Etats-Unis. Ce 14 mars des débrayages dans les écoles contre la violence des armes, comme étape en vue du 24 mars

Etudiants sortant de leur école St. Paul, Minnesota
(Fibonacci Blue | flickr)

Editorial de SocialistWorker

Le mercredi 14 mars, les étudiants de plus de 2500 écoles de toutes les régions du pays quitteront leurs salles de classe pendant 17 minutes, soit une minute pour chaque élève tué lors du massacre qui a eu lieu le mois dernier à Marjory Stoneman Douglas High, à Parkland, en Floride.

Les débrayages de #Enough, qui ont été appelés par l’aile des jeunes de la Marche nationale des femmes, se feront selon des modalités différentes, d’un endroit à l’autre. Certains seront plus importants que d’autres. Certains débrayages ont été lancés par les directions de l’école, alors que d’autres sont organisés par des étudiant·e·s face à la résistance de l’administration. Certains intégreront des appels pour qu’il n’y ait plus de policiers armés dans les écoles, alors que d’autres se concentreront davantage sur les lois relatives aux armes à feu.

Mais ce que tous ces débrayages auront en commun, ce sont des jeunes qui savent que les adultes qui détiennent le pouvoir de diriger notre pays sont en train de l’entraîner vers le précipice, que ce soit sur la question de la violence des armes, sur celle des changements climatiques ou celle de la dette étudiante [début 2018, 44,2 millions de résidents aux Etats-Unis sont endettés pour leurs études; cette dette dépasse de 620 millions la dette totale liée aux cartes de crédit, la somme totale dépasse celle atteinte en 2008].

Beaucoup de ceux qui sortiront dans la rue demain comprennent aussi que la culture de la violence par des groupes d’autodéfense promue par les politiciens républicains et par la National Rifle Association (NRA) a des racines qui s’étendent bien au-delà de ces derniers.

C’est une génération qui a grandi en regardant des vidéos virales d’agents de police en train de tuer des civils désarmés.

Comme l’a récemment expliqué David Hogg, un des leaders étudiants de Parkland:

«Je ne veux plus voir un prof armé de plus. Je ne veux même pas qu’il y ait davantage d’agents de ressources scolaires [la police dans les écoles]. Etes-vous au courant des discriminations racistes qu’ils appliquent contre les étudiants afro-américains et latinos? Nous sommes en train de créer un système qui ne fera qu’agrandir le pipeline entre l’école et la prison.»

C’est parce que les Etats-Unis ont une addiction aux armes à feu et à la violence armée, que ceux qui prétendent parler au nom de ce pays après chacune des terribles fusillades proposent toujours la même solution, à savoir non pas de diminuer le nombre d’armes à feu, mais de l’augmenter. C’est ainsi que la principale question débattue entre les adultes responsables était de savoir si nous devions «durcir» les écoles plutôt avec des enseignants armés ou avec davantage de policiers armés.

Mais les débrayages scolaires – et les manifestations à venir le 24 mars et au-delà – offrent l’opportunité de galvaniser une opposition qui peut à la fois briser l’emprise de la NRA sur le système politique et contrer la militarisation rampante de la société états-unienne, en commençant par nos écoles.

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C’est un symptôme de notre démocratie brisée que l’une des décisions prises immédiatement en réponse à la fusillade de Parkland fut celle d’armer les enseignants à l’intérieur des écoles, alors qu’il s’agit là d’une mesure à laquelle la plupart des gens sont opposés.

Fournir des armes aux employés des écoles revient à subventionner les fabricants d’armes à feu qui financent la NRA, ce qui ne fait qu’accroître le risque de violences meurtrières chaque fois qu’un enseignant interrompt une bagarre ou se sent momentanément menacé par un élève – ce qui, dans les faits, est beaucoup plus susceptible de se produire lorsque l’élève est afro-américain ou latino.

Il est important de comprendre que la NRA est d’abord une organisation de droite et ensuite seulement une organisation de défense du droit à porter des armes à feu. La NRA prétend que la réglementation des armes à feu fait partie d’un complot visant à «éradiquer toutes les libertés individuelles». Mais l’association ne défend que rarement la cause des personnes noires ou brunes (latinos) qui, comme Philando Castile (assassiné, dans sa voiture, lors d’un contrôle routier; il était accompagné par son amie) sont exécutées par la police ou, comme Marissa Alexander (jeune femme noire, menacée par son mari, qui tira un coup d’avertissement en 2010, condamnée à 20 de prison, libérée après deux ans mais assignée à résidence) sont emprisonnées pour possession ou utilisation licite de leurs armes.

