France. «Les bonnes affaires patronales de la crise financière»

Par Hervé Martin

Les cours des actions plongent, mais les pédégés du CAC 40 savent en profiter personnellement. Assez de pessimisme! Tout ne va pas si mal, à la Bourse. C’est, en tout cas, la leçon que donnent les grands patrons et banquiers qui rachètent à tour de bras – et pour leur compte personnel – les actions massacrées de leurs sociétés. Depuis un mois, le CAC 40 s’est effondré de 35%. Certaines grandes valeurs – celles liées au tourisme, notamment au pétrole ou à la finance – ont même perdu jusqu’à 75% de leur valeur. Un drame? Non. Plutôt l’«occasion de faire de très bonnes affaires pour ceux qui ont les moyens d’acheter les actions qui sont aujourd’hui bradées», commente un analyste.

De fait, la fièvre acheteuse des patrons s’est brusquement réveillée, à partir du 20 février, avec la chute libre du CAC. Ce n’est pas Bernard Arnault, le patron de LVMH, homme le plus riche de France – et, selon les cours du jour, du monde – qui le contredira. Depuis le 1er janvier, la valeur de l’action de son groupe a baissé de près de 30%. Cette chute ne l’a pas dissuadé d’acheter, via ses sociétés personnelles (Financière Jean Goujon, Financière Agache), quelque 160’000 actions autour de 350 euros – soit environ 25% moins cher que leur valeur avant la crise. Economie pour ses finances: 20 millions.

Chez le groupe hôtelier Accor qui en deux mois a perdu plus de 40% de sa valeur, Sébastien Bazin, le pédégé, a acheté, le 12 mars, via sa holding Bazeo Europe, 50’000 actions à 23 euros l’une – contre 40 euros avant la chute. L’un des principaux administrateurs, Sarmad Zok, en a raflé, quant à lui, plus de 40’000, à environ 35 euros. Quant à Paul Dubrule, cofondateur du groupe – et encore administrateur –, il a acquis 15’000 actions à environ 34 euros.

Finances bien gérées

Chez PSA, la famille Peugeot, qui possède 13% du capital, ne s’est pas oubliée. La chute du cours (-40% en deux mois) aurait dû la désoler; elle lui a, au contraire, ouvert l’appétit. Sa holding patrimoniale FFP a annoncé un plan d’achat de quelque 40 millions d’actions, afin de tenter de faire jeu égal avec la famille Agnelli, au terme de la fusion avec Fiat Chrysler. Une opération prévue de longue date mais qui, grâce à la chute de la Bourse, a commencé à se faire à très bon compte: 14 euros, au lieu de 20 il y a deux mois.

Autre famille très active dans la tourmente: la branche française des Rothschild. Alexandre et David – directement ou à travers la holding Concordia – ont racheté en deux jours, les 11 et 12 mars, 570’000 actions de la banque Rothschild & Co, pour un prix inférieur de plus d’un tiers à ce qu’il était un mois plus tôt (16,60 euros, contre 25,50).

Et, pour faire bonne mesure, le gérant de la banque, François Pérol, ex-secrétaire général de l’Elysée sous Sarkozy, a aussi cotisé pour 10’000 actions, le 11 mars, mais à 17,40 euros. Histoire de ne pas vexer le patron en faisant de plus gros bénef? Dans la finance, toujours, le patron de la BNP, Jean Lemierre, a acheté, les 8 et 13 mars, 5000 titres de sa boîte à environ 34 euros, alors qu’ils en valaient 50 un mois plus tôt. Le directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, s’est offert, lui aussi, 10’000 actions, mais à un prix légèrement supérieur: 38 euros.

Chez Dassault, on spécule en famille: Groupe industriel Marcel Dassault, la holding familiale, a acquis quelque 160’000 actions Dassault Systèmes au prix moyen d’environ 135 euros, soit 15% de moins que deux semaines auparavant. D’autres membres de la famille – Laurent, le président du groupe, et Catherine et François, administrateurs – se sont partagé un peu plus de 10’000 actions au même prix.

De nombreux dirigeants de boîtes dans le luxe (Hermès), la distribution (Fnac, Carrefour), le BTP (Vinci, Eiffage), l’immobilier (Unibail), la communication (Vivendi), l’alimentation (Pernod), les services (Veolia), la banque (Société générale) ou l’industrie (Renault) ont aussi profité de la manne boursière. Connaissant parfaitement leur groupe et étant en quelque sorte des initiés, ils ne font pourtant rien d’illégal.

Il est en tout cas rassurant de constater que ces patrons sont convaincus que la Bourse gagnera la «guerre» contre le virus. (Article paru dans Le Canard enchaîné, le 18 mars 2020)

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Etats-Unis. Des sénateurs se délestent…

Selon le Washington Post du 20 mars 2020, «plusieurs sénateurs font face à la fureur du public suite à des rapports selon lesquels ils auraient vendu de grandes quantités d’actions avant que les marchés ne s’effondrent le mois dernier, après avoir reçu des informations privées sur l’épidémie [une position «d’initié»]. Le président de la commission sénatoriale du renseignement, Richard Burr (républicain de Caroline du Nord), a vendu jusqu’à 1,72 million de dollars d’actions d’hôtels et autres participations à la mi-février, transactions qui ont été révélées un jour après le pic du Dow Jones et moins d’une semaine après qu’il a écrit une colonne assurant aux gens que le pays était prêt pour le coronavirus.

La sénatrice Dianne Feinstein (démocrate de Californie), James M. Inhofe (républicain, Oklaoma), et Kelly Loeffler (républicaine, Géorgie) – qui est mariée au président de la Bourse de New York – ont également liquidé des paquets d’actions avant la chute du marché. Tous trois affirment ne pas avoir pris personnellement les décisions [ce qui impliquerait des ordres de vente de leur gérant, sous une forme ou une autre] et nient avoir agi de manière inappropriée. Mais des appels à enquête et des démissions ont été lancés vendredi 20 mars.» (Réd. A l’Encontre)

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