Etats-Unis: comment la crise de l’emploi s’achèvera-t-elle?

Par Socialistworker.org

Le taux de chômage élevé [officiellement 8,3%, ayant passé de 8,22% à 8,25% puis arrondi à 8,3%] continue de ruiner des millions de vies à travers les Etats-Unis. L’origine de celui-ci ne doit pas être recherchée uniquement dans les mauvaises politiques qui sont menées, mais également dans les failles qui découlent du capitalisme lui-même.

L’économie des Etats-Unis doit encore engendrer, selon l’Economic Policy Institute [1], environ 10 millions de nouveaux emplois uniquement pour rattraper les pertes issues de la récession de 2007-2009 et afin de fournir des emplois aux jeunes gens entrant sur le marché du travail. Etant donné le ralentissement actuel de la croissance économique aux Etats-Unis il ne semble pas que ce déficit d’emplois puisse être résorbé dans un avenir proche [2].

Ni les politiciens ni Entreprise Amérique n’envisagent quoi que ce soit qui puisse mettre un terme aux souffrances des salariés-chômeurs. Mitt Romney et Barack Obama, dans l’espoir de marquer des points sur le plan électoral, débattent bien sûr sur de qui est responsable de cette situation. Les deux politiciens sont toutefois également dévoués aux intérêts des firmes étatsuniennes.

Il s’agit là d’une chose manifeste concernant Mitt Romney, l’ancien spéculateur de Wall Street qui s’est transformé en politicien. Depuis qu’il a pris ses fonctions, en 2009, Obama a cependant prouvé sa dévotion pour les intérêts d’Entreprise Amérique. Cela même si le milieu des élites des affaires lui en est difficilement redevable.

Les politiques «ne laissons aucun banquier sur le pavé» conduites par Obama peuvent bien avoir conjuré un effondrement financier d’ensemble en opérant des renflouements et en accordant des prêts s’élevant, selon le Government Accountability Office, à la somme astronomique de 16 billions (1 billion équivaut à un million de million ou 1000 milliards) de dollars [3].

Par contre, est-il question d’allouer des fonds fédéraux pour des programmes en faveur de l’emploi? Absolument pas. En réalité, le refus de l’administration Obama d’aider des Etats dont les budgets sont déficitaires – en accordant, par exemple, des prêts sans intérêts afin d’éviter les licenciements massifs et les coupes budgétaires drastiques – a conduit, depuis que le président est entré en fonction, à la suppression de 600’000 emplois dans le secteur public.

Ainsi que l’a remarqué le journaliste Ezra Klein du Washington Post: «Le secteur public a été réduit, depuis qu’Obama a été élu, d’environ 600’000 emplois. Si vous rétablissiez ces emplois, le taux de chômage serait de 7,8%. Et qu’en aurait-il été si nous avions fait plus que cela? Le nombre d’emplois dans le secteur public a augmenté de 3,7% sous l’administration de George W. Bush. Cela représenterait actuellement un peu plus de 800’000 emplois. Si vous additionnez ces emplois hypothétiques, le taux de chômage chute à 7,3%.»[4]

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Bien que ce taux de chômage de 7,3% représenterait une «amélioration» par rapport à la situation actuelle, il n’en demeure pas moins qu’il resterait très élevé en comparaison de ce qui est «normal» en période d’expansion économique. Une question subsiste par conséquent: pourquoi les entreprises n’engagent-elles pas?

Ce n’est pas parce qu’elles sont fauchées! Ainsi que Brett Arends du site SmartMoney.com l’indique: «Les profits, compris comme une fraction du Produit intérieur brut (PIB), n’ont jamais été aussi élevés depuis qu’ils ont commencé à être enregistrés en 1940. Ils représentaient une moyenne de 7,5% du PIB sous la présidence de Ronald Reagan. Au cours des trois premières années de l’administration Obama, ils étaient en moyenne de 11,7%. Ils ont atteint 12,9% l’année dernière.
Le Département du commerce des Etats-Unis a déclaré, l’année dernière, que les profits des entreprises totalisaient 1,9 billion de dollars (avant impôts, mais après que soient déduits une partie du capital fixe et des stocks). Cela représente 6500 dollars pour chaque citoyen américain. Lors du sommet du «grand boom» de la décennie 1990, en 1999, les profits représentaient 3000 dollars par citoyen.»
[5] 

