Etats-Unis. Standing Rock: une bataille gagnée, mais la guerre continue

2016-09-16-1474044012-2676960-defend_the_sacredPar Barry Sheppard

Les Sioux de la Réserve indienne de Standing Rock, située dans les Etats du Dakota du Nord et du Dakota du Sud, et leurs alliés, ont gagné une importante bataille dans leur combat pour empêcher que le pipeline dit Dakota Access Pipeline traverse leurs terres tribales historiques et passe sous le fleuve Missouri dont la réserve tire son eau potable.

Le Corps du génie de la US Army (Army Corps of Engineers,ACE) était entré dans la bataille en publiant un ultimatum: si les protestations à l’endroit où le pipeline doit passer sous le fleuve n’étaient pas dissoutes dimanche 4 décembre, les participants seraient arrêtés et poursuivis en justice [1].

C’est-à-dire que l’ACE allait ordonner aux unités de police municipales et de l’Etat du Dakota du Nord d’attaquer les manifestants qui entendaient protéger l’eau dès le lundi 5 décembre s’ils n’avaient pas quitté le site. Cela annonçait une brutale répétition des charges policières contre les manifestations non-violentes qui avaient déjà eu lieu, au moyen de matraques, de chiens d’attaque, de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc, de puissants jets d’eaux alors que la température ambiante descendait à -12°C, de grenades paralysantes, et d’arrestations massives.

Une de ces grenades avait déchiqueté la chair du bras d’une jeune femme. C’était horrible à voir. Elle subit, actuellement, de multiples opérations chirurgicales.

L’ACE prétend avoir le droit de faire cela parce qu’il gère cette terre fédérale située légèrement en dehors de la réserve indienne. Mais les Sioux, eux, rappellent que cette terre leur avait été cédée par les Etats-Unis par un traité signé en 1851 et que l’ACE tient cette terre illégalement parce que les Etats-Unis ont rompu arbitrairement ce traité, comme des centaines d’autres traités identiques, dans sa guerre génocidaire prolongée contre les Premiers habitants de l’Amérique du Nord. Cette terre contient également des sépultures sacrées des Sioux, dont certaines ont déjà été dévastées à la pelle mécanique, une insulte raciste et une profanation pour les Natifs Américains.

L’arrivée des «anciens combattants»

La lutte de Standing Rock avait déjà gagné un large soutien, mais cet ultimatum de l’ACE a aiguillonné un surcroît qualitativement nouveau de solidarité qui a vu de nombreux nouveaux manifestants affluer au Dakota du Nord pour apporter leur soutien en prenant leur place dans la ligne de défense. Le samedi 3 décembre 2016, il y avait 10’000 manifestants qui rejoignaient la lutte de Standing Rock, bien qu’ils risquassent d’être blessés et arrêtés.

En outre, dans de nombreuses villes à travers tout le pays, il y a eu des manifestations contre les grandes banques multinationales qui financent le pipeline.

Un aspect clé de cette nouvelle vague de soutien fut l’arrivée de vétérans des forces armées, beaucoup d’Amérindiens parmi eux, mais d’autres aussi. Ils étaient prêts à former une ligne de défense entre les flics et le camp organisé par les manifestants. Les flics auraient à passer sur eux d’abord. Le 3 décembre, il y avait 2000 vétérans prêts à la bataille.

Le 5 décembre était lundi. Un article paraissait dans le New York Times racontant «“En rangs !” fut le cri entendu une nuit durant cette fin de semaine. Des centaines d’hommes veulent que les femmes vétéranes rassemblées dans la maison reçoivent leurs ordres de Brenda Taureau Blanc et Loreal Echarpe Noire, qui commandent les groupes de vétérans dans les camps de la mobilisation.»

L’article décrivait quelques-uns de ces vétérans. «Certains sont des anciens, vétérans de la guerre de Corée et de l’Europe d’après guerre, qui racontent qu’ils ont grandi dans des internats où ils étaient battus s’ils parlaient leur langue. Certains ont roulé à travers les Plaines depuis leurs réserves pour venir.

