Etats-Unis. Après quatre décennies de défaites, le retour de luttes syndicales victorieuses

Première grève des enseignants de 81 écoles à Portland, Oregon, pour leurs salaires et l’amélioration des conditions d’enseignement.

Par Sharon Smith

Cette année, les grèves ont abouti à plus de journées de travail «perdues» que n’importe quelle autre année au cours des deux dernières décennies. En outre, ces grèves – multiraciales et multigénérationnelles – ont illustré le type de confiance et de détermination des travailleurs et travailleuses, en particulier des jeunes, qui peuvent faire aboutir des revendications qui semblaient impossibles il y a seulement un an.

Cette année, les syndicats ont organisé des piquets de grève décidés et de grandes manifestations, notamment parmi les scénaristes et les acteurs d’Hollywood, les salarié·e·s de la santé, les enseignant·e·s et les travailleurs et travailleuses de l’automobile. Ces manifestations de grande ampleur, voire massives, se démarquent nettement du scénario typique des grèves des décennies précédentes, lorsque les firmes recouraient à des ordonnances judiciaires limitant le nombre de piquets de grève à une poignée, dans une guerre d’usure menée face à des employeurs beaucoup plus puissants, qui embauchaient des «remplaçants permanents» [comme briseurs de grève], dans un contexte sombre pour le monde du travail.

En date du 14 novembre 2023, pour l’année, 366 débrayages ont eu lieu aux Etats-Unis, soit un peu moins que les 424 enregistrés en 2022. Mais la grande différence réside dans le nombre de travailleurs et travailleuses qui y ont pris part: environ un demi-million jusqu’à cette date, soit plus du double des 224 000 de l’année dernière.

Mais au-delà des chiffres, le caractère de l’affrontement de classes a radicalement changé.

La dernière fois que ce nombre de travailleurs et travailleuses a été engagé dans des arrêts de travail remonte à 1993, lorsque quelques travailleurs industriels déterminés ont lancé un ultime effort pour éviter de nouvelles concessions dans le cadre de l’offensive patronale qui faisait rage depuis 1979. Leurs efforts n’ont cependant pas été à la hauteur de la détermination des entreprises. Au milieu des années 1990, les travailleurs et travailleurs d’entreprises telles que Caterpillar [fabricant de machines pour la construction, les mines, etc.], Bridgestone/Firestone [pneus] et Staley Manufacturing [usines pour traitement du maïs] ont subi des défaites cuisantes, dont le mouvement ouvrier ne s’est toujours pas remis [1].

La combativité croissante de la classe laborieuse

Des signes évidents de combativité croissante de la classe laborieuse sont apparus dès 2022. Plus important encore, après que les compagnies ferroviaires ont conclu un accord de principe avec leurs 12 syndicats en septembre 2022, les travailleurs de quatre de ces syndicats – qui représentent la majorité des salarié·e·s des chemins de fer – ont voté pour rejeter le contrat [entre autres sous la pression du courant Railroad Workers United-RWU]. Le principal point d’achoppement était la revendication de congés maladie payés. Les compagnies [de transport de marchandises] très rentables ont affirmé qu’elles ne pouvaient pas se permettre d’en offrir. Le président Joe Biden a invoqué la loi de 1926 sur le travail dans les chemins de fer (Railway Labor Act), qui permet au Congrès d’empêcher les travailleurs de faire grève. Après qu’un projet de loi accordant aux travailleurs et travailleuses sept jours de congé maladie a été adopté par la Chambre des représentants, mais a échoué au Sénat, le Congrès a finalement imposé un accord sans jours de congé maladie.

Les grèves de cette année (et la «quasi-grève» des 340 000 travailleurs et travailleurs d’UPS à la fin du mois de juillet) étaient des luttes mobilisant de très nombreux salariés. Eleles ont donc attiré une attention considérable des médias, illustrant très largement l’existence des bas salaires et des mauvaises conditions de travail auxquels s’affrontent ces salarié·e·s d’UPS. De plus, les luttes des travailleurs de l’automobile et des Teamsters (UPS) ont marqué, après de nombreuses années d’absence, la réapparition des travailleurs et travailleuses d’industries clés au centre des affrontements de classes.

La population a soutenu – dans un rapport de deux contre un – les grévistes. C’est avec la même proportion qu’elle s’exprime en faveur du syndicalisme en général, ce qui est plus élevé qu’à tout autre moment depuis 1965. Tout cela indique une augmentation d’une conscience classiste dans l’ensemble de la population.