Cette politique de deux poids, deux mesures remonte jusqu’au deuxième amendement lui-même, qui accordait aux citoyens blancs le droit de s’armer pour les guerres contre les natifs (indiens) et pour contrôler les esclaves, mais refusait ce droit – ainsi que tous les autres droits – aux personnes visées par ces premières armes à feu.

Aujourd’hui, l’idéologie de la NRA selon laquelle toute réglementation des armes à feu implique la tyrannie du gouvernement joue un rôle important en persuadant des millions de personnes de la classe travailleuse à soutenir les projets patronaux visant à détruire les protections restantes en matière de travail et d’environnement.

C’est la raison pour laquelle, dans ce pays qui est inondé par deux fois plus d’armes à feu par personne qu’il y a 50 ans, nous n’avons obtenu aucune liberté. Au lieu de cela, nous sommes beaucoup plus entravés par l’endettement, des heures de travail plus longues et un taux d’emprisonnement le plus élevé au monde.

Ces chaînes de l’inégalité économique et raciale ne sont pas seulement liées à la violence armée. Elles l’alimentent.

Les suicides, qui sont à l’origine de près des deux tiers des décès par arme à feu aux Etats-Unis, ont atteint un point culminant depuis 30 ans. D’après le professeur Robert Putnam, de Harvard, ces suicides sont le résultat des «liens entre la pauvreté, le désespoir et l’état de santé».

La plupart des homicides commis au moyen d’une arme à feu sont également le fruit de la pauvreté et du désespoir: les victimes et les auteurs de ces homicides sont en très grande majorité des travailleurs pauvres et des Noirs.

Ensuite, il y a la violence armée exercée par les policiers, qui est tout aussi aberrante à l’échelle internationale que nos autres formes de violence armée.

L’an dernier, quelque 1100 personnes ont été tuées par la police, ce qui représente le chiffre ahurissant d’une personne sur trois tuées avec des armes à feu l’an dernier par une personne qu’elles ne connaissent pas. Bien entendu, ces meurtres ont rarement entraîné l’arrestation – et encore mois la condamnation – d’un policier.

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Tout cela pour dire qu’alors que les tueries par armes à feu dans les écoles sont particulièrement effrayantes parce qu’elles peuvent frapper n’importe qui et n’importe quand, la majorité des violences par les armes à feu sont – comme tout le reste aux Etats-Unis en 2018 – réparties de manière extrêmement inégale, à la fois en ce qui concerne les personnes visées et en ce qui concerne celles qui sont punies.

La question qui se pose à ce nouveau et passionnant mouvement étudiant n’est pas de savoir si nous devrions être pour ou contre le contrôle des armes à feu, mais plutôt dans quel sens ce contrôle devrait être appliqué.

Dans un pays qui emprisonne des millions de petits trafiquants de drogue, mais qui récompense les compagnies pharmaceutiques qui promeuvent des pilules opioïdes, nous devons concentrer nos énergies sur les fabricants d’armes à feu qui inondent nos quartiers d’armes de plus en plus meurtrières – et sur les démagogues de la NRA qui, pour maintenir les ventes de ces armes, prétendent que le toute réglementation des armes à feu revient à une prise de contrôle du gouvernement sur les citoyens.

Les armes à feu devraient être assujetties à au moins autant de règlements de santé et de sécurité que le shampooing. Or, en 2018, aux Etats-Unis cela pourrait signifier beaucoup de choses, depuis la fin de l’immunité de l’industrie des armes à feu face aux poursuites judiciaires jusqu’à la fin de la vente d’armes telles que le AR-15 [fusil d’assaut].

Mais il est essentiel que ce nouveau mouvement s’attaque également à l’engrenage de la «puissance de feu» qui arrive dans nos collectivités par l’intermédiaire des services de police.

