Etats-Unis. La grève qui disparaît

Par Doug Henwood

Les grèves sont l’arme la plus puissante du mouvement ouvrier. Mais l’année passée elles ont été moins nombreuses que jamais. Selon les chiffres publiés par le Bureau des statistiques du travail, l’année passée a vu le deuxième plus petit nombre de grandes grèves de l’histoire connue: sept. C’est proche du record de 2009: cinq; au plus bas de la Grande Récession (2007-2010), quand le taux de chômage approchait 10%. L’année passée, le taux moyen de chômage était moins de la moitié, 4,3%.

Les deux graphiques ci-contre retracent la triste histoire du déclin de l’arme la plus puissante du mouvement ouvrier.

Le deuxième graphique compte les jours de «idleness», cela veut dire «oisiveté», un terme curieusement moralisateur pour un instrument de lutte. Ce nombre mesure la taille d’une grève, en pourcentage du temps de travail total. C’est le nombre de grévistes multiplié par le nombre de jours de grève. L’année passée, cette «oisiveté» n’a pas atteint un creux record. Quatre années ont été plus basses: 2009, 2010, 2013, 2014.

Entre 1947 et 1979, il y a eu en moyenne chaque année 303 «grandes» grèves, impliquant 1000 travailleurs ou plus. Depuis 2010, cette moyenne est de 14 par année. Le nombre de jours d’«oisiveté» par année a baissé de presque 24,55 millions entre 1947 et 1979 à 708’000 depuis 2010, soit une baisse de 97%. Cette chute pourrait n’être pas sans rapport avec les salaires stagnants, la précarité plus grande des emplois, et la disparition croissante des «bénéfices» indirects du salaire (assurances, etc.). Mais, bien sûr, renverser cette réalité est bien plus difficile qu’écrire un article d’exhortation.

L’année passée, la plus grande partie de ces jours de grève, 79%, était le fait d’une seule grève, celle que mène le syndicat des travailleurs de l’électricité IBEW (International Brotherhood of Electrical Workers) contre l’entreprise Charter Communications qui en est à ce jour à son 318e jour de grève. Juste deux autres grèves étaient contre des employeurs du secteur privé (AT&T et les vendeurs d’automobiles à Chicago). Une contre le système hospitalier de l’Université Tufts dans le Massachusetts.

Jane McAlevey y consacre un article dans le magazine Jacobin, un des rares récits encourageants dans ce triste paysage. Et trois grèves étaient contre des employeurs publics, les trois en Californie (le Comté de Riverside, la ville d’Oakland, et l’Université de Californie).

Les employeurs privés n’ont absolument pas besoin de se faire du souci pour une grève et sont tranquilles depuis plus d’une décennie. Quand la Cour suprême rendra son jugement dans le cas Janus (l’enseignant Mark Janus contre le syndicat Fédération des Employés d’Etat, de Comté et MunicipauxAmerican Federation of State, County and Municipal Employees), ce jugement va certainement éviscérer les syndicats du secteur public et les employeurs du secteur public pourront alors eux aussi être plus tranquilles.

Le mentor de Jane McAlevey, Jerry Brown (l’ancien président de la section syndicale 1199 de Nouvelle-Angleterre, pas le politicien de Californie), avait l’habitude de dire que la grève, c’est comme un muscle: si les travailleurs ne l’exercent pas régulièrement, il s’atrophierait. Eh bien la grève est atrophiée. (Article publié dans JacobinMagazine, New York, 12 février 2018; traduction A l’Encontre)

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Doug Henwood est un journaliste connu aux Etats-Unis. Il publie le bulletin électronique Left Business Observer. Il contribue régulièrement aux magazines The Nation et Jacobin. Il est l’auteur, entre autres, de My Turn. Hillary Clinton Targets the Presidency, Seven Stories Press, 2016;  Wall Street. How it Works and for Whom, Verso, 1998.

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