Aujourd’hui se répand à une large échelle un sentiment de colère de classe – qui s’exprime contre les profits massifs des entreprises, les salaires faramineux des PDG, et à l’opposé les bas salaires et les mauvaises conditions de travail. Dès lors, les membres des classes laborieuses peuvent s’identifier aux grévistes: des milliers de scénaristes et d’acteurs d’Hollywood qui luttent pour payer leur loyer et leur couverture médicale; les chauffeurs d’UPS qui travaillent sous des températures étouffantes dans des camions sans climatisation; les ouvriers et ouvrières de l’automobile dont les salaires réels (corrigés de l’inflation) ont été réduits de près de 20% depuis 2008. Pendant ce temps, les entreprises qui emploient ces travailleurs accumulent des profits considérables.

Des victoires majeures, après des décennies de défaite

Le plus important est peut-être que les salarié·e·s qui se sont opposés aux entreprises ont remporté des victoires importantes dans tous les domaines, pour la première fois depuis des décennies. Le mois dernier, le journaliste Steven Greenhouse (The Guardian, 24 octobre 2023) a décrit la «vague d’augmentations salariales impressionnantes, parfois spectaculaires», qui a trouvé place cette année sur les conventions collectives: «En août, 15 000 pilotes d’American Airlines ont obtenu des augmentations de salaire de 46% sur quatre ans. Les conducteurs d’UPS ont obtenu des augmentations de 7,50 dollars de l’heure sur cinq ans, le salaire des chauffeurs atteignant 49 dollars de l’heure et celui des travailleurs à temps partiel a augmenté de 48% en moyenne.»

Après une grève de trois jours au début du mois, 85 000 salarié·e·s de Kaiser Permanente [firme opérant dans le secteur de la santé] ont obtenu des augmentations de 21%, ainsi qu’un salaire minimum de 25 dollars pour les travailleurs de Kaiser en Californie. En mars, 30 000 travailleurs du district scolaire de Los Angeles – chauffeurs de bus, employés de cafétéria et aides-enseignants – ont obtenu une augmentation de salaire de 30% sur quatre ans. Dans l’Oregon, 1400 infirmières de l’hôpital Providence de Portland ont obtenu des augmentations comprises entre 17 et 27% sur deux ans. [Voir, entre autres, les articles publiés sur ce site en date du 5 octobre, du 20 octobre, du 24 août, outre ceux consacrés à la mobilisation face aux «Big Three» de l’automobile, Ford, Stellantis, General Motors.]

Les grévistes ont-ils obtenu tout ce qu’ils demandaient cette année? Bien sûr que non. Une seule grève ne pourra jamais permettre d’effacer 40 ans de concessions. Mais ils ont forcé leurs employeurs à céder sur des revendications qu’ils avaient juré de ne jamais accepter. Les scénaristes et les acteurs d’Hollywood ont tenu bon jusqu’à ce que les studios acceptent enfin d’inclure dans leur contrat des dispositions relatives aux revenus tirés de la diffusion en continu (streaming) et de l’IA (intelligence artificielle). La grève de l’UAW n’a pas permis de recouvrer les pensions traditionnelles et les soins de santé pour les retraités, mais elle a permis d’obtenir des COLA (ajustements au coût de la vie) et une représentation de l’UAW dans certaines usines de véhicules électriques, ce qui a permis au syndicat d’affirmer une présence dans un secteur de l’industrie automobile [envisager une présence syndicale dans des firmes où le syndicalisme est banni – Toyota, Hyundai-Kya, Honda, Tesla – et commencer une implantation reconnue dans le secteur des voitures électriques des trois grands constructeurs].

Mais les attentes de nombreux grévistes étaient plus élevées cette année, car ils avaient beaucoup cédé au cours des quatre dernières décennies d’une guerre de classe unilatérale. Cela était particulièrement évident chez les travailleurs et travailleuses les plus âgés de l’automobile, dont de nombreux ont voté contre le nouveau contrat en dépit des énormes progrès qu’il contenait. Bien que l’accord ait été ratifié par 64% des travailleurs et travailleuses des trois grands de l’automobile, le soutien variait considérablement. Alors que 68,8% de ceux de Stellantis et 69,3% de ceux de Ford ont voté pour, le contrat n’a été appuyé que par 54,7% des travailleurs de GM. Il est significatif qu’au sein de sept des onze usines d’assemblage de GM aux Etats-Unis les salarié·e·s aient rejeté l’accord.