Une des quatre revendications de la grève #Enough est de mettre fin au programme 1033 qui transfère les surplus d’armes militaires aux services de police locaux. C’est un bon premier pas. Mais nous devrions aussi faire pression pour faire sortir la police de nos écoles. Comme l’a écrit Gillian Russom, professeure à Los Angeles, sur le site SocialistWorker.org la semaine dernière:

«On a ajouté trente mille policiers scolaires supplémentaires après la fusillade de 1999 à l’école secondaire de Columbine, mais cela n’a pas réduit le nombre de fusillades dans les écoles. En fait, d’après l’Association nationale des psychologues scolaires, la criminalisation et l’aliénation entraînées par les fouilles au corps peuvent avoir l’effet contraire, en affaiblissant les liens de confiance que les élèves entretiennent avec les adultes, ce qui les rend moins susceptibles de chercher de l’aide ou de notifier des signes de danger.»

Enfin, nous devons rejeter l’idée que nous pourrions être davantage en sécurité en augmentant le profilage, surtout chez les personnes soupçonnées d’être atteintes de maladie mentale.

Il est évident qu’après une horreur de la fusillade de Parkland, tout le monde estime qu’il aurait été préférable que Nikolas Cruz ne dispose pas d’un pistolet. Mais le fait de priver les personnes handicapées d’un droit dont jouit le reste de la population crée un précédent dangereux et pourrait même entraîner des effets négatifs, dans la mesure où cela pourrait les décourager de demander de l’aide pour éviter un diagnostic qui pourrait les mettre sur une liste noire du gouvernement.

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Nous avons besoin d’un mouvement contre la violence armée qui comprenne que notre problème n’est pas le petit nombre de personnes violentes qu’il faut contenir, mais plutôt une société cruelle et inéquitable, qui pousse les gens à la violence à la fois contre eux-mêmes et contre les autres.

Nous devons nous attaquer à la culture de la violence des groupes d’autodéfense promue par les fabricants d’armes et leurs publicitaires au sein de la NRA et du Parti républicain, ainsi que plus largement au système politique qui diabolise les Noirs qui protestent pacifiquement contre les meurtres commis par les policiers et qui espionne les musulmans qui expriment leur indignation face aux bombes qui tombent régulièrement sur l’Afghanistan et le Yémen.

Si l’idée de nous attaquer plus largement à cette culture états-unienne de la violence peut sembler impraticable, rappelons-nous que jusqu’au mois dernier, peu de gens pensaient qu’il était possible de faire quoi que ce soit contre la violence armée. Le raisonnement dominant était que puisque la fusillade des écoliers de l’école primaire de Sandy Hook en 2012 n’avait rien changé, il était impossible de changer quoi que ce soit.

Mais depuis l’élection de Donald Trump nous aurions dû apprendre que le changement ne se produit pas seulement parce que les choses vont vraiment mal, mais plutôt

lorsque nous sommes suffisamment nombreux à décider qu’il faut arrêter d’attendre que les politiciens nous sauvent et d’agir de notre propre chef. Cela a été le cas pour le mouvement #MeToo qui dénonce les prédateurs sexuels, pour les joueurs de football qui mettent un genou à terre contre le racisme et pour les enseignants des écoles de Virginie-Occidentale qui maintiennent une grève durant 9 jours jusqu’à obtenir les augmentations salariales qu’ils méritent.

Les élèves de Parkland, en Floride, et partout à travers le pays, qui sortiront des écoles de mercredi 14 mars, font partie de cette vague de résistance. Ils ont déjà entamé l’image de la NRA en tant que force invincible. Et ils contribuent à faire de Trump le président le plus impopulaire de l’histoire des sondages d’opinion.

Les débrayages mettront en évidence, dans l’arène de la lutte sociale, les questions politiques qui sont restées refoulées par l’impasse de la politique dominante. Ils peuvent également faire bénéficier de leur expérience les personnes qui participent pour la première fois à une action militante.

Et après le 14 mars, il faudra que ceux qui s’engagent à résister à la droite – qu’ils aient participé à leur première manifestation ou qu’ils aient été actifs pendant de nombreuses années – tirent les leçons des débrayages scolaires et les intègrent dans une résistance plus large qui participe à la bataille pour un autre monde que celui où Trump et la NRA peuvent prendre les décisions. (Article publié le 23 mars sur le site socialistworker.org ; traduction A l’Encontre)

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