Etats-Unis. Des failles chez les démocrates

HillaryPar Barry Sheppard

Les divisions qui ont déchiré le Parti républicain au sujet de la candidature de Donald Trump lors des élections primaires sont bien connues. Il faudra voir sur quoi elles déboucheront. On ne le saura probablement pas avant la Convention républicaine. Actuellement toute spéculation sur cette question n’est donc qu’une perte de temps.

Les divisions au sein du Parti démocrate suite à la candidature de Bernie Sanders lors des primaires sont également de plus en plus commentées dans la presse bourgeoise, comme le reflète un récent article en première page dans le New York Times:

«Alors que les chances de gagner l’investiture en tant que candidat présidentiel du Parti démocrate s’amenuisent, le sénateur Bernie Sanders et ses alliés essaient d’utiliser la popularité de ce dernier pour accroître son influence politique en provoquant une lutte politique pour l’âme du Parti démocrate dans la période post-Obama.

Les adjoints de M. Sanders font pression sur les officiels du parti pour obtenir un rôle significatif dans la préparation du projet de plateforme pour la Convention démocrate qui se tiendra en juillet. Leur objectif est d’étayer des questions telles que le salaire minimum à 15 dollars, la fin de la fusion entre les banques d’investissement et de dépôt de Wall Street [et les grosses sociétés d’assurance] et l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste.

Dans le cadre du succès plus fort que prévu lors des primaires démocrates, M. Sanders a tiré profit de sa liste de 2 millions de donateurs pour récolter de l’argent pour des candidats libéraux [au sens de sociodémocrates] au Congrès à New York, au Nevada et dans l’Etat de Washington…

La pression qu’exercent M. Sanders et ses alliés est en train de mettre l’establishment du parti – étroitement allié à Hillary Clinton – dans une position délicate. Les leaders démocrates veulent éviter que le parti ne s’oriente trop à gauche, mais ils ne tiennent pas à se mettre à dos les partisans de Sanders dont les votes sont nécessaires à Hillary Clinton en novembre [élection présidentielle], ni à risquer de perdre la considérable nouvelle base de donateurs que M. Sanders a créée.»

Toutefois, il n’est pas si facile de gagner les partisans de Sanders. Une indication en est que les sondages à la sortie des urnes [des primaires] des partisans de Sanders montrent qu’entre 25 à 40% des personnes interrogées déclarent qu’elles ne voteront pas pour Clinton lors de l’élection générale.

Dès le début de la campagne, H. Clinton s’est située dans le sillage de la présidence Obama. Lorsque les votes pour Sanders au cours des primaires se sont révélés être plus importants que prévus, elle a changé de cap et s’est orientée plus à gauche, ayant l’air de répéter ses propos mais sous la forme de vagues promesses.

Au cours des huit années de l’administration Obama, la majorité des travailleurs et travailleuses n’a pas bénéficié de la reprise économique anémique. C’est ce qui explique que Sanders ait recueilli le soutien de salarié·e·s blancs et également le soutien écrasant qu’il a reçu de la part des jeunes, y compris dans les Etats où Clinton a emporté les primaires. Il est frappant de constater que Sanders a également reçu un appui important de la part des jeunes femmes, une catégorie que Clinton comptait gagner.

Au cours des années depuis la grande récession (2007/2008) et de l’élection d’Obama en 2008, les jeunes ont vu leur situation se détériorer. Aujourd’hui, un jeune de 18 ans n’a connu que cette période durant son adolescence, avec au mieux une stagnation des salaires, un accroissement de sa dette pour se payer des études et des perspectives de travail médiocres, même pour les diplômé·e·s. Quelqu’un qui a trente ans aujourd’hui en avait 22 en 2008, et il/elle a connu ces mêmes conditions pendant les années de son adolescence. Sanders a aussi obtenu des soutiens parmi les moins de 45 ans.

Il n’est pas étonnant que ces jeunes ne soient pas enthousiasmés par Hillary Clinton, voire qu’ils y soient opposées, puisqu’elle est la candidate de l’establishment qu’ils rejettent.

(Lors d’une manifestation de soutien à son épouse, Bill Clinton a été accueilli par des protestataires de Black Lives Matter qui dénonçaient la loi de 1994 [Violent Crime Control and Law Enforcement Act of 1994] et les emprisonnements de masse. Bill Clinton s’est alors lancé dans une attaque véhémente contre les protestataires et pour défendre la loi).

