Etats-Unis. Erica Garner: combattante pour les droits des Noirs. Un décès dérivé des violences policières

Erica Garner

Par Barry Sheppard

Erica Garner, militante de Black Lives Matter et fille de l’Afro-Américain Eric Garner, brutalement assassiné par la police de New York en 2014, est décédée le 30 décembre 2017. Elle avait 27 ans.

• La cause immédiate de la mort était une crise cardiaque, extrêmement rare chez une personne si jeune. La cause sous-jacente fut le trauma induit par le stress qu’elle et sa famille ont subi en raison du meurtre d’Eric, de l’acquittement des policiers assassins et de la façon impitoyable dont ils ont été traités par les autorités municipales, y compris par le maire démocrate de New York, Bill DeBlassio.

Erica était à l’hôpital pour asthme aigu, lui-même lié au stress, lorsqu’elle a eu une crise cardiaque.

• Eric Garner a été agressé par une bande de flics blancs le 27 juillet 2014 dans l’arrondissement de Staten Island (un des arrondissements de New York). Son «crime»: il se tenait au coin d’une rue et vendait des cigarettes pour gagner quelques dollars. Les flics l’ont jeté à terre et un policier, Daniel Pantaleo, a étranglé Eric et l’ a étranglé à mort, tandis que les autres flics le tenaient. Il a plaidé pour sa vie, en chuchotant: «Je ne peux pas respirer.» Le personnel des services médicaux d’urgence (EMT) est resté, alors, inactif.

Tout l’incident a été filmé au moyen d’un téléphone par un spectateur, Ramsey Ortega. Il a été diffusé à la télévision nationale. Ortega a ensuite été arrêté par la police en représailles. Erica, 24 ans, a vu le meurtre de son père à la télé. Elle est devenue militante à l’époque.

• Le 23 août 2014, des milliers de personnes ont défilé en signe de protestation à Staten Island. Erica était présente. Elle a été interviewée sur Democracy Now (émission de TV animée par Amy Goodman)! «Mon père était un homme aimant », dit-elle. «C’était un homme humble, et c’était un homme gentil…». Il a fait tout ce qu’il a pu pour tous ceux qui l’entouraient…

«En regardant la vidéo, j’ai été traumatisée. J’étais vraiment horrifiée. C’était horrible. C’était horrible de voir mon père mourir, et de voir cela sur une chaîne de TV nationale. Je dois vivre avec ça pour toujours.»

• En décembre 2014, un grand jury [qui dans un tribunal a le pouvoir de mener une enquête sur de potentiels actes criminels et de décider si les accusations doivent être retenues] a décidé de ne pas inculper Pantaleo (et n’a même jamais envisagé d’inculper les autres flics). Ce qui a déclenché une immense marche qui a paralysé des parties de la ville de New York et le pont de Brooklyn. Il y a eu une cinquantaine de manifestations de solidarité dans d’autres villes.

Erica était présente le lieu de la mort de son père à Staten Island, et elle a affirmé: «C’est l’endroit où les travailleurs des services médicaux d’urgence et les policiers nous ont laissés tomber, nous, New-Yorkais, parce qu’ils ont laissé mourir un homme innocent, qui mendiait pour sa vie, qui se battait pour un dernier souffle. Et maintenant, je dois venir ici chaque fois que je me sens triste….. Je dois être sa voix.»

• Kirsten West Savali, une journaliste de The Root, a écrit récemment après la mort d’Erica un article intitulé «Erica Garner:’ I’ m in The Fight Forever.»

Kisrten West Savali a déclaré sur Democracy Now: «J’ai rencontré Erica en 2016 lors d’une réunion de la Drug Policy Alliance à l’Université Columbia. Et elle était là pour démontrer le lien entre ce qui était vraiment un lynchage moderne de son père, la guerre contre la drogue et l’occupation des communautés noires et latinos»?

«J’ai écrit cet article parce qu’Erica était très résistante et courageuse. Elle n’a pas laissé son chagrin l’arrêter. Elle n’ a pas laissé sa rage la paralyser. Elle s’en est servie pour faire entendre la voix d’une communauté de personnes. Elle n’avait pas peur de faire face seule. Elle n’a pas eu peur de ne pas suivre la mode, en particulier celle des femmes noires qui soutenaient Hilary Clinton pendant les élections. Ce n’était pas quelque chose de très populaire.»