Certains des militants qui sont venus ont passé des années dans le mouvement anti-guerre après être rentrés du Vietnam ou d’Irak. Ils nous ont dit que pour eux les protestations contre le pipeline étaient un nouveau chapitre de leur militantisme…

“Beaucoup d’entre nous sont prêts à sacrifier leur corps, prêts à donner leur vie” nous a dit Vincent Emanuele, 32 ans, un ancien marine qui a servi en Irak et qui a beaucoup pris la parole contre ce qu’il a appelé une guerre futile. “Mieux vaut mourir pour quelque chose qui signifie quelque chose.”

D’autres nous ont dit qu’ils ne s’intéressaient pas beaucoup à la politique et n’avaient jamais participé à une manifestation. Mais ils nous ont dit que la lutte de la tribu les avait touchés…Ou ils nous ont dit que cela les mettait en colère de voir des images d’affrontements violents entre les forces de l’ordre et les Amérindiens.

“Je n’arrivais pas à croire ce qui se passait aux Etats-Unis” nous a dit un vétéran. “Même en Irak, il y avait des règles d’engagement. Si ces gars n’ont pas d’armes, je ne peux pas comprendre que ça devienne un champ de tir”.»

Demain, faire face à Trump et aux oligarques du pétrole

La menace du spectacle de la police militarisée chargeant des vétérans désarmés semble avoir donné quelques soucis aux pouvoirs établis et on a assisté à une série de reculades dont celle de l’ACE qui a retiré sa menace d’user de la force.

Le dimanche 4 décembre, l’ACE (manifestement par ordre de la Maison Blanche) a retiré à la Energy Transfer Partners, ETP, l’entreprise chargée de la construction, le permis de commencer le percement du pipeline sous le fleuve, ce qui a officiellement arrêté le chantier.

A cette nouvelle, le camp des manifestants a retenti d’applaudissements et de célébrations, relayées en écho par les sympathisants à travers tout le pays.

Mais le lendemain, l’humeur était plus sobre. Energy Transfer Partners a réagi à la décision de l’ACE en déclarant qu’elle ne voulait rien dire. La compagnie a laissé entendre qu’elle pourrait aller de l’avant dans le chantier sous le fleuve de toute façon, mais cela est incertain car cela conduirait l’entreprise à un clash avec le gouvernement fédéral.

Ce qui est plus sérieux, c’est la prétention de ETP de jouir du plein appui de Donald Trump qui a proclamé bruyamment (c’est sa façon normale de parler) qu’il approuvera le Dakota Access Pipeline, qu’il reviendra sur la décision de l’administration Obama de bloquer le pipeline XL, et qu’il annulera toutes les limitations réglementaires qui freinent l’industrie pétrolière, celle du charbon, et tout le reste de l’industrie de l’énergie [2].

Trump président, en tant que commandant en chef des forces armées, pourrait ordonner à l’ACE, qui est une partie de l’armée, de faire de même.

Par conséquent, les protecteurs de l’eau savent qu’ils doivent remobiliser. C’est la force de la mobilisation de masse qui a permis de gagner cette bataille. Durant ces derniers mois de lutte, la solidarité a été construite. Pour commencer, ce sont les Sioux de Standing Rock qui se sont unis pour réagir. Puis d’autres tribus se sont jointes à eux, y compris venant du Canada. Finalement, ce sont plus de 200 tribus qui ont soutenu la lutte de Standing Rock, surmontant leurs différences dans une démonstration de solidarité. C’est le plus grand rassemblement d’Amérindiens en lutte depuis le Mouvement de l’Indien Américain (AIM) de la dernière radicalisation aux Etats-Unis dans les années 1960-1970.

Le fait qu’ils se soient levés pour contre-attaquer a encouragé d’autres à venir à leur rescousse. Les groupes de défense de l’environnement ont reconnu que la lutte contre Gros Pétrole (Big Oil) était aussi leur lutte. Black Lives Matter les a vus comme une lutte sœur, comme les voient beaucoup d’autres groupes et beaucoup de personnes à travers le pays.