La raison du faible taux de «oui» chez GM s’explique par la plus grande proportion de ceux et celles ayant une plus grande ancienneté (et donc plus âgés) dans cette firme. Ces derniers ont subi des décennies de reculs au plan contractuel et étaient furieux que les constructeurs automobiles refusent de rétablir les taux traditionnels de pension et la couvertures des soint de santé après la retraite. Bon nombre d’entre eux ont voté contre le contrat dans les trois grandes entreprises.

Pourquoi maintenant et pas plus tôt?

La récente montée en puissance de l’activité militante de la classe ouvrière donne un aperçu de ce qui sera nécessaire pour modifier de manière importante les rapports de forces entre classes aux Etats-Unis, si favorable au capital depuis longtemps.

Une question évidente demeure: pourquoi cette montée des luttes ne s’est-elle pas produite plus tôt? Avec l’avantage du recul, la réponse est simple.

A la fin des années 1970, le grand patronat industriel, aidé par ses deux partis au pouvoir, les Démocrates et les Républicains, a lancé une offensive d’ensemble contre le niveau de vie et l’organisation de la classe laborieuse, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Cette offensive brutale est depuis connue sous le nom de «néolibéralisme» – prospérité pour les riches, austérité pour la classe ouvrière – et continue aujourd’hui d’inspirer les politiques des classes dominantes dans le monde entier.

Mais la colère de classe accumulée – sans lutte – s’est éveillée lorsque les travailleurs et travailleuses ont commencé à penser qu’existait la possibilité de gagner en faisant grève.

Nous pouvons clairement identifier un ensemble de facteurs qui se sont conjugués pour aider un plus grand nombre de travailleurs et travailleuses à se sentir prêts à faire grève:

La conscience largement répandue parmi les salarié·e·s que les firmes accumulent d’énormes profits, rémunèrent leurs dirigeants et leurs investisseurs (dividendes) à des niveaux stupéfiants, de sorte qu’elles pourraient facilement se permettre d’allouer des salaires et avantages sociaux à ceux et celles qui sont à l’origine de ces profits.

La pandémie n’a fait qu’exacerber cette frustration, en particulier chez les «travailleurs essentiels» contraints de risquer leur vie sans contrepartie supplémentaire, alors que les gains de leurs employeurs ont grimpé en flèche.

Les taux d’inflation élevés qui ont commencé pendant la pandémie ont peut-être quelque peu ralenti récemment, mais les prix sont restés plus élevés qu’avant la pandémie et les salaires sont loin d’avoir permis de compenser la hausse des biens de première nécessité, dans l’alimentation et le logement.

L’Economic Policy Institute (EPI) – dans sa publication du 12 septembre 2023 à propos de la dynamique salariale et des revenus des dirigeants chez les trois grands constructeurs automobiles – souligne que:

  • Les bénéfices des «trois grands» de l’automobile – Ford, General Motors et Stellantis – ont grimpé en flèche de 92% entre 2013 et 2022, atteignant un total de 250 milliards de dollars. Les prévisions pour 2023 tablent sur plus de 32 milliards de dollars de profits supplémentaires.
  • La rémunération des PDG des trois grandes entreprises a augmenté de 40% au cours de la même période et les entreprises ont consacré près de 66 milliards de dollars en dividendes versés aux actionnaires et pour le rachat d’actions [dont la hausse favorise, entre autres, les bonus des PDG].
  • Les concessions faites par les travailleurs de l’automobile à la suite de la crise de l’industrie de 2008 n’ont jamais été compensées, y compris la suppression de l’indexation au coût de la vie. En conséquence, les salaires des travailleurs et travailleuses du secteur automobile, qu’ils soient syndiqués ou non, étaient de plus en plus inférieurs à l’inflation. Ils ont vu leur salaire horaire réel moyen chuter de 19,3% depuis 2008.
  • Une redistribution des profits en direction des salarié·e·s est d’autant plus urgente que l’industrie s’efforce de devenir plus «écologique», à la fois dans sa production et sa manière de produire les voitures et les camions. Les trois grandes firmes doivent dans ce contexte bénéficier de subventions record, financées par le contribuable, afin d’appuyer leur expansion dans la fabrication de véhicules électriques (VE) [le pouvoir étatique les appuie dans le cadre de la concurrence internationale]. Selon EPI et l’UAW, «les politiques de transition vers les VE et le potentiel en termes économiques et climatiques qu’elles annoncent ne trouveront pas un appui si l’on demande à nouveau aux travailleurs et travailleuses de l’automobile et aux collectivités liées à cette industrie de sacrifier de bons emplois».