Erica a soutenu Bernie Sanders dans le primaire démocrate contre Clinton. Et puis, quand il n’était plus dans la course, elle a parlé du duopole politique [démocrate et républicain] et de la façon dont on ne pouvait faire confiance ni au parti démocrate ni au parti républicain. Je pense donc que c’est important», a dit Savali.

Eric Garner et sa femme

• Erica et sa famille se sont battus pour obtenir justice, intentant un procès. Le maire Deblasio s’est affronté à maintes reprises contre la famille, refusant de rendre public le casier judiciaire de Pantaleo. Après que la ville a conclu un règlement ]procédure souvent utilisée par les autorités] avec la famille, la Commission d’examen des plaintes des citoyens a divulgué son dossier, qui comprenait 14 plaintes de citoyens, y compris des cas de violence physique lors d’un contrôle de véhicule en 2011 et lors d’une arrestation et fouille arbitraire, au faciès : dit «Stop-and-frisk». C’est une pratique qui consiste à s’attaquer au hasard, sans mandat, principalement à des jeunes hommes noirs et latinos et à les fouiller. Cela faisait partie de la politique de harcèlement systématique de la police. Le dossier de Pantaleo n’a jamais été officiellement rendu public, ce qui aurait pu être utilisé lors du procès engagé par la famille Garner.

Pantaleo n’a pas été viré, et reste un membre payé de la police aujourd’hui.

La Commission d’examen des plaintes des citoyens cherche à porter des accusations contre Pantaleo et les autres policiers, mais les Services de police bloquent l’effort en recourant à une ruse technique – refusant de donner le numéro du dossier de police.

• Bien qu’elle soit restée une combattante, et qu’elle n’ait pas laissé son chagrin entraver sa lutte, le traumatisme a fait des ravages. Dans un entretien datant de janvier 2016, elle dit : «La santé mentale est très importante. Les familles qui sont placées dans notre situation, les familles noires qui reçoivent de l’aide publique et qui n’ont pas les revenus nécessaires pour obtenir une thérapie [coûteuse] pour la population noire, comment sommes-nous censés faire face si nous n’avons pas quelqu’un, professionnel, à qui parler? J’essaie de comprendre comment je peux surmonter cet obstacle parce que c’est un traumatisme.»

«Ma nièce de trois ans a frappé un garçon avec un livre à l’école et a dit: “Je suis en colère parce que les flics ont tué mon grand-père.” Elle n’était pas en colère contre le gamin. Elle est si jeune, ça me fait mal au cœur qu’elle dise cela. Maintenant elle n’ a plus de garderie et elle doit parler à quelqu’un. Nous avons juste besoin de prendre soin de notre santé mentale…… Je lis constamment des articles et je fais des recherches sur le cas de mon père. Mais je ne prends pas soin de moi.»

• Pendant les funérailles d’Erica Garner, le révérend Al Sharpton [militant pour les droits civiques de longue date] a dit:«[alors qu’ils disent] elle est morte d’une crise cardiaque, non, son cœur a été attaqué ce jour-là», se référant au jour où la police a tué son père.

Christen A. Smith

«Les retombées de la violence policière tuent des femmes noires comme Erica Garner», a écrit Christen Smith, professeure à l’Université du Texas, dans un article récent. «Quand nous pensons aux actions policières létales, nous considérons typiquement le nombre immédiat de dépouilles: les gens qui meurent de balles et de coups de matraques… Mais ces chiffres ne révèlent pas la mort lente des femmes noires. Les causes de brutalités policières à long terme peuvent être aussi mortelles qu’une balle. La douleur de la perte tue avec les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, la dépression et même l’anémie.»

Dans un entretien, Christen Smith a dit: «Quand j’ai appris qu’Erica Garner avait eu une crise cardiaque, j’ai été dévastée… surtout parce que je me suis dit: “Oh mon Dieu, ça recommence…”».

«Donc pour moi, la violence policière est comme une bombe nucléaire. L’explosion initiale n’est qu’une fraction de ce qui est à venir. Au lendemain d’une bombe nucléaire, il y a des retombées. Le traumatisme de la violence policière, c’est comme les retombées, et ça vous tue lentement, comme le cancer qui vous tue à cause des retombées.»

Dans un éditorial du New York Times intitulé «How America Destroys Black Families», Kashana Cauley a écrit: «Il est impossible de penser à sa mort sans penser à la mort de son père en 2014, aux atteintes que leur famille a du subir et à la façon dont les familles noires ont été détruites tout au long de l’histoire», ce qui renvoie à l’esclavage. (Article envoyé par l’auteur le 22 janvier 2018 ; traduction A l’Encontre)

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