Rien n’inspire plus tous les opprimé·e·s et les exploité·e·s que de voir une bataille de masse être engagée contre la classe dominante. Que celle-ci soit couronnée de succès – même si ce succès est conditionnel et que la guerre n’est pas finie – renforce le sentiment que l’action de masse est efficace. Dans le camp des manifestant·e·s s’est exprimé un sentiment renouvelé de leur force. S’il y a besoin de mobilisation supplémentaire, cette confiance en eux leur donnera de l’énergie. Cet esprit peut déborder aussi sur d’autres luttes. (Traduction A l’Encontre)

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[1] Le Corps du génie de la US Army (US Army Corps of Engineers/ACE) n’est pas simplement une branche de l’armée fédérale. Il est depuis 1824 une puissante agence de travaux publics du gouvernement fédéral des Etats Unis, chargée alors de construire routes et canaux de navigation. Il est aujourd’hui une des plus grandes entreprises de travaux publics du monde, militairement organisée. Il a joué un rôle décisif dans l’organisation de la «période américaine» de construction du Canal de Panama inauguré en 1914, un construction qui fit plus de 21’000 morts, des ouvriers-bagnards durant la «période française» avant 1905 et plusieurs milliers durant la «période américaine». C’est l’ACE qui a construit au début des années 1940 le Pentagone à Washington. C’est à lui que fut confié, en 1942, le Projet Manhattan, la centre où fut mise au point la bombe atomique, «inaugurée» à Hisroshima et Nagazaki en 1945. C’est lui qui a construit, qui entretient et gère, le système de digues séparant La Nouvelle Orléans du Golfe du Mexique et du fleuve Mississippi, et qui a dramatiquement failli en 2005 lors de l’Ouragan Katrina qui a détruit la ville. L’ACE produit 24% de l’électricité hydroélectrique des Etats-Unis. (Rédaction A l’Encontre)

Le Corps du génie de la US Army (US Army Corps of Engineers/ACE) n’est pas simplement une branche de l’armée fédérale. Il est depuis 1824 une puissante agence de travaux publics du gouvernement fédéral des Etats Unis, chargée alors de construire routes et canaux de navigation. Il est aujourd’hui une des plus grandes entreprises de travaux publics du monde, militairement organisée. Il a joué un rôle décisif dans l’organisation de la «période américaine» de construction du Canal de Panama inauguré en 1914, un construction qui fit plus de 21’000 morts, des ouvriers-bagnards durant la «période française» avant 1905 et plusieurs milliers durant la «période américaine». C’est l’ACE qui a construit au début des années 1940 le Pentagone à Washington. C’est à lui que fut confié, en 1942, le Projet Manhattan, le centre où fut mise au point la bombe atomique, «inaugurée» à Hisroshima et Nagazaki en 1945. C’est lui qui a construit, qui entretient et gère, le système de digues séparant La Nouvelle Orléans du Golfe du Mexique et du fleuve Mississippi, et qui a dramatiquement failli en 2005 lors de l’Ouragan Katrina qui a détruit la ville. L’ACE produit 24% de l’électricité hydroélectrique des Etats-Unis. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Le Pipeline XL est une quatrième phase du Keystone Pipeline qui conduit sur des milliers de kilomètres le pétrole de la province canadienne de l’Alberta jusqu’au raffineries situées en Illinois et au Texas. Les trois premières phases ont été construites à partir de 2008 et sont entrées en service entre 2011 et 2016. Ces pipelines transportent du «pétrole synthétique» et du bitume liquéfié extraits des sables bitumineux de l’Alberta.

Le pipeline XL doublerait avec un diamètre plus grand la phase I par un tracé raccourci passant par le Montana où il recueillerait le pétrole léger nouvellement extrait au Montana et au Dakota du Nord.

Après six années de polémiques, le président Obama a retiré le 6 novembre 2015 l’autorisation de construire déclarant que ce pipeline XL «aurait sapé l’effort de direction que les Etats-Unis entendent assumer dans la lutte mondiale contre le changement climatique »

Donald Trump a annoncé qu’il autorisera aussitôt «à 100%» ce Pipeline XL. (Rédaction A l’Encontre)

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