dans un proche avenir, et encore moins par un «business as usual». Parmi ces tendances, il y a l’éclipse du leadership saoudi-égyptien de la diplomatie arabe. Cette prétention au leadership a été affaiblie par le refus à la fois d’Israël et des Etats-Unis de s’engager dans le processus de paix arabe. Elle a également été sévèrement endommagée par le soutien du Caire et de Riyad à Israël pendant la guerre du Liban de 2006, et, enfin, fatalement discréditée par les péchés d’omission et ceux de compromission de la part de Saoudiens et des Egyptiens durant le conflit de Gaza. Des rivaux plus petits et plus faibles comme la Syrie et le Qatar se moquent de manière éhontée de la volonté du Caire et de Riyadh, ce qui a pour conséquence de donner à des acteurs régionaux comme la Turquie et l’Iran un rôle croissant dans les «projets arabes».

Il est intéressant de souligner qu’Obama a peut-être donné le coup de grâce à l’initiative de paix arabe [dans son discours] au Département d’Etat le 22 janvier 2009. Dans un contexte où même les Saoudiens suggéraient récemment que l’initiative pouvait être suspendue et où l’opinion publique arabe réclamait qu’elle soit déchirée, Obama s’est contenté d’y faire allusion comme étant un plan «qui contient des éléments constructifs qui pourraient aider à avancer» les efforts de paix, avant d’exiger des Etats arabes qu’ils remplissent immédiatement, unilatéralement et complètement leur côté du marché, à savoir la normalisation.

Dans l’arène palestinienne, l’administration Obama semble également prête à déposer un baiser de la mort sur le front de Mahmud Abbas. Le Hamas est sorti enhardi à la suite de la guerre contre Gaza, déterminé à exiger un prix élevé à ses rivaux à Ramallah [l’AP] pour leur collusion avec Israël au cours des 18 derniers mois. C’est ainsi qu’il exige du Fatah – comme préalable a une réconciliation nationale – qu’il renonce au processus d’Annapolis, qu’il mette un terme à sa coopération sur la sécurité avec Israël et qu’il libère les militants islamistes détenus dans les prisons de l’AP. Ce programme reçoit un accueil de plus en plus favorable au sein des principaux centres du pouvoir du Fatah. Or, Abbas le rejette. Il ne pourrait d’ailleurs l’accepter qu’en renonçant de fait à tout ce qu’il représente.  Au vu de sa propension à des actions de pure folie politique, la dernière chose dont il aurait besoin est d’une plateforme commune avec Mitchell. Plateforme depuis laquelle il attaquerait le Hamas et dénoncerait la résistance palestinienne, où son gouvernement servirait d’intermédiaire pour l’aide à la Bande de Gaza, jurerait fidélité envers un processus de paix en partenariat avec Israël sous les auspices des Etats-Unis et demanderait publiquement des négociations secrètes pour parvenir à un accord politique.

Le Fatah, tout comme l’OLP, sont dans un état d’implosion et chaque jour qu’Abbas passe au gouvernail ne sert qu’à prolonger l’agonie et augmenter la probabilité que le malade ne retrouve jamais la santé. Ce dont les deux organisations palestiniennes auraient désespérément besoin, c’est d’un accord avec le Hamas, plutôt que d’une nouvelle tournée de pourparlers avec Washington fondée sur l’espoir illusoire de reconfigurer le système politique palestinien en faveur d’Abbas.

Pendant ce temps, le Hamas est préoccupé par ses relations avec Israël. Comme le montrent les incidents du 27 janvier 2009 [une charge explosive a touché une patrouille israélienne près du point de contrôle de Qisoufim] , le cessez-le-feu actuel est hautement volatile, pour la simple raison qu’il consiste de deux initiatives unilatérales plutôt que d’un accord, sans que des mesures aient été prises concernant des problèmes clé tels que le blocus, les voies de contrebande et les échanges de prisonniers.