Le journaliste du New York Times estimait que les questions les plus importantes pour les jeunes activistes Noirs étaient les assassinats de Noirs par la police et les emprisonnements de masse. Il a aussi trouvé que si certains disaient qu’ils votaient pour Sanders aux primaires, d’autres disaient qu’ils ne votaient pas du tout, que les élections n’avaient pas une grande importance et qu’ils pensaient que seule l’action directe pouvait provoquer un changement. Ceci reflète la position de la plupart des activistes de Black Lives Matter, qui ne soutiennent ni Clinton ni Sanders.

L’enquête du journaliste a également montré que si la grande majorité des Noirs plus âgés votaient pour Clinton, moins de la moitié de ceux de moins de 25 ans faisaient de même.

Une autre question qui préoccupe l’establishment du Parti démocrate est le fait que dans les primaires qui permettaient aux indépendants de voter, ces derniers étaient majoritairement dans le camp de Sanders.

Toutes ces divisions parmi les électeurs potentiels du Parti démocrate que la campagne de Sanders a mis en évidence provoquent une certaine crise au sein du parti. Tout comme pour les Républicains, on ne sait pas comment les choses vont se développer, et il est inutile de spéculer.

Certains démocrates réclament que Sanders quitte maintenant la course des primaires et soutienne Clinton, dans l’intérêt de «l’unité». Mais jusqu’à présent Sanders a refusé cette option. Il a l’intention de gagner autant de délégué·e·s que possible en vue de la Convention démocrate. Il apparaît de plus en plus clairement que son objectif probable est de sortir le Parti démocrate de l’orientation à droite impulsée par Bill Clinton dans les années 1990, et poursuivie par Obama, pour que le parti redevienne ce qu’il était auparavant.

Autrement dit, son objectif n’est pas de construire un nouveau parti, mais de changer le Parti démocrate par une lutte à l’intérieur du parti. Il a déclaré très clairement, depuis le début de la campagne, que si H. Clinton est investie, il appellera à voter pour elle, non pas parce qu’il soutiendrait totalement son orientation, mais en invoquant le vieil argument du «moindre mal»: il ne veut pas être un gâcheur en enlevant des votes à Clinton, ce qui aiderait les républicains à gagner les élections.

Même si le système bi-partisan (démocrate-républicain) a été ébranlé lors de cette période d’élections primaires, il reste le rempart du règne capitaliste. Beaucoup de progressistes et même de socialistes espéraient que la campagne de Sanders conduirait à la formation d’un nouveau parti de la gauche, mais ce ne sont que des espoirs sans fondement.

Les partisans de Sanders ne sont pas intégrés dans une organisation qu’ils peuvent contrôler. Sa campagne est totalement menée du haut vers le bas. Il n’y a aucune chance qu’ils puissent lancer un nouveau mouvement.

Certains socialistes sont même allés jusqu’à rejoindre la campagne de Sanders dans le Parti démocrate et à inciter des dirigeants syndicaux à le soutenir. Certains l’ont fait, mais cela n’entraîne pas une rupture avec le parti démocrate et ne constitue pas une victoire pour une action politique indépendante des travailleurs.

L’espoir le plus extravagant de certains socialistes était que la campagne de Sanders pourrait entraîner la formation d’un parti indépendant des travailleurs. Dans le contexte d’un mouvement syndical très affaibli et qui, pour l’essentiel, a été incapable de provoquer une réelle riposte contre l’assaut que mènent depuis des décennies les capitalistes contre les travailleurs, toute idée que le mouvement des travailleurs puisse – ou même souhaite – se séparer des démocrates est totalement irréaliste.

Comment les partisans de Sanders voteront-ils lors de l’élection générale, au cas où Clinton est nommée candidate à la présidence? Est-ce que certains suivront Sanders et voteront pour le moindre mal? Certains s’abstiendront-ils? Est-ce que certains voteront pour un candidat indépendant si celui-ci devait émerger et obtenir un soutien raisonnable? Ou toutes ces hypothèses à la fois. Nous ne le savons pas. (Traduction A l’Encontre)

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