Un marché du travail très tendu. Le taux de chômage est resté inférieur à 4% plus longtemps que jamais depuis les années 1960. Dans une enquête de la Fed de New York, publiée en décembre de l’année dernière, environ 58% des personnes interrogées ont déclaré qu’elles s’attendaient à pouvoir trouver un nouvel emploi si elles perdaient le leur. Le risque d’entrer grève est donc moindre, en particulier pour les millions de travailleurs et travailleuses dont les salaires et les conditions de travail actuels ne sont pas très différents des autres emplois facilement accessibles.

Les industries en expansion, en particulier celles qui utilisent les nouvelles technologies. Contrairement aux années 1970 et 1980, lorsque les industriels affirmaient systématiquement qu’ils n’étaient pas en mesure d’être concurrentiels en raison d’une faible productivité (que cela soit vrai ou non), la plupart des grandes entreprises ne peuvent plus, aujourd’hui, prétendre cela. De plus, de nombreux secteurs très rentables, comme celui du divertissement, adoptent de nouvelles technologies telles que l’IA pour accroître leur rentabilité. Dans le cas de l’industrie automobile, cela signifie également se lancer dans la construction de véhicules électriques, financée en grande partie par les investissements fédéraux dans les secteurs dits de technologies «vertes». Ce qui est une situation gagnant-gagnant pour les trois grands constructeurs automobiles.

Des dirigeants syndicaux réformateurs. Si les changements au sein de la direction des syndicats ne relèvent pas d’une nécessité impérative pour stimuler la mobilisation de classe, ils peuvent toutefois s’avérer très utiles, comme en témoignent les nouvelles équipes élues à la tête des Teamsters et de l’UAW. Le président des Teamster, Sean O’Brien, et le président de l’UAW, Shawn Fain, se sont présentés comme des candidats réformateurs qui utilisent le langage de la lutte des classes et expriment leur volonté de se battre contre les employeurs pour obtenir ce à quoi leurs membres ont droit.

C’est particulièrement le cas de Shawn Fain, qui a porté un t-shirt «Eat the Rich» lors d’une conférence de presse avec les médias nationaux, et dont les principaux collaborateurs comprennent des militants de gauche tels que Chris Brooks, un ancien journaliste du réseau de Labor Notes. Tout au long de la grève, Shawn Fain a clairement indiqué que la lutte de l’UAW était menée au nom de la classe ouvrière dans son ensemble. Après la victoire du syndicat, Shawn Fain a déclaré sans ambages que la victoire du syndicat serait «un tournant dans la guerre de classe qui fait rage dans ce pays depuis 40 ans».

Shawn Fain n’a gagné que parce que, pour la première fois de son histoire, l’UAW a permis à tous ses membres de d’élire directement les dirigeants du syndicat. Fain l’a emporté (en mars 2023) d’une marge très étroite. Ainsi, sa liste «UAW Members United» a réussi à évincer le «caucus administratif» bien établi et corrompu qui dirigeait l’UAW depuis plus de 70 ans.

Ces nouveaux dirigeants de l’UAW ont poursuivi une stratégie qu’ils ont baptisée «Stand Up Strike» (grève debout), apparemment en référence aux grèves sur le tas avec occupation [«sit-down strike»] qui ont permis de syndiquer avec succès les travailleurs industriels dans les années 1930. La grève de Flint [entreprise qui était au centre du groupe General Motors qui avant la Grande Dépression employait quelque 210’000 salariés payés à l’heure], qui s’est déroulée pendant l’hiver 1936-1937, s’est soldée par une victoire, obligeant le géant General Motors Corporation, farouchement antisyndical, à reconnaître l’UAW comme le représentant négociateur des travailleurs.

La grève debout a rompu avec la longue tradition de l’UAW qui consistait à ne frapper qu’un seul des trois grands constructeurs automobiles, les deux autres entreprises étant censées respecter l’accord obtenu. Au lieu de cela, l’UAW actuel a déclenché la grève chez les trois constructeurs automobiles, mais a choisi les sections locales du syndicat pour organiser des débrayages sélectifs et à des dates que l’organisation syndicale déciderait en propre, laissant les trois entreprises dans l’incertitude quant à la prochaine usine visée. De cette manière, le syndicat était à l’initiative, tandis que les entreprises se retrouvaient dans l’embarras. Cette stratégie s’est avérée payante, mais la grève a tout de même duré six semaines avant que le syndicat puisse remporter une victoire.