Il faut noter, en outre, que la guerre a augmenté plutôt que de diminuer la détermination du Hamas à lever le blocus. La position d’Israël, selon laquelle l’aide pour la reconstruction ne pourra entrer à Gaza qu’une fois que le Hamas aura accepté une suspension indéfinie des hostilités et de mettre hors d’usage les tunnels sous Rafah est rejetée par les Islamistes comme étant une tentative israélienne pour obtenir au Caire ce qu’ils n’ont pas réussi à  obtenir à Gaza, et comme une recette pour une occupation permanente. Si Israël continue à rejeter un accord qui pour l’essentiel s’en tient aux conditions du cessez-le-feu de 2008 obtenu avec la médiation égyptienne, et en particulier si l’Egypte et les Européens continuent à retenir l’aide jusqu’à ce qu’Israël se dise satisfait des positions du Hamas, alors une nouvelle tournée de combats reste une réelle possibilité.

Comment Mitchell prévoit de parvenir à un cessez-le-feu durable avec la boîte à outils limitée dont il dispose, est encore un mystère. A un moment où Israël est plus ou moins en train d’ignorer Abbas et se focalise sur des pourparlers avec les Islamistes avec la médiation égyptienne, Mitchell a insisté sur le fait qu’il ne visiterait pas Gaza et qu’il n’entrerait pas en pourparlers avec le Hamas. Il a ainsi une fois de plus contribué à une situation où la diplomatie états-unienne est paralysée par le fait qu’elle se montre plus pro-israélienne qu’Israël lui-même.

Le vrai test

La vraie question est cependant de savoir si – même dans les meilleures circonstances – Obama peut réellement obtenir une paix israélo-plaestinienne. En effet, supposons même que Washington passe par-dessus les processus et les «feuilles de route» pour implémenter un accord sur une solution à deux Etats. Supposons qu’il donne aux Palestiniens l’espace nécessaire pour régler leurs différends plutôt que de chercher à les approfondir dans l’espoir que ses clients privilégiés sortiraient gagnants; qu’il suspende ses exigences envers le monde arabe qui déprécient la paix et les négociations. Supposons encore qu’il soit capable d’intimider Israël et de faire taire les pressions internes [au sein des Etats-Unis] tout en restant dans cette voie. Est-ce que Washington pourrait pour autant réussir?

D’après les données actuellement disponibles, il est presque certainement trop tard pour établir un accord prévoyant deux Etats. Il est probable que l’expansion des colonies israéliennes soit trop avancée pour pouvoir être renversée par un gouvernement israélien qui voudrait conserver sa légitimité, et cela même s’il y avait une réelle pression exercée dans ce sens par les Etats-Unis. Le vrai test pour Washington sera donc non pas de savoir combien d’aller-retour Mitchell fera dans la région, mais plutôt à quel rythme il agira pour geler l’expansion des colonies israéliennes sous toutes leurs formes et pour renverser l’impunité d’Israël dans les Territoires Occupés. Si la question des colonies, pourtant centrale – qui n’a pas été mentionnée par les orateurs au Département d’Etat le 22 janvier – n’a toujours pas été traitée lorsque Mitchell retournera de son premier voyage (et en 2001 il avait dit qu’Israël ne «prendrait en considération» un gel que si les Palestiniens déposaient les armes), alors le moment sera venu d’enterrer définitivement le paradigme des deux Etats.

Le problème est que l’annonce nécrologique ne sera pas accompagnée d’un faire-part de naissance d’un Etat bi-national. La majorité des Israéliens soutiennent un Etat Juif, et la grande majorité des Palestiniens réagissent en exigeant que leur ethnicité soit privilégiée dans leur propre entité. Une transformation du type Sud-Africain sur les bords de la Méditerranée est dans le meilleur des cas encore éloignée de plusieurs années. Le scénario le plus probable pour les années à venir est une descente dans un conflit de plus en plus existentiel et régional. (Traduction A l’Encontre)

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Mouin Rabbiani est éditeur (contributing) du Middle East Report, il est analyste politique vivant à Amman. Chris Toensing est éditeur du Middle East Report.

1. George John Mitchell (né en 1933), démocrate de l’état du Maine, a dirigé la majorité démocrate au sénat de 1989 à 1995. Il fut, par la suite, PdG de la firme The Walt Disney Compagny (2004 à 2007). Il a joué un rôle de négociateur en Irlande du Nord. Il rédigea un rapport (2000-2001) visant à trouver une «solution au rapport entre Israël et la Palestine», rapport dans lequel il soulignait la nécessité de freiner l’implantation «illégale» des colonies.

 

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