Il en découle que les entreprises américaines sont assises sur un trésor de 2 billions de dollars cash [6]. Certaines entreprises, souhaitant tirer parti des réductions des salaires et des avantages sociaux aux Etats-Unis, ont investi dans de nouvelles usines conduisant à une légère augmentation du nombre d’emplois dans le secteur manufacturier [7]. L’investissement des entreprises, fin 2011, était toutefois toujours de 8% inférieur à ce qu’il était au sommet de l’expansion économique [8].

Pourquoi donc les entreprises n’investissent-elles pas? Paul Krugman, économiste et éditorialiste du New York Times, affirme que les politiciens et les décideurs économiques suivent des politiques rétrogrades qui ont été discréditées lors de la Grande Dépression des années 1930. Andrew Mellon, le secrétaire au Trésor sous la présidence d’Herbert Hoover [entre 1929 et 1933], résumait ainsi la politique menée par la Maison-Blanche: «liquider le travail, liquider les stocks, liquider les paysans, liquider l’immobilier».

Krugman écrit dans son dernier ouvrage, End This Depression Now! [Mettre un terme immédiat à cette dépression!], que les politiques à la Mellon sont de retour sous la forme des politiques d’austérité qui ravagent l’Europe et qui ont la faveur des conservateurs américains [9]. Krugman affirme que l’administration Obama a succombé à cette pression en échouant à engager des programmes de relance économique à une échelle suffisante, sans même parler du type de programmes en faveur de l’emploi mis en œuvre dans les années 1930 par le successeur de Hoover, Franklin Roosevelt.

La crise actuelle a débuté, selon Krugman, lorsque la bulle immobilière a éclaté: «L’investissement des entreprises a suivi à la baisse parce que cela ne sert à rien d’accroître ses capacités [productives] lorsque les ventes diminuent et que les dépenses de l’Etat chutent également du fait que leurs revenus [taxes, impôts, etc.] – locaux, étatiques et pour certaines fédérales – sont eux-mêmes réduits. Une réduction des dépenses signifie, ensuite, un niveau élevé de chômage parce que les entreprises ne vont pas produire ce qu’elles ne peuvent vendre. Elles ne vont pas non plus engager des travailleurs si elles n’ont pas besoin d’eux pour produire. Nous souffrons d’une contraction sévère de la demande globale [consommation et investissements].»

Krugman affirme que le résultat de cela est un déclin économique plus soutenu ou cette espèce de croissance extrêmement faible que l’on constate actuellement aux Etats-Unis.

Krugman décrit ensuite un ensemble de mesures destinées à stimuler la demande. Elles comprennent: des dépenses de relance supplémentaires ciblant les infrastructures; un programme agressif de refinancement des propriétaires de maison pris à la gorge par leurs crédits hypothécaires, ainsi que des mesures audacieuses de la Federal Reserve [banque centrale] pour soutenir l’activité économique. Il affirme: «La dépression que nous connaissons est principalement gratuite: nous n’avons pas besoin de souffrir autant de misères et de détruire autant de vies.» 

Krugman a toutefois tort sur deux points importants.

1° Les programmes d’austérité qui prolongent la dépression ne sont pas simplement menés par des idéologues aveugles. Ces politiques sont la conséquence de changements qui traversent l’économie mondiale.

Les économies avancées des Etats-Unis, du Japon et d’Europe occidentale sont face aux défis de nouveaux concurrents, principalement la Chine, mais aussi des puissances émergentes comme le Brésil et l’Inde. Aux prises avec une dette massive résultant de l’éclatement des bulles immobilières et de l’éclatement des dépenses et de la baisse des recettes, le grand capital des pays avancés est déterminé à réduire les «coûts du travail» et les dépenses sociales afin de contrer les avantages de ses nouveaux rivaux aux bas salaires.