Tous ces facteurs combinés ont contribué à l’ampleur et au caractère des grèves qui ont eu lieu cette année, les salarié·e·s étant plus confiants et déterminés à se battre pour obtenir ce qu’ils sont en droit d’obtenir.

L’avenir: solidarité et lutte

Comme toujours, la solidarité et la volonté de lutter déterminent le possible à venir. Ces récentes grèves nous ont permis de faire un pas de plus dans cette direction. Plus important encore, une nouvelle modalité d’organisation de l’activité syndicale – qui a été négligée par les syndicalistes cantonnés à la stricte entreprise – est nécessaire de toute urgence.

Shawn Fain l’a bien compris. Il a déclaré sans détour: «L’un de nos principaux objectifs à l’issue de cette victoire contractuelle historique est de nous organiser comme nous ne l’avons jamais fait auparavant.» Ajoutant: «Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les trois grands. Ce sera avec les cinq ou six grands» [se référant ainsi aux constructeurs automobiles où la présence syndicale est nulle ou très faible].

Shawn Fain et l’équipe de négociation de l’UAW ont également réussi à modifier la date d’expiration du contrat au 30 avril 2028, ce qui permettrait – en cas de désaccord – que le premier jour de grève coïncide avec le 1er Mai de cette année-là. Il exhorte les autres syndicats à faire de même, afin que le plus grand nombre possible de syndicats puissent se mobiliser au même moment symbolique. Cette coordination permettrait aux syndicats de «commencer à tendre collectivement leurs muscles».

Il a ajouté: «Si nous voulons vraiment nous attaquer à la classe des milliardaires et reconstruire l’économie pour qu’elle commence à fonctionner au profit du plus grand nombre et non de quelques-uns, il est important que nous ne fassions pas seulement grève, mais que nous fassions grève ensemble.» Shawn Fain a présenté une vision prometteuse, mais seul l’avenir nous dira si elle peut devenir réalité. Le processus ne sera pas linéaire, comme la réalité historique le démontre. De nombreux obstacles se dressent sur la voie du succès, et il ne sera pas facile de les renverser.

Shawn Fain a été élu président de l’UAW qu’avec une marge restreinte, comme indiqué. De nombreuses sections locales de l’UAW restent dirigées par des loyalistes du «caucus administratif» [qui contrôlait l’appareil de l’UAW]. De plus, même si les trois grands constructeurs automobiles ont été pris par surprise lors de cette grève, ils ne tarderont pas à se regrouper.

Quelques constructeurs étrangers non syndiqués – Hyundai, Toyota et Honda – ont immédiatement augmenté les salaires de leurs travailleurs après la victoire de l’UAW, dans l’espoir d’éviter une poussée syndicale au sein de leurs propres entreprises. Toyota, Nissan, Volkswagen, Mercedes-Benz, Honda, Tesla et Hyundai ne sont toujours pas syndiqués et – à moins que leurs travailleurs ne parviennent à se syndiquer en surmontant les obstacles légaux et internes à la syndicalisation – ils continueront à exercer une pression à la baisse sur les salaires. Et l’on peut s’attendre à ce que ces entreprises luttent bec et ongles contre toute nouvelle tentative de syndicalisation dans leurs usines.

Il ne fait aucun doute que les dirigeants des firmes ont surveillé de près la montée de la combativité de la classe ouvrière au cours des derniers mois et qu’ils élaboreront leurs propres stratégies pour contester tout changement dans les rapports de forces entre classes qui leur ont si bien convenu au cours des dernières décennies.

Toutefois, les victoires sont contagieuses et font progresser la conscience de classe. Gagner face au patronat s’est inscrit dans l’ordre du possible. (21 novembre 2023, International Socialist Project; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Stephen Franklin, Three Strikes: Labor’s Heartland Losses and What They Mean for Working Americans (The Guilford Press: juin 2001). Ce livre fournit un compte rendu détaillé de ces trois grèves qui ont été écrasées au milieu des années 1990 et qui ont fini par briser le mouvement ouvrier industriel pour les décennies à venir.

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