C’est la raison pour laquelle pratiquement tous les partis dominants – social-démocrates et conservateurs en Europe, républicains et démocrates aux Etats-Unis – sont unis dans leur volonté de conduire des politiques frappant la classe laborieuse pour le plus grand bénéfice du Capital. Ils peuvent s’opposer sur les délais et l’ampleur des coupes, ils partagent cependant un programme commun.

2° Alors que dans son approche Krugman reconnaît que le capitalisme a une tendance chronique à tomber dans les récessions, il ignore la tendance vers une crise durable de rentabilité qui marque le capitalisme depuis ses débuts. C’est parce que le capitalisme est guidé par la maximisation des profits qu’une crise de rentabilité attaque inévitablement les travailleurs et les pauvres.

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Alors que Krugman a tout à fait raison d’affirmer qu’il n’y a aucune nécessité que les salarié·e·s supportent le poids de la crise alors que les capitalistes sortent de la récession avec une richesse et un pouvoir politique intacts. Mais là où Krugman conçoit une solution comme étant simplement un changement de politiques économiques, la réalité est que de tels changements ne pourront être mis en œuvre que lorsque les travailleurs seront organisés et qu’ils disposeront de suffisamment de pouvoir dans ce but.

C’est ce qui s’est produit au cours de la décennie 1930, lorsqu’une explosion des luttes de la classe laborieuse et de l’organisation syndicale a contraint Franklin Roosevelt à mettre en œuvre le New Deal. Ce dernier comprenait des programmes d’Etat en faveur de l’emploi ainsi que des réformes sociales telles que la sécurité sociale. Devant la révolte des années 1930, même des entreprises violemment antisyndicales ont dû accepter des accords collectifs qui contenaient des améliorations salariales et des conditions de travail.

La dépression trouvera, tôt ou tard, un terme. La question est de savoir quand et avec quelle misère. Cela dépendra de comment les salarié·e·s réagiront. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord la crise économique a jeté les bases de mouvements révolutionnaires qui ont abattu et ébranlé certains des régimes les plus autoritaires du monde. En Europe, les travailleurs de Grèce, d’Espagne et d’autres pays se mobilisent pour refuser le chômage et les coupes dans les dépenses sociales, mais avec difficulté.

Nous avons aussi été témoin de la façon dont la crise a produit également des mouvements de résistance aux Etats-Unis, du soulèvement du travail au Wisconsin au mouvement Occupy. La riposte n’en est toutefois qu’à son début.

Avec un peu moins de 7% des travailleurs qui sont aujourd’hui syndiqués dans le secteur public, l’organisation sera une fois encore la question clé pour faire pencher la balance entre le Travail et le Capital. Les salarié·e·s, en parallèle, devront non seulement résister aux coupes dans les dépenses sociales, mais également lutter pour créer un Etat providence réel afin de contrer le nombre croissant de crises sociales: non seulement le chômage de longue durée mais aussi des questions telles que la pauvreté qui frappe un enfant sur quatre ou le fardeau écrasant de la dette affectant les étudiants.

Les crises économiques ne cesseront toutefois pas tant que le système capitaliste survivra. Le seul chemin, in fine, pour en sortir réside dans la création d’un nouveau système fondé sur les besoins humains, plutôt que sur les profits de quelques-uns. (Editorial du 1er août du site Socialistworker.org; traduction A l’Encontre)

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[1] http://stateofworkingamerica.org/charts/jobs-shortfall/

[2] http://www.istockanalyst.com/finance/story/5965138/three-views-of-us-gdp

[3] http://socialistworker.org/2011/09/07/the-16-trillion-bailout%20

[4] http://www.washingtonpost.com/blogs/ezra-klein/post/obamas-press-conference-the-public-sector-isnt-fine/2012/06/08/gJQAp5rxNV_blog.html

[5] http://www.smartmoney.com/invest/stocks/why-wall-streets-doing-fine–for-now-1339452214785/

[6] http://finance.fortune.cnn.com/2012/06/06/2-trillion-cash-obamas-fault/

[7] http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304065704577421960042778548.html

[8] http://thenextrecession.wordpress.com/2012/04/03/why-is-the-us-recovery-so-weak-look-at-profitability/

[9] http://www.amazon.com/End-This-Depression-Paul-Krugman/dp/0393088774

 

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